« Quand, pour ce qui est de l’Archipel, tout l’essentiel aura été enfin écrit, lu, compris, ne restera-t-il pas encore à comprendre ce qu’a été notre liberté ? Ce qu’a été ce pays qui, pendant des dizaines d’années, a eu à se coltiner l’Archipel ?
J’ai eu à vivre avec une tumeur grosse comme le poing d’un homme. Cette tumeur m’empêchait de manger, de dormir, se faisait sentir à tout moment — bien qu’elle n’excédât pas 0,5 % de mon corps, alors que l’Archipel faisait environ 8 % du pays. Le plus terrible n’était pas qu’elle comprimait et repoussait les organes voisins, mais qu’elle sécrétait des poisons qui intoxiquaient mon corps tout entier.
Ainsi notre pays a été peu à peu intoxiqué par les poisons de l’Archipel, et Dieu seul sait s’il pourra jamais les éliminer.
Bien que ce ne soit pas l’objet de notre livre, essayons d’énumérer brièvement les traits de notre vie libre que déterminait le voisinage de l’Archipel ou qui avaient avec lui une communauté d’expression.
Une crainte perpétuelle
Le lecteur s’est déjà aperçu que les années 1935, 1937, 1949 n’épuisaient pas le décompte des envois massifs sur l’Archipel. Le recrutement était continu. Comme il n’est pas d’instant sans une naissance ou une mort, de même il n’y avait pas d’instant sans une arrestation. Sur l’Archipel, tout planqué sentait sous ses pieds le gouffre — mortel — des travaux généraux ; de même, chaque habitant du pays sentait sous ses pieds le gouffre — mortel — de l’Archipel. En apparence, le pays est beaucoup plus grand que l’Archipel ; en fait, tout entier avec ses habitants, il tient suspendu au-dessus de sa gueule béante.
La peur n’avait pas toujours pour motif l’arrestation. Il y avait des degrés intermédiaires : purge, vérification d’identité, questionnaire à remplir, licenciement, privation du droit de séjour, mesure d’éloignement ou exil. Les questionnaires d’enquête étaient rédigés de façon si détaillée, si insidieuse que la majorité des habitants se sentaient en défaut et attendaient dans la terreur le moment où ils allaient devoir le remplir.
De la peur généralisée découlait inéluctablement le sentiment de n’être rien, de ne jouir d’aucun droit.
On a raison de dire : la prison a tellement imprégné notre vie que des expressions simples, riches de sens, comme « pris », « y aller », « il y est », « sorti », même hors de tout contexte, n’ont chez nous qu’une seule signification pour tous.
L’insouciance est un sentiment que nos concitoyens n’ont jamais connu.
La dissimulation, la méfiance
Ces sentiments ont remplacé la franche cordialité et l’hospitalité d’antan — qui subsistaient encore dans les années vingt. Ces sentiments sont la défense naturelle de toute famille et de tout individu, d’autant plus que nul ne peut quitter son travail ni partir, et que chaque vétille est scrutée et épiée pendant des années.
Cette défiance générale et mutuelle creusait toujours plus profondément la fosse commune de l’esclavage. À peine commençais-tu à t’exprimer avec franchise que tous s’écartaient : « provocation » ! C’est ainsi que toute protestation sincère qui arrivait à percer était vouée à l’isolement et à l’incompréhension.
L’ignorance général
Secrets et méfiants les uns envers les autres, nous avons nous-mêmes contribué à ce que s’installe parmi nous une absence totale de transparence, une désinformation absolue, cause première de tout ce qui est arrivé : les millions d’arrestations et leur approbation massive. Sans communiquer entre nous, sans crier ni gémir, sans rien apprendre les uns des autres, nous nous sommes livrés aux journaux et aux orateurs officiels. Chaque jour on nous refilait une nouvelle émoustillante, comme une catastrophe ferroviaire quelque part à cinq mille kilomètres — et que l’on attribuait à un sabotage. Mais ce qui nous était nécessaire, ce qui s’était passé le jour même dans notre cage d’escalier, aucun moyen de le savoir.
Comment devenir un citoyen quand on ne sait rien de ce qui se passe autour de soi ? Une fois pris au piège, on savait, mais trop tard.
Le mouchardage
Développé au-delà de l’inimaginable. Des centaines de milliers d’« agents opérationnels », à découvert dans leurs bureaux officiels, ou dans des pièces d’apparence bénigne des bâtiments publics, ou dans des appartements clandestins, n’épargnant ni le papier ni leurs loisirs, recrutaient inlassablement — puis convoquaient pour se faire remettre leurs rapports — un nombre de mouchards sans aucune commune mesure avec les besoins du renseignement. Manifestement, par ce recrutement de masse, on voulait, entre autres buts, que chaque citoyen sentît dans sa nuque le souffle exhalé par les naseaux des organes de renseignement ; que dans chaque réunion, dans chaque salle de travail, dans chaque appartement il se trouvât un mouchard ou que tous craignissent qu’il y en eût un.
La traîtrise comme forme d’existence
À force de craindre, pendant des années, continuellement, pour soi et pour les siens, on devient tributaire de la peur, son vassal. Trahir continuellement apparaît alors comme la forme d’existence la moins dangereuse.
La traîtrise la plus bénigne, mais en revanche la plus répandue, consistait à ne pas faire expressément le mal, mais : à ignorer celui qui, à tes côtés, était en perdition, à ne pas lui venir en aide, à te détourner, à te faire tout petit. On vient d’arrêter ton voisin, ton compagnon de travail, voire ton proche ami.Tu te tais, tu fais semblant de ne rien avoir remarqué — en aucune façon tu ne peux te permettre de perdre l’emploi dont tu jouis aujourd’hui ! À l’assemblée générale, on annonce que le disparu d’hier était un ennemi juré du peuple. Et toi qui as passé vingt ans avec lui, penché sur la même table, tu dois aujourd’hui par ton noble silence — si ce n’est par un réquisitoire — montrer que tu n’as rien à voir avec son crime — tu dois faire ce sacrifice pour ta chère famille, pour tes proches ! de quel droit ne t’en soucierais-tu pas ? Mais le disparu a laissé une femme, une mère, des enfants, ceux-là du moins tu devrais les aider ? Non, non, c’est trop dangereux : c’est la femme d’un ennemi, la mère d’un ennemi, les enfants d’un ennemi — or les tiens ont encore devant eux de longues années d’études.
Celui qui donne asile est lui aussi un ennemi ! Ennemi celui qui vient en aide ! Ennemi celui qui reste fidèle à l’amitié ! Et le téléphone de la famille maudite se tait. Le courrier n’arrive plus. Dans la rue, on ne les reconnaît pas, on ne leur serre pas la main, on ne les salue point. À plus forte raison ne les invite-t-on pas, ne leur prête-t-on pas d’argent. Dans le bouillonnement d’une grande cité, ils se retrouvent comme en plein désert.
La situation des familles des détenus est bien connue. V. Ia. Kavéchane, de Kalouga, raconte : « Après l’arrestation de mon père, tous nous ont fui comme des pestiférés, j’ai dû abandonner l’école tellement j’ai été traqué par mes camarades — graines de traîtres ! graines de bourreaux ! — et ma mère a été chassée de son travail. Nous étions réduits à la mendicité. »
La famille d’un Moscovite arrêté — une mère et ses enfants — avait été amenée par la police à la gare, en 1937 : on l’expédiait en exil. Soudain, au moment où ils traversaient la gare, l’un des enfants — un gamin d’une huitaine d’années — disparut. Les policiers eurent beau s’évertuer, ils ne le retrouvèrent pas. La famille fut exilée sans la gamin. Ce dernier, on le sut plus tard, avait plongé sous le tissu rouge qui enrobait le haut piédestal du buste de Staline et resta là jusqu’à ce que la menace se fut éloignée. Il revint ensuite chez lui : l’appartement était sous scellés. Il se rendit chez les voisins, chez les amis et les relations de papa et de maman, mais aucune famille ne l’accueillit en son sein, personne ne l’hébergea, ne fut-ce que pour une nuit. Et il alla se livrer à l’Assistance publique… Contemporains ! Concitoyens ! Reconnaissez-vous là votre mufle ?
Se tenir à l’écart était le degré le plus bénin de la traîtrise. Il y en avait bien d’autres, de ces degrés tentateurs ! Et tant de personnes les ont dévalés !
À combien de reniements n’assista-t-on pas alors, en public ou dans la presse ! « Je soussigné, à partir de tel jour, renie mon père et ma mère en tant qu’ennemis du peuple soviétique. » C’était le prix de la vie.
Ceux qui n’ont pas vécu à cette époque — ou qui de nos jours ne vivent pas en Chine — ne peuvent pratiquement pas comprendre ces reniements ni les absoudre. Dans une société ordinaire, un homme vit ses soixante ans sans jamais se trouver dans les tenailles d’un tel dilemme, il est persuadé de son honnêteté comme le sont ceux qui feront le discours sur sa tombe. On quitte la vie sans savoir dans quel abîme de mal on aurait pu tomber.
La gale généralisée des âmes ne se répand pas dans la société en un clin d’œil. Dans les années vingt et au début des années trente, beaucoup avaient encore gardé chez nous une âme et certaines idées de l’ancienne société : venir en aide à ceux qui sont dans le pétrin, intercéder pour les malheureux. Il est un délai minimum de corruption en deçà duquel le grand Appareil ne peut venir à bout d’un peuple. Pour la Russie, il a fallu vingt ans.
En évaluant le rôle de l’année 1937 pour ce qui est de l’Archipel, nous nous sommes refusé à considérer cette année comme son couronnement. Mais, pour ce qui est du pays resté libre, 1937 marqua le comble de sa corrosion : on peut dire que cette année-là précisément a brisé l’âme de la partie libre de notre pays, et l’a corrompue jusqu’en ses tréfonds.
Pourtant, ce ne fut pas encore la fin de notre société ! — La fin, nous nous en apercevons aujourd’hui, n’est jamais survenue. Un mince filet de la Russie vivante s’est perpétué, a survécu jusqu’à des jours meilleurs, jusqu’à 1956, et, à plus forte raison aujourd’hui, il ne mourra plus. La résistance ne se manifestait pas au grand jour, elle n’a pas marqué cette époque de dégradation générale, mais dans ses invisibles veinules le sang chaud n’a jamais cessé de battre, de battre, de battre.
En ces temps terribles, quand les affres de la solitude on brûlait les journaux intimes, les photos et les lettres les plus chères, quand chaque papier jauni dans l’armoire familiale se déployait soudain en une flamboyante fougère de mort et ne demandait qu’à se jeter de lui-même dans le poêle, quel courage ne fallait-il pas pour conserver, pour ne pas brûler durant des milliers et des milliers de nuits les manuscrits d’un condamné — comme Florenski — ou d’un réprouvé notoire — comme le philosophe Fiodorov ! Comme devait apparaître antisiovétique, clandestin, dangereusement subversif le récit de Lidia Tchoukovskaïa, Sofia Pétrovna ! Il fut conservé par Isidore Glikine. Dans Leningrad assiégé, pressentant sa mort, il se traîna à travers toute la ville pour le remettre à sa sœur, et le récit fut sauvé.
Chaque acte de résistance exigeait un courage sans commune mesure avec l’importance de cet acte. Il était moins dangereux sous Alexandre II de garder chez soi de la dynamite que d’héberger sous Staline l’orphelin d’un ennemi du peuple ; pourtant, bien des enfants dans cette situation ont été recueillis et sauvés — ce serait aux enfants eux-mêmes de le raconter. Et l’aide secrète aux familles, elle a existé ! Et il se trouvait toujours quelqu’un pour remplacer la femme d’un prisonnier dans une queue de trois jours et trois nuits sans espoir — afin qu’elle pût se réchauffer et dormir un peu ; pour aller avertir, le cœur battant la chamade, qu’un piège était tendu dans l’appartement et qu’il ne fallait pas y retourner. Une jeune employée de la censure militaire (Riazan, 1941) déchira la lettre compromettante d’un soldat du front qu’elle ne connaissait pas, mais on la vit jeter les morceaux dans le panier, on reconstitua la lettre, et c’est la jeune fille qui fut coffrée. Elle s’était sacrifiée pour un inconnu !
Il est bien commode aujourd’hui d’affirmer que les arrestations étaient une loterie. Une loterie, soit, mais certains numéros étaient bel et bien marqués. Il y avait des coups de filet généraux, on arrêtait d’après les normes établies à l’avance, certes, mais le moindre contradicteur public était ramassé sur-le-champ. C’était donc bien là une sélection des âmes et non une loterie ! Les téméraires s’exposaient à la hache, prenaient le chemin de l’Archipel, et rien ne venait plus troubler le tableau monotone de la soumission des hommes restés en liberté. Les départs se faisaient sans bruit, ils passaient presque inaperçus. Or avec eux mourait l’âme du peuple.
Le mensonge comme forme d’existence
Ceux qui ont cédé à la peur, ceux qui se sont laissé gagner par la cupidité, par l’envie, ne peuvent cependant s’abêtir avec autant de célérité. Si leur âme est polluée, l’intelligence reste relativement lucide. Et si nous lisons le message suivant, adressé par des membres de l’enseignement supérieur au camarade Staline :
« En élevant notre vigilance révolutionnaire, nous allons aider notre glorieux service de renseignements, dirigé par le fidèle disciple de Lénine, le commissaire stalinien du peuple Nikolaï Iéjov, à débarrasser complètement nos établissements d’enseignement supérieur ainsi que tout notre pays des dernières ordures trotskisto-boukhariniennes et de toutes les autres canailles contre-révolutionnaires[1], »
nous n’allons tout de même pas prendre cette assemblée de mille personnes comme autant d’idiots, mais plus simplement comme autant de vils menteurs, résignés d’avance à être eux-mêmes arrêtés demain.
Le mensonge constant, à l’instar de la traîtrise, devient le plus sûr moyen de vivre sans danger. Chaque mouvement de la langue risque d’être perçu, chaque expression du visage d’être épiée par quelqu’un. Que dire alors des meetings braillards, des banales réunions lors de pauses de travail, où tu dois voter contre tes propres idées, faire semblant de te réjouir de ce qui en réalité t’attriste — un nouvel emprunt, un abaissement du salaire à la pièce, une contribution à verser pour une colonne de tanks, l’obligation de travailler le dimanche ou d’envoyer les enfants aider les kolkhoziens — et exprimer une colère véhémente alors que tu ne te sens nullement concerné — à propos d’actes de répression invisibles et impalpables aux Indes occidentales ou au Paraguay.
Et si seulement l’on pouvait s’en tenir à cela ! Mais il y a plus ; toute conversation avec les supérieurs, toute conversation au bureau du personnel, toute conversation en général avec un autre Soviétique implique le mensonge : tantôt fracassant, tantôt circonspect, tantôt relevant d’une approbation condescendante. Et si, entre quatre-z’yeux, un imbécile t’affirme que nous reculons jusqu’à la Volga pour attirer Hitler plus profondément dans nos terres, ou que les Américains déversent sur notre pays le doryphore du Colorado, il faut acquiescer, immanquablement, il le faut ; car si tu hoches la tête au lieu d’opiner du bonnet, tu risques de te retrouver sur l’Archipel.
Mais ce n’est encore pas tout : c’est qu’ils poussent, tes enfants ! S’ils sont déjà assez grands, vous ne devez pas, ta femme et toi, dire ouvertement en leur présence ce que vous pensez ; n’oubliez pas qu’on veut faire d’eux des Pavlik Morozov[2], ils n’hésiteront pas à refaire son geste héroïque. Si, par contre, vos enfants sont encore petits, il vous faut choisir le moyen le plus sûr de les élever : leur présenter d’emblée le mensonge comme la vérité — pour leur faciliter la vie — et dès lors ne cesser de mentir même en leur présence ; ou bien leur dire la vérité, mais tout en craignant qu’ils ne trébuchent et parlent trop ; il convient alors de leur faire aussitôt comprendre que la vérité tue et que, sitôt franchi le seuil de la maison, il leur faut mentir, mentir sans trêve, comme le font papa et maman.
Un choix à vous dégoûter d’avoir des enfants.
La cruauté
Comment voulez-vous qu’avec les qualités susdites se maintienne la bonté d’âme ? À repousser les bras des naufragés qui se tendent vers vous, comment préserver la bonté ? Une correspondante anonyme — au 15, rue de l’Arbat — s’interroge sur les « racines de cette cruauté » inhérente à « certains Soviétiques ». Pourquoi manifestent-ils d’autant plus de cruauté que leur victime est sans défense ? Et de donner un exemple que nous reproduisons, bien qu’à première vue il ne semble pas de première importance.
Hiver 43-44, gare de Tcheliabinsk, un auvent près de la consigne. Moins 25. Sous l’auvent, un sol cimenté sur lequel s’est plaquée une neige apportée par le vent et tassée par les pas. Au guichet de la consigne, une employée en veste ouatée ; devant le guichet, un milicien bien nourri et vêtu d’une canadienne. Ils ne remarquent rien, occupés qu’ils sont à flirter et à plaisanter. Or, par terre sont étendus deux hommes en hardes de coton ou en guenilles terreuses, dire d’elles qu’elles sont usées serait par trop les embellir. Ce sont de jeunes gars exténués, tout enflés, avec des croûtes sur les lèvres. L’un d’eux, apparemment fiévreux, applique sa poitrine nue contre la neige et gémit. Celle qui m’a fait ce récit s’approche d’eux et les interroge. L’un vient de purger sa peine dans un camp, un autre a été instrumenté[3] pour maladie, mais au moment de les libérer, on leur a délivré des papiers qui n’étaient pas en règle et maintenant on refuse de leur donner des billets pour qu’ils puissent rentrer chez eux. Quant à réintégrer le camp, ils n’en ont plus la force, épuisés qu’ils sont par la diarrhée. Elle s’apprête à leur donner à chacun un bout de pain, mais aussitôt le policier s’arrache à son joyeux entretien et lui dit d’un ton menaçant : « Alors, mémé, t’as trouvé de la famille ? Va-t-en plutôt d’ici, ils mourront bien sans toi. ». Elle se fit cette réflexion : qui sait s’il ne va pas me coffrer à mon tour ? (Et pourquoi pas, en effet ?) Et elle s’en fut.
Comme tout ici est bien représentatif de notre société : et qu’elle se soit fait cette réflexion, et qu’elle soit partie. Et ce policier impitoyable, et cette impitoyable employée en veste ouatée, et cette caissière qui leur avait refusé les billets et l’infirmière qui ne les aurait jamais admis à l’hôpital de la ville, et cet imbécile de pékin employé au camp qui avait mal rempli les papiers.
Cette vie, elle est devenue terrible, et l’on n’appellera plus le prisonnier, comme au temps de Dostoïevski et de Tchekhov, « mon malheureux » — mais bien plutôt « charogne ». En 1938, les écoliers de Magadane ont jeté des pierres sur une colonne de détenues qui traversait la ville (récit de Sourovtséva).
Et l’on peut continuer l’énumération. On peut mentionner encore une psychologie d’esclaves.
Et maints autres traits encore.
Mais, reconnaissons-le dès maintenant : si ça ne s’est pas fait tout seul, si Staline lui-même a élaboré tout cela point par point à notre intention, c’est qu’il était bel et bien un génie ! »
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Notes
[1] Message adressé par la Première conférence générale des travailleurs de l’enseignement supérieur de l’URSS au camarade Staline, Pravda du 20 mai 1938, p. 2.
[2] Le jeune Pavlik Morozov (1918-1932) dénonça son père comme koulak et fut tué par un groupe de paysans. Héros de la collectivisation, il fut longtemps proposé comme modèle à la jeunesse soviétique.
[3] Dans le glossaire présent dans l’ouvrage, voici ce qui est dit : Instrumentation : « instrumenter » (aktirovat) une journée, c’est constater par un acte authentique qu’en raison du froid, le travail est impossible.
Extraits issus de L’Archipel du Goulag, version abrégée inédite, préface inédite de Natalia Soljénitsyne, Librairie Arthème Fayard, 2014
Voici par ailleurs un documentaire de 1983 sur et avec Alexandre Soljénitsyne qui fut l’invité d’un spécial « Apostrophes » dans lequel Bernard Pivot a fait le voyage chez l’auteur russe qui a accueilli l’équipe de l’émission chez lui, dans sa propriété du Vermont, pour ce qui « constitue un document exceptionnel sur un écrivain profondément russe qui a axé l’essentiel de sa vie sur son œuvre littéraire. »
Et pour ceux qui souhaiteraient approfondir ces sujets, quelques ouvrages :
- Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko
- Neuro-esclaves – Techniques et psychopathologies de la manipulation politique, économique et religieuse, Marco Della Luna & Paolo Cioni
- La stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre, Naomie Klein
- L’enseignement de l’ignorance, Jean-Claude Michéa
- Influence et manipulation, Robert B. Cialdini
- La langue des médias – Destruction du langage et fabrication du consentement, Ingrid Riocreux
- Soumission à l’autorité, Stanley Milgram
- La mort est mon métier, Robert Merle
- Histoire et mystifications – Comment l’histoire est fabriquée et enseignée, Michael Parenti
Source: Lire l'article complet de Signes des Temps (SOTT)