S’il y a une chose que la crise actuelle nous permet de constater, c’est bien la prédominance des femmes dans les secteurs de la santé, des soins et des services dont le personnel est le plus à risque d’être exposé au virus, mais surtout des secteurs marqués par la précarité de l’emploi, les bas salaires et des conditions difficiles.
Une preuve parmi d’autres que l’égalité de fait entre les sexes n’est pas encore atteinte au Québec, tel qu’en fait foi le Portrait des Québécoises de 2018 du Conseil du statut de la femme. Si la situation particulière des femmes n’est pas prise en compte dans la relance économique de l’après-pandémie, ces écarts qui subsistent au chapitre de la rémunération et des conditions de travail pourraient bien se creuser davantage, quitte à fragiliser les gains réalisés par les femmes au fil des années.
Dans un article de la Gazette des femmes de dimanche dernier1, l’économiste Louise Champoux-Paillé désigne l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) comme le moyen de s’assurer que les femmes bénéficient, autant que les hommes, de la relance économique. L’ADS au Québec et l’ACS (analyse comparative entre les sexes) au fédéral découlent des accords de la Conférence des Nations unies sur les femmes de Pékin de 1995. Ce sont des approches de gestion permettant d’intégrer progressivement le principe d’égalité à l’ensemble des décisions gouvernementales.
Or, des dérives sémantiques nous font craindre l’effritement d’un tel outil si précieux pour les femmes. Ainsi, le gouvernement fédéral demande maintenant aux ministères de n’utiliser qu’exceptionnellement des renseignements relatifs au sexe biologique, privilégiant la collecte d’information liée au « genre », une notion subjective qui relève du ressenti de la personne2. Qui plus est, l’ACS+ est présentée comme un moyen de promouvoir « une meilleure compréhension des recoupements entre le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre et d’autres facteurs identitaires ». Il y a là une véritable déviation de l’ACS qui devait analyser les impacts des lois sur les femmes, et qui est maintenant élargie aux hommes s’identifiant comme femmes et aux hommes gais, bisexuels ou queers.
Ces changements de concepts sont basés sur l’idée que la véritable identité sexuelle de la personne relèverait du ressenti, et que, conséquemment, un homme — personne dont le sexe biologique est masculin — qui se sent femme peut entrer dans la catégorie des femmes.
Or, si le sexe n’est plus une catégorie objective, sur quelle caractéristique commune les femmes pourront-elles s’appuyer pour faire respecter leurs droits ?
L’invisibilisation des femmes dans le concept de « genre »
Même si l’identité et l’expression de genre ont été ajoutées à la Charte canadienne comme motif de distinction illicite, cela n’a pas remplacé le sexe, qui est le motif à la base des droits des femmes dans les chartes et les conventions internationales.
C’est en effet sur la base de leur sexe que les femmes ont besoin de protection par des programmes spéciaux liés à la grossesse et à la maternité. C’est sur la base de leur biologie que reposent les acquis des femmes en matière de compétitions sportives féminines, d’inclusion dans des métiers traditionnellement masculins ou dans l’aménagement d’espaces publics protégés.
Les données sur le sexe servent ainsi à évaluer l’efficacité des mesures visant à favoriser l’intégration des femmes au marché du travail et les écarts économiques entre les hommes et les femmes, à définir le portrait des violences faites aux femmes ou encore à déterminer les budgets alloués aux maisons d’hébergement et aux programmes d’aide pour les femmes.
Or, le Secrétariat du Conseil du Trésor indique que la mention de genre sera maintenant la norme et, qui plus est, c’est le secrétariat LGBTQ2 qui indiquera aux ministères quand et comment les marqueurs de sexe et de genre devront être collectés3.
Comment expliquer l’exclusion des femmes d’un processus décisionnel pour un outil créé pour elles ?
La dissolution des femmes dans le concept d’identité de genre commence d’ailleurs à se faire ressentir. Sur le site de l’ACS+, la violence faite aux femmes est englobée dans les actes de violence « perpétrés contre une personne en raison de son identité ou de son expression de genre, ou de son identité présumée ». Comment pourra-t-on encore mesurer les effets des violences sur les femmes si celles-ci sont englobées dans une notion plus large de violences pouvant affecter autant les femmes que les hommes, pour des motifs différents ?
En 2018, la Ville de Montréal a, quant à elle, mis sur pieds un projet pilote visant à intégrer l’ADS+ dans son processus décisionnel dans l’objectif d’« intégrer les discriminations systémiques ». Les femmes deviennent une « catégorie » parmi tant d’autres, en dépit du fait qu’elles représentent 50 % de la population, et en dépit des engagements du Canada à Pékin. L’outil a été en quelque sorte dévoyé de son objectif initial d’atteindre l’égalité des sexes, pour être maintenant utilisé à d’autres fins comme l’impact des politiques sur les personnes âgées, les immigrants ou les communautés LGBTQ2.
Heureusement, le gouvernement du Québec n’a pas adopté ces détournements de concepts dont la conséquence est d’invisibiliser les femmes. Nous espérons instamment que l’ADS sera utilisée, à bon escient, pour s’assurer d’intégrer pleinement la moitié de la population que représentent les femmes dans la relance économique, et reconnaître ainsi le droit des femmes à l’égalité.
1 Louise-Champoux Paillé, L’ADS, un outil essentiel pour l’après-pandémie, 28 mai 2020. https://gazettedesfemmes.ca/19018/lads-un-outil-essentiel-pour-lapres-pandemie
2 https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/organisation/rapports/sommaire-moderniser-info-sexe-genre. html
3 Memorandum « 2018 accomplishments on LGBTQ2 issues », Cabinet du premier ministre, 15 janvier 2019
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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec