Par Luc Michel.
« Sur le fond nous sommes toujours dans un ascenseur qui ne bouge plus. Et qui se trouve plutôt au sous-sol que dans les étages » – Hebdo Marianne (ce 14 mai).
Le débat ouvert par le livre de Marc-Antoine Pérouse de Monclos sort de la shpère des spécialistes et déborde enfin dans le domaine du grand public. « Dilemme au soleil. La France doit-elle rester au Sahel ? » titre ‘Marianne’ ce 14 mai (magazine n°1209) …
L’hebdo parisien pose une série de questions mais pas sur les aspects essentiels de la guerre française au Sahel : « Deux soldats morts en quelques jours. Et une opération qui dure maintenant depuis plus de sept ans. Partir et voir les djihadistes prospérer ? Rester au risque de s’embourber ? “Marianne”, qui a accompagné en opération l’armée française, pèse le pour et le contre »
LES QUESTIONS POSEES PAR ‘MARIANNE’
Ces question sont celles du livre de Pérouse de Montclos (Lattès Editeur) : « Un jour, après avoir perdu sa chemise (et tout le reste) lors d’une partie privée, un célèbre joueur de poker télégraphia ce message à son épouse : « Peux pas rester, peux pas partir. » C’est grosso modo la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’armée française au Sahel, sept ans après avoir débarqué au Mali, le 11 janvier 2013, avec 4.000 hommes et une mission prévue initialement pour être limitée dans le temps et l’espace : contenir la menace djihadiste et rétablir la souveraineté pleine et entière du Mali sur son territoire. Au mois de juillet 2014, en s’étendant à quatre autres pays de la bande sahélo-saharienne (Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie), l’opération « Serval » est devenue « Barkhane ».
‘Marianne’ dresse le bilan de l’échec occidental global au Sahel face aux djihadistes : « Avec des objectifs à peu près similaires et, sur le papier du moins, le renfort des armées nationales des cinq pays concernés, regroupés dans le G5 Sahel (5.000 hommes), celui de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, près de 20.000 hommes) et, depuis peu, l’engagement ferme de six pays de l’UE (sur les 11 ayant donné leur accord de principe) dans un regroupement de plusieurs centaines d’éléments de leurs forces spéciales, baptisé force « Takuba ». Ces forces doivent notamment intervenir dans le Liptako Gourma, région dite des « trois frontières », aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso » …
L’EQUATION DE BARKHANE REDUITE A UNE « STORYTELLING » MILITAIRE
A lire ‘Marianne’ l’équation de Barkhane se limite à l’analyse d’une « storytelling » militaire, l’échec ou les limites d’un grand « wargame » exotique (un « Kriegspiel auraient dit les militaires d’avant 1945). Révélateur est l’article « Dans la fournaise malienne » : « Reportage aux côtés des forces françaises au Mali, dans l’incessante chasse aux islamistes (…) Dans le nord-est du Mali, les légionnaires traquent les groupes terroristes de l’Etat islamique, qui opèrent dans cette région dite des « trois frontières », bordée par le Niger et le Burkina Faso. « Marianne » a partagé le quotidien des soldats du 1er REC et ceux du 2e REI lors de l’opération « Monclar », en mars (…) Menés par le lieutenant Bertrand à bord de leurs blindés légers, les légionnaires cavaliers pistent les terroristes de l’EIGS. Ils se définissent eux-mêmes comme des « chiens de chasse » (…) Ses journées et celles de ses hommes sont des journées de chasseurs. Levés bien avant l’aube, écrasées de chaleur et de poussière (…) L’ensemble du groupe pousse les terroristes qui écument le secteur vers le dispositif constitué par les forces maliennes et burkinabè, et celles réunies au sein de la force conjointe G5 (…) On ne compte plus les véhicules ensablés, les situations qui au premier abord semblent inextricables. Et pourtant, les convois repartent toujours, grâce à la ténacité et à l’ingéniosité des légionnaires, aux solutions trouvés par de vieux caporaux-chefs mystérieux et respectés » …
PREMIER ELEMENT MANQUANT DE L’EQUATION : LA HAINE DE LA FRANCE. COMMENT BARKHANE A PERDU LES ESPRITS ET LES COEURS ?
Dans cette équation, il manque tout d’abord une donnée essentielle : la haine de la France. Les généraux français des guerres d’Algérie et de sa jumelle la Guerre du Kamerun (1955-1971), la « petite guerre d’Algérie », ont alors défini la théorie de la Guerre révolutionnaire, stratégie et tactique de la Contre-insurrection. Que l’ont enseigne toujours dans les écoles militaires américaines, les généraux du Pentagone étant de grands admirateurs de leurs prédécesseurs français des guerres coloniales (à l’instar du Général James Mattis, le précédent patron du Pentagone).
Au cœur de cette « Guerre révolutionnaire », la « conquête des esprits et des cœurs ». L’échec de Barkhane est total dans ce domaine. Comme le révèlent les manifestations anti-françaises au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. Sur les sites militants africains, Barkhane y est décrite comme « la force d’occupation » ! Malgré la désinformation occidentale sur les manifestations anti-françaises, en particulier au Mali, cette haine est bien réelle, lourde, non rattrapable.
Comme est bien réelle la peur de Paris face à cette vague de fond de la colère anti-française parmi les masses africaines, en particulier au Mali, au Niger et au Burkina Faso ; Convoquant le Sommet de Pau en janvier dernier, Macron n’avait pas caché sa colère en demandant sur un ton insolent aux dirigeants africains des pays du G5 une « une clarification » quant à la présence française sur place.
SECOND ELEMENT MANQUANT DE L’EQUATION : COMMENT L’INTERVENTION RUSSE EN CENTRAFRIQUE ET AU MALI A CHANGE LA DONNE GEOPOLITIQUE ?
Second élément manquant dans l’équation de l’échec de Barkhane : la Russie. Absente de ‘Marianne’ comme dans le livre de Pérouse de Montclos. Cherchez bien ! Vous ne trouverez pas non plus la mention de la Centrafrique. Qui, si le pays n’appartient pas géographiquement au Sahel, est un élément essentiel de la défaite française au Sahel.
Le seul russe qui apparaît dans ‘Marianne’ est un légionnaire : « Tous les soirs, à l’arrière de son véhicule blindé, le sergent Denis s’étire. Prononcez « Denis » avec l’accent guttural qui s’impose. Le chef de groupe a 24 ans, il est russe, et ne décroche un sourire que lorsque tout ce qu’il a à faire est fait. Ancien défenseur dans l’équipe de hockey d’Oufa, en Bachkirie, à 1.000 km de Moscou, il aimait de ce sport de contact l’engagement et l’agressivité. Il voulait l’aventure et voir le monde. Le jeune homme a découvert la Légion étrangère par Internet, alors qu’il était au lycée militaire ». Anecdote folklorique qui fait oublier d’autres russes, ceux qui inquiètent tellement Paris (et Washington) : les spécialistes des groupes de Sécurité (comme Wagner) proches du Kremlin, déployés au Soudan, en RCA, en Libye. Ou encore les conseillers de l’Armée russe en Centrafrique. Sans oublier les officiers russes des casques bleus de la MINUSCA à Bangui !
Si les français ont perdu les coeurs et les esprits, les russes ont visiblement gagnés. ‘Le Monde’ (Paris, financé par les Réseaux Sorös), est en aveu et titre « Une pétition pour une intervention russe » (10 janvier 2020) : « De cette impatience est né le Groupe des patriotes du Mali (GPM). Ses membres n’ont pas oublié le 30 janvier 2013, quand l’armée française est entrée dans Kidal, ville du nord du Mali connue pour être le fief des rebelles, « et qu’ils ont empêché les soldats maliens de les suivre », ajoute Seydou Sidibé, du GPM. Aujourd’hui en première ligne dans l’organisation des manifestations, ils sont également à l’origine d’une pétition réclamant une intervention russe signée, selon eux, par 8 millions de Maliens. Selon un sondage publié mercredi 11 décembre 2019 par le site Maliweb, une aide russe « pour sortir définitivement de la crise » aurait la faveur de 89,4 % de la population, et 80 % aurait une opinion défavorable de la France. Pourtant, cette enquête a été uniquement réalisée « dans le district de Bamako » (…) »
LA CENTRAFRIQUE, LE CENTRE DU BASCULEMENT GEOPOLITIQUE DE L’AFRIQUE
Pourquoi la Centrafrique inquiète-t-elle autant Paris (et les américains) ? Venus de Syrie en passant par le Soudan (celui d’El Béchir), la Russie a surgi en Centrafrique, au cœur même du Pré carré français. Donnant le « mauvais exemple » au Mali !
Cette présence a débouché immédiatement sur un fond de tension géopolitique avec en filigrane cette présence russe en Centrafrique ! « le rôle des Russes en Centrafrique pose problème. Leurs activités cadrent mal avec le processus de paix. Ils ont leurs propres priorités, qui manquent parfois de transparence », disait ce début janvier le Secrétaire d’état adjoint américain aux affaires africaines, Tibor Nagy. Ce 17 janvier sur RFI, il ajoutait : « Nous devons y voir plus clair (…) en Centrafrique sont déployés plusieurs centaines de militaires russes. Les uns, comme conseillers, les autres, comme membres de milices privées ».
Contrairement aux français et aux américains, les russes aident le Président Touadera à reconstruire la République centrafricaine et à réarmer, former, restructurer les FACA. Moscou a de plus forcé la main à l’ONU et aux occidentaux, à Khartoum, pour organiser un accord de pacification nationale avec les groupes armés … Au Mali, Moscou a proposé la même assistance. Barkhane est prise dans un triple étau : la montée en puissance des divers forces djihadistes, le rejet des populations africaines, la présence russe en Afrique (qui est « de retour sur les champs de bataille de la guerre froide », disait déjà ‘Stratfor’ en 2018).
Oui, il est temps que la France quitte le Sahel, où elle ne trouvera que l’échec et le déshonneur, après la défaite militaire déjà consommée …
(Sources : Marianne – Le Monde – Stratfor – EODE Think Tank)
LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILY :
* LA FRANCE A-T-ELLE DEJA PERDU LA GUERRE DU SAHEL CONTRE LES DJIHADISTES ?
* GEOPOLITIQUE DU TCHAD (III) :
NDJAMENA FACE A LA GUERRE PERDUE DU SAHEL PAR LA FRANCE
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec