Pas un mois, pas une semaine ne se passe sans que l’actualité ne ramène à l’avant-scène une vieille église ou une maison ancestrale sur le point de s’effondrer ou d’être démolies par des barons de villages ou des promoteurs sans scrupules. On s’indigne, on pointe du doigt Jean et Jacques, mais l’hécatombe se poursuit, comme si de rien n’était.
Le dernier rapport de la Vérificatrice générale (VG) ne fait donc que confirmer ce que nous savions déjà : notre État « national » néglige le patrimoine bâti.
Vous souhaitez qu’un bâtiment soit classé et protégé ? Deux fois sur cinq, vous risquez d’attendre au moins 5 ans avant que le ministère de la Culture daigne réagir. Vous aimeriez consulter un inventaire à jour du patrimoine bâti qui nécessiterait des interventions urgentes ? Vous risquez d’attendre encore plus longtemps, car un tel plan n’existe pas.
Prendre soin du patrimoine, c’est forcément s’inscrire dans une histoire longue et se concevoir comme un héritier.
Notre État « national », explique la VG, ne soutient pas les arts et métiers traditionnels et rechigne à débloquer les budgets nécessaires. Malgré des rapports importants (Arpin, 2000 ; Courchesne-Corbo, 2016), un cadre législatif relativement clair et des avis informés du Conseil du patrimoine culturel du Québec, nos gouvernements sont plus prompts à réagir à l’émotion du moment qu’à penser à long terme.
Un rapport vicié au passé
Le plus désolant, c’est que notre État néglige aussi ses propres bâtiments patrimoniaux et peine à leur trouver une nouvelle vocation. Songez que les Nouvelles-Casernes du Vieux-Québec ou l’ancienne école des Beaux-arts de Montréal ne sont pas occupés depuis de nombreuses années.
Le fond du problème, ce ne sont pas les lois ou les structures, c’est le désintérêt de nos élites, le manque de volonté de nos décideurs et, avouons-le, une triste indifférence de la plupart d’entre nous. Contrairement à ce que nous serine une certaine gauche, cette absence de volonté et d’intérêt n’est pas seulement liée à une soif de profit à court terme. Si tel était le cas, les Américains, ces chantres du capitalisme libéral, seraient complètement indifférents à leur patrimoine. Or pour peu qu’on ait circulé dans ce grand pays, on constate vite le contraire.
En matière de patrimoine, ce ne sont pas (seulement) les politiques publiques qu’il faut mettre en cause, mais notre rapport au passé. Cette négligence crasse a beaucoup à voir avec notre engouement un peu infantile pour le moderne qui a tant marqué le Québec depuis les années de la Révolution tranquille.
Voyez ces horribles polyvalentes sans fenêtres construites à la hâte durant les années 1960, cet affreux « bunker » de la Grande Allée qui jure tellement à côté de notre magnifique hôtel du Parlement, ces édifices gris bétonnés dignes de l’époque stalinienne, cette statuaire réaliste et sans âme. Toute cette architecture témoignait d’une volonté de rompre avec la « grande noirceur ».
Conserver et transmettre
Qu’elles soient tranquilles ou pas, les révolutions font toujours le procès du passé. Chez nous, ce procès a coïncidé avec une révolution culturelle occidentale encore plus fondamentale qui a provoqué une crise des repères et un délitement du lien social. La négligence du patrimoine n’est qu’un symptôme de ce rapport vicié au passé.
Au cœur de toute intention patrimoniale, il y a une farouche volonté de conserver et de transmettre. Or ces deux attitudes nous ont terriblement manqué depuis la Révolution tranquille. Bien des griefs dirigés contre le vieux Canada français étaient légitimes, mais la critique a été si brutale, si unidimensionnelle qu’elle a pu nous rendre arrogants, amnésiques et surtout insensibles à ce qui nous venait du passé.
Car prendre soin du patrimoine (matériel et immatériel), c’est forcément s’inscrire dans une histoire longue et se concevoir comme un héritier. C’est afficher une sorte de respect et de déférence pour ce que nous ont légué nos devanciers et souhaiter léguer ce qu’il y a de plus beau et de plus riche aux générations futures.
Pour un « peuple », rappelle la VG, le patrimoine immobilier reste une « partie intégrante de son identité culturelle ». On ne saurait mieux dire !
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