Par Martin Sieff − Le 9 mai 2020 − Source Strategic Culture
Une guerre froide ou une compétition mondiale n’était pas la vision du président américain Franklin D. Roosevelt pour le monde de l’après-Seconde Guerre mondiale. Il considérait l’Union soviétique et les États-Unis, les peuples russe et américain comme les deux meilleurs partenaires et les plus fiables pour maintenir la paix dans le monde. Soixante-quinze ans ont prouvé que sa vision prémonitoire était juste. Pourtant, les dirigeants américains de la Fausse Droite et de la Fausse Gauche ont désormais abandonné cette vision pour des politiques de globalisation chaotiques et des guerres éternelles.
On oublie toujours que Franklin Roosevelt a été un témoin oculaire personnel de la catastrophique conférence de paix de Versailles en 1919. FDR n’était pas un enfant. Il avait alors près de 40 ans et avait été sous-secrétaire à la Marine, le civil en charge des opérations de toute la marine américaine, pendant plus de six ans, y compris pendant la Première Guerre mondiale.
Roosevelt a très clairement reconnu, à l’époque, que le président mégalomane Woodrow Wilson avait complètement détruit la paix et le bonheur futurs du monde entier du haut de son arrogance blasphématoire et de son incompétence totale. Des décennies d’observation et de réflexion ont montré comment les visions éthérées de Wilson au sujet d’un monde refait selon le principe de l’autodétermination des nations n’étaient qu’une recette pour des bains de sang intarissables, et plus de chaos.
Le gâchis monumental de Wilson à Versailles a également conduit les États-Unis à se retirer de la scène mondiale pendant plus de 20 ans.
Roosevelt avait une vision très différente du monde à venir après 1945. Il était animé par l’idée que les États-Unis et l’Union soviétique n’avaient pas à s’aimer, ni à ignorer leurs intérêts nationaux très différents, mais qu’ils devaient rester partenaires dans la grande tâche de maintenir la paix mondiale. Mais tragiquement, cette vision n’a pas survécu à sa mort par hémorragie cérébrale le 12 avril 1945.
Le successeur de Roosevelt, Harry Truman, a soudainement, et sans même donner un avertissement diplomatique de courtoisie, arrêté toute aide du Prêt-Bail à l’Union soviétique : c’est la décision qui a vraiment déclenché la guerre froide.
Truman a ensuite abandonné la détermination, sage et visionnaire, de Roosevelt de forcer les anciennes puissances européennes, la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas à accorder immédiatement l’indépendance, ou au moins à lancer un processus vers cet objectif, dans la plupart de leurs anciennes colonies en Afrique et en Asie.
Au lieu de cela, Truman a apporté un soutien financier et militaire américain aux tentatives frénétiques des Britanniques et des Français de garder l’essentiel de leurs empires. Cette décision a conduit directement à deux des guerres post-coloniales les plus terribles menées par les Français pour s’accrocher à l’Algérie et à l’Indochine, composée alors du Vietnam moderne, du Cambodge et du Laos.
Trente autres années de guerres et des fleuves de sang innocent couleraient avant que les conséquences inévitables auxquelles Franklin Roosevelt était parvenu en 1945 ne se produisent de toute façon.
C’est un consensus presque unanime parmi les historiens occidentaux de considérer Roosevelt comme naïf et enfantin, face à Joseph Staline et au communisme international. Au lieu de cela, le successeur de FDR, Truman, a été encensé comme une figure bien plus importante et un grand héros qui aurait sauvé l’Occident de la conquête soviétique [Hiroshima et Nagasaki, c’est lui, NdT].
Mais deux ouvrages récents remarquables de Susan Butler – «Roosevelt et Staline» – et Nigel Hamilton – «Guerre et paix : l’odyssée finale de FDR» – documentent et présentent une image très différente.
Malgré leurs nombreuses différences, Roosevelt avait réussi à forger un partenariat efficace avec Staline pour créer un nouveau système mondial stable et durable dans lequel les deux superpuissances dominantes pourraient travailler ensemble pour maintenir la paix mondiale.
En effet, loin de manipuler Roosevelt, comme tant d’écrivains occidentaux, néoconservateurs et néolibéraux, l’ont clamé sans réfléchir pendant tant de décennies, Staline a été très affecté, et profondément déprimé par le décès de FDR. Et comme il s’agissait de Staline, sa première réaction a été de charger le formidable appareil d’espionnage soviétique d’enquêter pour savoir si FDR avait été effectivement assassiné par des extrémistes de son propre gouvernement.
Ce n’était pas le cas. Au contraire, comme le montre Hamilton, FDR a connu un effondrement catastrophique de sa santé après son retour de la conférence d’octobre 1943 à Téhéran avec Staline et Winston Churchill. Cela a été presque certainement provoqué par les rigueurs subies par un homme déjà gravement malade, volant dans des avions non pressurisés à plus de 10 000 pieds pendant de longues périodes.
En effet, comme Hamilton le montre pas à pas, le cardiologue en chef de Roosevelt, le Dr Howard Bruenn, a réalisé des prodiges pour garder un mourant apte au rôle de chef des États-Unis pendant encore dix-huit mois, presque jusqu’à la conclusion victorieuse de la guerre contre l’Allemagne nazie.
Franklin Roosevelt est décédé à l’âge de 63 ans après des années de problèmes cardiaques sans cesse évolutifs. Son père James était mort des mêmes causes. Son cousin, le président Theodore Roosevelt est décédé à l’âge de 61 ans après des années de problèmes de santé comparables. Le fait extraordinaire des dernières années de FDR n’est pas qu’il soit mort si tôt mais qu’il ait vécu si longtemps.
Il est tragique que FDR n’ait pas vécu pour célébrer le jour de la victoire sur le fléau nazi qu’il avait tant combattu. Il l’a raté de seulement quatre semaines.
Il est beaucoup plus tragique que FDR soit mort avant qu’il ne puisse prendre les mesures cruciales pour institutionnaliser un partenariat fondamental entre les États-Unis et l’URSS sur une base durable, et forcer les Européens à ouvrir à leurs colonies émergentes un chemin clair et honnête vers la liberté.
Si les dirigeants du Parti démocrate d’aujourd’hui souhaitaient vraiment raviver les grandes réalisations et l’héritage de leur plus grand chef, ils mettraient immédiatement fin à toutes les guerres inutiles qu’ils ont applaudies, réclamées et provoquées dans le monde entier, et ils rétabliraient immédiatement le partenariat vital avec la Russie qui a été la clé du succès dans la guerre.
Si FDR pouvait revenir aujourd’hui, il serait horrifié, enragé et méprisant, pour ceux qui, prétendant être ses successeurs, diabolisent inutilement une Russie non communiste et non agressive, libre et ouverte à un degré que nul en Occident, à son époque, n’aurait jamais pu imaginer.
Surtout, il aurait été dégoûté, au-delà de tout, de voir les États-Unis s’engager si profondément dans des guerres sans fin inutiles au Moyen-Orient, en Asie et en Europe de l’Est, guerres sans objectif et donc sans fin possible, guerres d’attrition éternelles et futiles.
Franklin Roosevelt n’aurait pas célébré le jour de la victoire soixante-quinze ans après sa mort avec son rire habituel, fort et généreux. Il n’aurait pu qu’en pleurer.
Martin Sieff
Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone
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