Par Raul Diego – Source Mint Press News via lesakerfrancophone.fr
La récente sortie de Josep Borrell, responsable de la diplomatie européenne et homme à l’écoute de George Soros, illustre les lignes de fractures géopolitiques contemporaines que nous décrivons régulièrement sur Strategika. A savoir celles qui voient s’opposer : le néo-occidentalisme promu par l’administration Trump et ses alliés, le globalisme “sorosien” post-national et la montée des puissances eurasiatiques considérées comme des puissances géopolitiques “révisionnistes” par l’administration Trump. Josep Borell est par ailleurs opposé à la politique soutenue par Trump et Netanyahu en Israël. Comme une grande partie de la gauche “sorosienne” en Europe et aux États-Unis de Merkel à Obama, Josep Borell est favorable à une solution politique à deux États. Pierre-Antoine Plaquevent pour Strategika.
Un changement significatif dans l’équilibre mondial des pouvoirs est peut-être en vue si l’on en croit les déclarations faites par le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, lors de son discours devant un groupe d’ambassadeurs allemands lundi à Bruxelles. M. Borrell aurait « créé un casse-tête diplomatique » lorsqu’il a appelé à la fin du « système dirigé par les Américains » et a plaidé pour l’avènement d’un « siècle asiatique » centré sur la stabilisation des relations entre l’Europe et la Russie.
Borell a déjà froissé quelques plumes, en début de semaine, lorsqu’il s’est publiquement opposé à « toute initiative israélienne visant à l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie », mais il s’est abstenu de proposer la moindre mesure concrète que l’UE pourrait prendre pour freiner les abus israéliens dans la région, déclarant que l’UE se limiterait à « une action diplomatique afin d’éviter toute action unilatérale » d’Israël à Gaza, malgré la demande de plusieurs nations européennes de prendre des mesures punitives contre l’État apartheid.
Néanmoins, les derniers commentaires de M. Borell devant les ambassadeurs allemands sont remarquables par le simple fait que l’Allemagne est sur le point de prendre la présidence de l’UE, ainsi que du Conseil de sécurité des Nations unies en juillet, ce qui donne une résonance particulière aux paroles du chef de la diplomatie de l’UE et peut indiquer une nouvelle phase dans le grand jeu géopolitique atlantiste.
Jouer sur les deux tableaux
M. Borell, un politicien espagnol qui a pris la tête de la diplomatie européenne en décembre 2019, est à cheval sur la ligne de démarcation que l’Europe a adoptée entre le fait de se ranger du côté des États-Unis pour diffamer la superpuissance asiatique en prétendant que celle-ci a voulu bloquer une enquête sur les origines du Coronavirus en début du mois et le fait de qualifier la Chine de « pays partenaire » dans un récent article qu’il a écrit dans plusieurs journaux européens.
En fin de compte, le rôle de l’Union européenne dans la promotion des desseins atlantiques en Asie dépend de sa capacité à jouer un rôle de médiateur dans les relations tendues entre les autres superpuissances mondiales – les États-Unis, avec son État mandataire, Israël – et la Chine. À cette fin, M. Borell appelle l’UE à « maintenir la discipline collective nécessaire » contre la menace de l’hégémonie économique chinoise dans sa sphère d’influence naturelle, qui comprend des nations comme l’Inde, le Japon, l’Indonésie et la Russie.
C’est pourquoi le message de M. Borell aux ambassadeurs allemands portait sur le rétablissement des relations avec la Russie de Poutine et le renforcement des liens « avec le reste de l’Asie démocratique », suggérant que l’UE devrait apporter tout son soutien au port russe de Vladivostok et aux voies de transport transsibériennes afin de contourner l’initiative chinoise des « Nouvelles routes de la soie » et d’affaiblir ainsi sa position en Asie.
Les liens commerciaux étroits entre l’Allemagne et la Russie ont été une pomme de discorde récurrente due à l’intransigeance des Américains à l’égard de Poutine ces dernières années, et alors que la nation teutonne se prépare à assumer un rôle de premier plan dans le gouvernement du bloc des 27 nations et à l’ONU, il semble que la tactique atlantiste soit en train d’être modifiée, car ils découvrent que les stratégies appliquées jusqu’à présent ne font que rapprocher les ennemis.
Remplir le baril de poudre
Alors que la partie d’échecs géopolitique continue de se dérouler dans le cadre de cette crise économique mondiale induite par la pandémie, le véritable objectif d’Israël en tant que pivot de l’ensemble du projet atlantiste pourrait bientôt être révélé au monde.
Si le rapprochement de l’UE avec la Russie porte les fruits escomptés et que le Kremlin commence effectivement à resserrer ses liens avec l’Europe plutôt qu’avec la Chine, l’équilibre des forces s’éloignera de l’axe États-Unis-Israël, au moins momentanément. Mais cela préparera également le terrain pour ce que Borell a exprimé – peut-être seulement intuitivement – comme la « pression pour choisir son camp ».
L’UE est le plus grand partenaire commercial d’Israël et Borell lui-même a souligné qu’il était important pour l’Europe d’avoir « la meilleure relation avec Israël » alors qu’un nouveau gouvernement de coalition entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz commence enfin à prendre forme dans l’État du Moyen-Orient. La rhétorique de Borell sur le soutien à la souveraineté palestinienne pourrait n’être qu’un os jeté aux membres les plus consciencieux de l’UE afin que la « discipline collective » susmentionnée puisse être réalisée et que la Russie puisse être attirée dans le giron et mettre un terme à tout nouveau développement des relations sino-russes.
La position américaine à propos Israël est sans ambiguïté et, outre son scandaleux subventionnement permanent de l’État israélien, le gouvernement étasunien soutient totalement ses plans d’annexion les plus ambitieux à Gaza et au-delà, en totale contradiction avec la position que plusieurs pays européens adoptent actuellement.
Une fois que les couloirs économiques auront été lancés et que la Russie se joindra à eux pour servir de route de la soie aux atlantistes dans toute l’Asie – sans parler de l’« énorme potentiel d’investissement » de la Russie dans les « ressources naturelles, la pêche et le tourisme » – une Chine plus isolée pourrait devenir fatalement vulnérable à une guerre provoquée par Israël et Washington, que l’UE – à ce moment-là – n’aura peut-être pas d’autre choix que de soutenir.
Raul Diego
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone
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