La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre a engendré un grand nombre de discours et de questionnements. On peut même presque dire qu’elle a monopolisé les esprits à tel point que des spéculations de toutes sortes ont vu le jour. Parmi ces spéculations, certaines théories du complot ont fait surface en mettant sur la table cette probabilité que la pandémie soit une étape d’un plan préalablement orchestré par des puissances obscures. En effet, par-ci par-là, on entend dire que le virus aurait été conçu en laboratoire, que la peur collective entretenue par les médias et le discours politique ne servent qu’à justifier la mise en place d’un programme de vaccination de masse ou, pire encore, d’un système de puce intégrée qui permettrait un contrôle généralisé. Si ces lectures des évènements rendent bien compte de la situation, alors la perspective des pires dystopies est indéniable. Aussi, il ne serait pas erroné de voir dans l’agitation et dans les angoisses exprimées de part et d’autre un sentiment collectif d’impuissance et de dépossession face à cette destinée.
Bref, dans cet article, je laisserais de côté la question de la véracité ou non de ces théories pour mettre en lumière ce qu’elles nous enseignent de par leur présence. D’une part, elles expriment un sentiment de méfiance vis-à-vis des médias et de l’autorité instituée, d’autre part, elles montrent que la population est bien consciente ou, du moins, subconsciente que l’économie est devenue une science que l’humain ne maitrise plus. Mais quels sont, en fait, les liens qu’on pourrait établir entre complotisme et économie ?
Dans le cadre de cette réflexion, l’économie m’est apparue non seulement comme une structure, un principe organisationnel, mais principalement comme un système de conditionnement au sens psychologique de ce mot, c’est-à-dire une technique qui permet d’induire une réponse spécifique à partir d’un stimulus artificiel. Les comportementalistes l’ont démontré à maintes reprises : la motivation a son origine dans l’espoir d’une satisfaction, d’une valorisation, d’une gratification. Économiquement parlant, cette gratification prend globalement la forme d’un gain en argent.
Concrètement, l’argent constitue la principale motivation du travail, car il permet d’obtenir des droits sur des biens et d’en jouir. Mais surtout, ce qu’il faut retenir, c’est que l’argent permet d’obtenir du pouvoir et de « la reconnaissance sociale ». Dans une société qui valorise prioritairement celui qui possède de l’argent, il serait presque naïf de rejeter la simple idée selon laquelle des gens pourraient trouver intérêt à se mettre ensemble pour maximiser leur profit et donc, in fine, leur pouvoir, fut-ce de manière illégitime. Preuve s’il en faut une est l’existence des organisations criminelles qui trouvent leurs racines dans le conditionnement économique ci-dessus mentionné. En effet, chacun de nous peut deviner l’avantage que pourrait avoir une collaboration entre les industries pharmaceutiques et les industries agroalimentaires, entre les organes étatiques et la finance ou encore entre les médias et les agences commerciales. Dans ce contexte, est-il étonnant de voir fleurir ici et là des théories du complot ? L’idée de ces collusions est-elle dépourvue de toute pertinence ? Cette idée ne nous inspire-t-elle pas d’emblée quelque chose qui s’apparente à l’image effroyable du pompier pyromane ? À qui profite le jeu qui consiste à directement discréditer ces théories sans réfléchir à leur raison d’être ? Mais enfin et surtout : est-ce ce type de société que nous voulons ?!
Chacune et chacun pourra réfléchir à ces questions, ce que je veux souligner surtout c’est que la primauté de l’économie dans l’organisation sociale implique une dépendance pathologique (qui n’a rien à voir avec le leitmotiv de liberté de l’idéologie dominante) et un système de valeurs renversé où toutes les issues tragiques sont imaginables. En un sens, il n’est pas exagéré de dire que nous en faisons déjà les frais. En effet, nous le savons que trop bien : ce qui a de la valeur aujourd’hui, ce n’est pas la vertu, la citoyenneté ou la bonté, c’est la possession d’argent. Alors, certes, chacun est libre de mépriser le pouvoir de l’argent et de choisir pour soi ou pour sa famille un style de vie alternatif. Il n’en demeure pas moins que l’argent n’est pas juste accessoire, il est également ce qui nous permet de survivre dans ce système. Dès lors, nous sommes tous contraints de respecter son dictat et d’en être complices bon gré mal gré.
Finalement, ce que je voulais montrer par cet article, c’est que les théories du complot sont symptomatiques d’une société dans laquelle l’inversion des valeurs est telle que la confiance envers les classes dirigeantes est défaillante. Sur ce, je veux conclure en ajoutant qu’il est de notre responsabilité individuelle et collective de réagir, nationalement et internationalement, à ce renversement et à ses conséquences logiques. La crise sanitaire actuelle combinée aux crises écologiques et à la question migratoire renforcent cette urgence. Fort de ce qui précède, n’y aurait-il pas nécessité à une insurrection des consciences qui force les politiques et la communauté scientifique à mesurer toute l’importance d’une marche collective vers un monde nouveau dans lequel la vérité se base sur une économie au service de la vie et non l’inverse ?
Luca V. Bagiella
Pully, le 10 mai 2020
Luca V. Bagiella, doctorant en sciences sociales et en philosophie à l’Université de Lausanne, cofondateur et coordinateur de consciences-citoYennes.ch, réseau en faveur d’une transition citoyenne. Auteur de Narcissisme-critique paru en 2016 chez l’éditeur Hélice Hélas et disponible en librairie (280 pages).
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