Par Philip Giraldi − Le 21 mai 2020 − Source Strategic Culture
La guerre mondiale contre la terreur ou GWOT [Global War On Terror, NdT] a été déclarée dans le sillage du 11 septembre par le président George W. Bush. Elle engageait essentiellement les États-Unis à œuvrer pour éliminer tous les groupes « terroristes » dans le monde, que les pays visés conviennent ou non qu’ils sont assaillis par des terroristes et qu’ils accueillent ou non l’« aide » des États-Unis. La GWOT a été promue à partir d’expressions débiles comme « il y a un nouveau shérif en ville » et, après la destruction de pans entiers du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale, s’est transformée par la suite en un ectoplasme – la terrible croyance que quelque chose appelé « exceptionnalisme américain » existait.
Avec une élection nationale qui se profile à l’horizon, nous entendrons sans doute davantage parler d’exceptionnalisme de la part de divers candidats qui cherchent à soutenir le principe selon lequel les États-Unis peuvent s’immiscer dans tous les pays de la planète parce qu’ils sont, comme on dit justement, exceptionnels. C’est généralement ainsi que Donald Trump et les Républicains purs et durs voient le monde, à savoir que la souveraineté exercée par les gouvernements étrangers est, et doit être limitée, par les besoins de l’armée américaine. Entourer un concurrent de bases militaires et de navires de guerre est un concept que beaucoup à Washington essaient actuellement de vendre concernant une réponse appropriée au défi économique et politique chinois.
Le Secrétaire d’État Mike Pompeo l’exprime autrement, en disant que les États-Unis sont une « force pour faire le bien », mais c’est l’ancienne Secrétaire d’État Madeleine Albright qui a le mieux exprimé ce fantasme, en déclarant que « … si nous devons utiliser la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique ; nous sommes la nation indispensable. Nous sommes debout et nous voyons plus loin que d’autres pays dans l’avenir, et nous voyons le danger qui nous menace tous ici ». Elle a également déclaré que la mort de 500 000 enfants irakiens à cause des sanctions imposées par les États-Unis était « un choix très difficile, mais nous pensons que le prix en valait la peine ». C’est le credo fondamental des interventionnistes progressistes [Théorie du R2P – Droit de protéger – alias bombardement humanitaires, NdT]. Quoi qu’il en soit, les États-Unis doivent prendre les décisions de vie et de mort qui, depuis le début de l’opération GWOT, ont détruit ou compromis la vie de millions de personnes, principalement concentrées en Asie.
Un aspect de la lourde influence américaine, qui est peu remarqué, est la ruine de nombreux pays autrefois fonctionnels qu’elle apporte avec elle. L’Irak et la Libye étaient peut-être des dictatures avant l’intervention américaine, mais ces pays ont donné à leur population un niveau de vie plus élevé et plus de sécurité que ce n’est le cas depuis lors. La Libye, détruite par Barack Obama et Hillary Clinton, avait le niveau de vie le plus élevé d’Afrique. L’Irak est actuellement l’un des pays les plus corrompus du monde, à tel point que des manifestations de rue massives ont eu lieu récemment contre l’incapacité du gouvernement à faire quoi que ce soit de bien pour son propre peuple. Les approvisionnements en électricité et en eau sont, par exemple, moins fiables qu’avant l’intervention des États-Unis il y a dix-sept ans.
Si l’on ajoute l’Afghanistan à la liste des pays « les plus corrompus » après 19 ans de tutelle américaine, on obtient un parfait trio de pays qui ont été ruinés. Dans un monde plus rationnel, on aurait pu espérer qu’au moins un politicien américain se soit levé et ait admis que nous avons royalement foiré et qu’il est plus que temps de fermer les bases à l’étranger et de ramener nos troupes au pays. En fait, l’un d’entre eux l’a fait en termes explicites, mais il s’agissait de Tulsi Gabbard et elle a été marginalisée dès qu’elle a commencé sa campagne pour les présidentielles. Faire allusion au fait que le cadeau de Washington au monde a été la corruption serait nier implicitement l’exceptionnalisme américain, ce qui est un blasphème.
Les échecs de la politique étrangère américaine depuis George W. Bush sont à mettre au crédit des néocons, qui ont réussi à détourner la présidence Bush. Paul Wolfowitz, Doug Feith, Scooter Libby et le joyeux gang de l’American Enterprise Institute avaient un allié majeur en la personne du Vice-Président Dick Cheney et ont pu se déchaîner, créant ainsi un casus belli pour l’invasion de l’Irak qui était fabriqué de toutes pièces et qui allait totalement à l’encontre des intérêts réels des États-Unis dans la région. Apparemment, personne n’a jamais dit à Wolfie que l’Irak était le rempart arabe contre les ambitions iraniennes et que Téhéran serait le seul grand bénéficiaire de la chute de Saddam Hussein. Depuis l’Irak, les néocons caméléons ont eu une influence considérable dans les grands médias et ont également joué un rôle majeur dans la définition de la politique étrangère et de sécurité nationale des présidences qui ont suivi celle de George W. Bush.
Ironiquement, les néocons ont surtout critiqué le candidat Donald Trump parce qu’il a dit des « absurdités » sur la fin des « guerres inutiles », mais ils se sont glissés dans son administration depuis qu’il a clairement indiqué qu’il n’était pas prêt à mettre fin à quoi que ce soit, et qu’il pourrait en fait prévoir d’attaquer l’Iran et peut-être même le Venezuela. L’idée de nouvelles guerres, en particulier contre l’ennemi d’Israël, l’Iran, fait saliver les néocons.
La désastreuse occupation américaine de l’Irak de 2003-2004 a été mal gérée par ce qu’on appelle l’Autorité Provisoire de la Coalition (APC), qui est peut-être l’organe quasi-gouvernemental le plus corrompu de l’histoire récente. Au moins 20 milliards de dollars qui appartenaient au peuple irakien ont été gaspillés, ainsi que des centaines de millions de dollars du contribuable américain. On ne saura jamais exactement combien de milliards de dollars supplémentaires ont été gaspillés, volés, donnés ou simplement perdus, car la décision délibérée de l’APC de ne pas comptabiliser les exportations de pétrole signifie que personne ne saura jamais combien de revenus ont été générés en 2003 et 2004 [ni le nombre de tonnes d’or volé dans les coffres de la banque centrale irakienne, NdT].
Une partie de la corruption est née du programme néocon mal avisé pour l’Irak, ce qui signifie que la distribution du butin aux plus fervents partisans de la guerre est passée avant un sérieux effort de reconstruction. L’APC a fait venir des dizaines de jeunes et brillants néophytes qui n’étaient pratiquement pas qualifiés. Nombre d’entre eux ont été recrutés par le biais des sites web de la Heritage Foundation ou de l’American Enterprise Institute, où ils avaient affiché leur curriculum vitae. Ils ont reçu des salaires à six chiffres grâce à des fonds irakiens, et la plupart ont servi par rotation de 90 jours avant de rentrer chez eux avec leurs histoires de guerre. L’un de ces volontaires était Michael, le frère aîné d’Ari Fleischer, ancien attaché de presse de la Maison Blanche, qui, bien que n’étant pas du tout qualifié, a été nommé directeur du développement du secteur privé pour l’ensemble de l’Irak.
Les 20 milliards de dollars déboursés pendant les 15 mois du proconsulat de l’APC provenaient d’actifs irakiens gelés et saisis, détenus aux États-Unis. La majeure partie de l’argent était sous forme liquide, acheminé en Irak à bord de C-130 dans d’énormes palettes sous film plastique contenant 40 « cashpaks », chaque cashpak contenant 1,6 million de dollars en billets de 100 dollars. Douze milliards de dollars ont ainsi circulé entre mai 2003 et juin 2004, tirés des comptes irakiens administrés par la Banque de la Réserve Fédérale de New York. Ces billets de 100 dollars pesaient environ 363 tonnes.
Une fois en Irak, il n’y avait pratiquement plus de traçabilité sur la façon dont l’argent était dépensé. Il y avait également beaucoup d’argent « officieux », dont pas moins de 4 milliards de dollars provenant d’exportations illégales de pétrole. Ainsi, le pays était inondé de liquidités non comptabilisées. Des sources britanniques rapportent que les contrats de l’APC qui n’ont pas été remis aux copains ont été vendus au plus offrant, des pots-de-vin allant jusqu’à 300 000 dollars étant exigés pour des contrats de reconstruction particulièrement lucratifs. Les contrats étaient d’autant plus intéressants qu’aucun travail ou résultat n’était forcément exigé en retour.
Nombre de ces employés, comme Michael Fleischer, ont été sélectionnés pour leurs affiliations politiques plutôt que pour leur maîtrise des tâches qu’ils étaient censés accomplir et il n’est pas surprenant que nombre d’entre eux soient des néocons. L’un d’entre eux a maintenant refait surface à un poste de haut niveau au Pentagone. Il s’agit de Simone Ledeen, fille du fameux néocon Michael Ledeen. Incapable de communiquer en arabe et sans expérience pertinente ni formation appropriée, elle est néanmoins devenue, en 2003, conseillère principale pour le nord de l’Irak au Ministère des Finances à Bagdad.
Simone a maintenant été nommée Sous-Secrétaire Adjointe à la Défense (DASD) pour le Moyen-Orient, qui est le poste principal pour l’élaboration de la politique du Pentagone pour cette région. Après le 11 septembre, Michael, le père néocon de Ledeen, a été à l’origine des expressions « destruction créative » et « guerre totale » en rapport avec le Moyen-Orient musulman, où « la vie des civils ne peut être la première priorité de la guerre totale … Le but de la guerre totale est de forcer en permanence votre volonté sur un autre peuple ». C’est également un iranophobe reconnu, accusant ce pays de nombreux actes terroristes, même lorsque ces affirmations sont ridicules. Il pourrait également avoir été impliqué dans la production en Italie des documents fabriqués en Irak et au Niger sur l’uranium qui ont grandement contribué à la marche vers la guerre avec Saddam.
Apparemment, les antécédents génétiques de Simone la qualifient pour diriger le Pentagone au Moyen-Orient, où elle a sans doute des vues qui la rendent compatible avec la tournure actuelle de Trump/Pompeo sur la menace iranienne. La Fondation Néoconservatrice pour la Défense des Démocraties (FDD) a déclaré
« Simone Ledeen a travaillé au Pentagone et au Trésor ainsi que dans une grande banque. C’est exactement ce que nous devrions vouloir pour un tel poste ».
Bien sûr, le FDD, le principal défenseur de la guerre avec l’Iran, veut aussi quelqu’un qui donnera le feu vert pour détruire les Perses.
Simone Ledeen, diplômée de Brandeis et titulaire d’un MBA d’une université italienne, a travaillé au sein et en dehors du gouvernement à divers postes de conseillère avant de rejoindre la Standard Chartered Bank. L’un de ses rôles les plus intéressants a été celui de Conseillère du Général Michael Flynn en Afghanistan, à l’époque où ce dernier collaborait avec son père à un livre qui a finalement été publié en 2016, intitulé The Field of Fight : How We Can Win the Global War Against Radical Islam and its Allies. Le livre affirme qu’une guerre mondiale est en cours :
« Nous sommes confrontés à une coalition active qui s’étend de la Corée du Nord et de la Chine à la Russie, l’Iran, la Syrie, Cuba, la Bolivie, le Venezuela et le Nicaragua ».
Comme on pouvait s’y attendre, le livre affirme que l’Iran est au centre de ce qui est une alliance anti-américaine.
On peut bien sûr se demander dans quelle mesure Simone a absorbé les vues de son père et est d’accord avec elles, mais sa nomination est une indication supplémentaire, avec les postes précédemment attribués à John Bolton, Mike Pompeo et Elliot Abrams, que l’Administration Trump a l’intention de poursuivre une politique agressive dure au Moyen-Orient et ailleurs. C’est aussi une indication malheureuse que les néocons, déclarés morts après l’élection de Trump, sont de retour et reprennent leur lobbying pour obtenir les postes de pouvoir qui permettront une guerre sans fin, à commencer par l’Iran.
Traduit par Michel, relu par jj pour Le Saker Francophone
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