Les États-Unis continuent de menacer l’Allemagne de sanctions si le pays européen poursuit le projet Nord Stream 2 – un partenariat stratégique avec la Russie visant à construire un grand gazoduc qui faciliterait le flux d’énergie entre la Russie et l’Europe par un itinéraire plus petit et plus rapide. Récemment, les sénateurs étasuniens ont présenté un projet de loi visant à sanctionner toutes les entreprises qui fournissent des certifications, des assurances et des installations portuaires pour le gazoduc prévu, dans le but évident de nuire à toute entreprise intéressée par les avantages du projet.
Il s’agit d’une tactique courante et bien connue du gouvernement étasuniens, qui a traditionnellement fait un usage intensif de mécanismes coercitifs et d’application de la loi pour atteindre ses objectifs sur la scène internationale. La sanction est un mécanisme qui, en raison des bonnes coutumes de la loi, ne devrait être appliqué qu’en dernier recours, pour sauvegarder un bien juridique qui a été violé. Malheureusement, au cours des dernières décennies, Washington a fait un usage absolu de ce mécanisme, l’appliquant sans discernement pour simplement poursuivre ses propres intérêts.
Cependant, l’Allemagne n’est pas prête à se soumettre passivement aux exigences étasuniennes. Le pays européen entend riposter à l’attaque de Washington en appliquant des sanctions tarifaires strictes au gaz étasunien, dans le but non seulement de réagir à la provocation étasunienne, mais aussi de protéger le secteur énergétique allemand contre la consommation forcée du produit étasunien. De la commission de l’économie et de l’énergie du Bundestag, Klaus Ernst a déclaré dans une récente entrevue que « si la pression étasunienne sur le projet de gazoduc ne cesse pas, nous devons envisager des mesures sérieuses pour nous protéger – par exemple, il pourrait y avoir des tarifs punitifs pour le gaz étasunien ».
Une éventuelle guerre tarifaire entre l’Allemagne et les États-Unis sur la question du gaz commence déjà à se profiler à l’horizon. De plus en plus, les intérêts européens et étasuniens s’affrontent et l’alliance qui a façonné le bloc géopolitique occidental au cours des dernières décennies avance dans son processus de déclin. À la fin de l’année dernière, la guerre tarifaire autour du gaz avait déjà commencé, avec l’approbation par Washington de sanctions contre les personnes et les entreprises impliquées dans le Nord Stream 2. À l’époque, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, avait fermement rejeté toute intervention étrangère dans l’Union européenne, déclarant que de telles mesures violaient tous les principes élémentaires du droit européen et étaient donc inadmissibles.
Au début, seule la gauche allemande a soutenu les représailles avec des tarifs sur le gaz étasunien, étant une cause menée par le parti de gauche allemand « Die Linke ». Aujourd’hui, cependant, la cause a acquis une profonde dimension politique et populaire, avec un fort soutien des classes ouvrières. Le haut degré d’intervention étasunienne dans la souveraineté européenne a mobilisé une coalition parlementaire contre l’imposition du gaz étasunien dans l’UE par Washington. Cela a encouragé l’Union européenne à porter un regard davantage critique et d’affronter les USA face à l’imposition du gaz étasunien.
La raison pour laquelle les États-Unis veulent ruiner le Nord Stream est très claire : les avantages de l’accord rapprochent la Russie et l’Europe, en mettant fin à la dépendance du gaz naturel russe à l’égard de la route ukrainienne et en créant un flux de transport plus continu, plus sûr et moins cher. La crainte des Étasuniens va bien au-delà de la simple question économique ou énergétique. Ce que Washington veut vraiment éviter, c’est l’établissement de liens étroits entre Moscou et Berlin (ou toute autre puissance européenne), qui pourrait changer à jamais la configuration géopolitique du monde moderne. Cependant, la construction de Nord Stream 2, alimenté par une alliance d’entreprises de Russie, d’Allemagne, d’Autriche, de France et des Pays-Bas, a été suspendue en décembre 2019, après que Washington ait menacé de sanctions économiques contre la société suisse Allseas qui a réalisé les travaux.
Au milieu d’une Europe qui reprend progressivement sa routine, sortant lentement de la quarantaine collective, la discussion sur la question de l’énergie sera certainement la plus puissante, puisqu’elle est un thème central de la stratégie nationale allemande. En outre, le projet a déjà été retardé de manière absurde, puisque, dans les premiers moments, des discussions et des tensions de nature politique ont laissé la participation allemande à Nord Stream 2 incertaine et ; après que la participation ait été décidée, les sanctions étasuniennes et la pandémie ont de nouveau entravé l’avancement du projet, qui ne peut être repris et finalisé de manière définitive jusqu’à présent.
En fait, si l’Allemagne applique des sanctions contre les États-Unis, il s’agira d’un véritable acte de souveraineté et d’une rupture dans la géopolitique mondiale, où Berlin, visant à satisfaire ses intérêts et ses besoins nationaux, rejettera l’ambition étasunienne d’être une « puissance policière mondiale », contribuant ainsi à un avenir multipolaire. Il est certain que nous sommes à un moment de l’histoire de l’Occident où les États-Unis et l’UE auront des intérêts et des objectifs de plus en plus différents, avec des situations de confrontation multiples.
Lucas Leiroz De Almeida
Article original en anglais :
Traduit par Maya pour Mondialisation
L’article en anglais a été publié initialement par InfoBrics.
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Lucas Leiroz est chercheur en droit international à l’Université fédérale de Rio de Janeiro.
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca