La chute des Titans

La chute des Titans

Par James Howard Kunstler − Le 22 mai 2020 − Source kunstler.com

James Howard KunstlerIl y a seulement quelques décennies, Walmart est entré dans le panthéon des icônes américaines, rejoignant la maternité, la tarte aux pommes et le baseball sur le plus haut niveau de l’autel. Le peuple était fasciné par cette corne d’abondance géante de choses incroyablement bon marché emballées en quantités gargantuesques.

La Chute des Titans, par Jacob Jordaens (vers 1636-1638). Musée du Prado (Madrid).

C’était quelque chose comme leur trophée pour avoir simplement eu la chance de naître dans ce pays exceptionnel, ou d’avoir vaillamment supporté les tribulations du voyage qui les a conduits là, depuis des lieux misérables, proches ou lointains – d’où, de plus en plus souvent, provient maintenant le puissant et magique flux de choses bon marché.

L’évolution de la psychologie du Walmartisme avait une aura étrangement autodestructrice. Comme les adeptes du culte du cargo qui attendent au sommet de l’île tropicale, les Américains des petites villes ont prié et harcelé le dieu du commerce pour qu’il leur apporte leur Walmart. Les historiens du futur, en faisant rôtir à la broche leurs gigots d’opossum sur des feux de camp, s’émerveilleront de la puissante efficacité des prières de leurs ancêtres. Chaque petit bourg aux États-Unis a finalement vu un OVNI Walmart atterrir dans un champ de maïs ou un pâturage de bovins à la périphérie de la ville. Comme les envahisseurs spatiaux  de science-fiction, Walmart a rapidement tué toute la valeur économique autour de lui, et finalement les villes elles-mêmes. Et c’est là que les choses en étaient lorsque la longue urgence a commencé au début de l’hiver 2020, avec le virus Corona  conduisant, armé de son fusil de chasse, l’équipage du corbillard sur lequel il avait l’habitude de se déplacer.

Nous sommes dans un moment imperceptible et transitionnel de l’histoire, comme les amateurs de plage qui regardent la vitreuse courbe verte d’une grande vague, dans les affres de son écroulement. Quelle beauté envoûtante ! Hélas, la plupart des gens ne savent pas surfer. Cela a l’air facile à la télévision, mais vous seriez surpris de l’entraînement qu’il faut, et les Américains sont loin, très loin d’être en condition pour le faire. Tous les tatouages ​​du monde ne vous donnent pas une once d’attrait viril supplémentaire. Et donc, dans ce moment liminal, les gens se traînent toujours religieusement vers leur Walmart avec leurs réserves fondantes d’argent liquide pour engranger des choses, en affichant toute la dévotion acquise, que nous prenions pour nécessaire, avant que la vague n’émerge et ne menace de nous submerger.

C’est ce qui se passe. Malgré tout les mauvais blagueurs héroïques de la Réserve fédérale, Nancy Pelosi, Trump, Mnuchin – et tous les responsables, pour être vraiment juste – il faut rappeler les mots immortels d’un autre président récent [Debeliou, NdT] : « Le pigeon va revenir sur terre ». Plus précisément, ce qui diminue, c’est l’ensemble des transactions que nous appelons «l’économie». Pendant ce temps, les responsables s’échinent à soutenir les simples indices financiers qui représentent soi-disant l’activité économique, mais de plus en plus, cela ressemble à un jeu d’ombres chinoises sur le mur d’un bidonville où l’économiste au coin de la rue fourgue son crack. Finalement, les gens n’ont même pas d’argent pour le crack, et pour aggraver les choses, tout l’argent qui reste réellement dans la rue ne vaut rien.

La vague se brise maintenant, et beaucoup de choses seront ensevelies – elle se brise en ce moment, pendant que vous lisez. Comme dans tout processus d’extinction, ce seront les plus petits organismes qui survivront et finiront par prospérer et c’est ainsi que cela se passera dans la prochaine version de l’Amérique, que nous restions des états unis ou que nous nous retrouvions organisés différemment. En conséquence, les géants doivent tomber. Lorsque les communautés d’Amérique se reconstruiront, ce seront les milliers de petites activités qui auront de l’importance, car elles entraîneront la régénération du capital social ainsi que des échanges qui constitueront alors vraiment les affaires. Le capital social est exactement ce que Walmart et ses pareils ont tué dans chaque communauté, d’un océan à l’autre. Les gens avaient cessé de faire des affaires avec leurs voisins. Il leur a fallu un cataclysme pour finalement s’en rendre compte.

Si vous pensez que Walmart survivra au cataclysme qui tue les magasins à succursales multiples, vous allez être déçus. Tout est fini et foutu, y compris l’injonction Bonne Route qui a permis aux adeptes du culte du cargo de transporter leur butin sur de nombreux kilomètres. Et, ironiquement, ce n’est pas le problème du pétrole qui a provoqué cela, mais la fin du système de financement qui permettait aux Américains d’acheter leurs voitures avec des locations longue durée, quand il n’y avait plus d’emprunteurs solvables. Amazon sera le dernier géant peut-être debout, mais il finira aussi par tomber avec son modèle commercial ridicule, qui dépend entièrement d’un système de transport condamné – ferry et camion. Ce sera comme le dernier dinosaure rugissant au crépuscule – tandis que les petits proto-mammifères se précipiteront dans leurs cachettes.

Une chose demeure constante : les êtres humains sont très capables et pleins de ressources pour répondre aux besoins les uns des autres, ce qui est le but des entreprises. Les jeunes, libérés du sort de devenir serfs dans des entreprises géantes, peuvent commencer dès maintenant à imaginer ce qu’ils peuvent faire pour être utiles aux autres en échange d’un gagne-pain. Les plus sérieux et énergiques trouveront un moyen de le faire à une échelle qui a du sens lorsqu’un nouvel ordre émergera des ruines. Après un certain temps, peu importe ce que les gouvernements en penseront, cela n’aura plus beaucoup d’importance. Comme tous les autres géants ils tomberont aussi.

James Howard Kunstler

Traduit par jj, relu par Kira pour le Saker Francophone

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