L’auteur est juriste en droit constitutionnel et autochtone
Après le dernier référendum, la dette fédérale était excessive. Le duo formé par Jean Chrétien, premier ministre, et Paul Martin, ministre des Finances, a décidé dans la deuxième moitié des années 1990 de réduire de manière draconienne les paiements fédéraux aux provinces dans la santé, l’un des principaux postes de dépenses d’Ottawa.
De 50%, la part fédérale des dépenses dans ce secteur est progressivement passée à environ 20%. La province la plus touchée a été le Québec. Le fédéral a pelleté son déficit dans la cour des provinces.
Ce coup de force fédéral a eu des conséquences beaucoup plus concrètes que le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Comme le manque à gagner est cumulatif, il s’agit aujourd’hui de plusieurs dizaines de milliards.
L’objectif de Chrétien et de Martin était double. Il s’agissait dans un premier temps de renflouer les coffres fédéraux à l’aide du déséquilibre fiscal. Celui-ci signifie que la Constitution de 1867 a établi une distorsion entre les ressources et les responsabilités des paliers de gouvernement.
En 1867, l’État-Providence n’existait pas. Ni l’impôt sur le revenu. Ni Hydro-Québec. Ni la SAQ. Le Québec s’en remettait aux communautés religieuses pour la santé et l’éducation. La principale source de revenus du gouvernement fédéral était alors les douanes aux frontières. La principale source de revenus des provinces était la taxe foncière.
Avec le temps, les responsabilités des provinces ont grandi, surtout en santé et en éducation. Le fédéral n’avait pas, sauf en temps de guerre, des responsabilités aussi coûteuses, même s’il a pris en charge, au moyen de modifications constitutionnelles, l’assurance-emploi, financée en grande partie par les travailleurs, et en partie en partie les pensions de vieillesse.
Une fois l’impôt sur le revenu inventé pour payer les dépenses encourues pour la Première guerre mondiale (il disait alors que ce serait une mesure temporaire), le fédéral avait des revenus fiscaux plus importants que ses responsabilités. Et pour les provinces, c’était et ça demeure le contraire.
De plus, le fédéral avait un pouvoir d’emprunt beaucoup plus étendu. Comme les besoins des provinces dépassaient souvent leurs capacités fiscales, et que le fédéral avait des ressources supérieures à ses besoins, il s’est mis à offrir des soutiens financiers aux provinces, sous conditions bien sûr, dans leurs champs de compétence supposément exclusifs.
C’est l’origine du fameux pouvoir de dépenser fédéral, qui ne se trouve pas dans le texte de la Constitution et qui n’a jamais été avalisé directement par la Cour suprême, mais que les provinces se sont gardées de contester devant les tribunaux parce qu’elles en ont besoin pour fonctionner et parce que la réponse obtenue ne fait pas de doute.
Le fédéral a même obtenu deux modifications constitutionnelles qui lui transféraient la responsabilité de l’assurance-chômage et des pensions de vieillesse (en partie) grâce à sa plus grande capacité financière. L’autonomie financière du gouvernement du Québec est tout simplement contraire à la Constitution canadienne, qui maintient tout à fait artificiellement une dépendance permanente.
Les provinces ont aussi, ce qui est moins connu, un pouvoir de dépenser dans les champs de compétence fédéraux. Comme leurs ressources sont moindres, ce phénomène est beaucoup moins fréquent.
On peut citer trois exemples: l’achat ou la location d’immeubles à l’étranger pour abriter les délégations du Québec alors que les provinces n’ont aucune compétence extraterritoriale, la propriété de Télé-Québec dans le champ fédéral exclusif de la télévision et celle de compagnies d’aéronautique (actions de Bombardier, Québecair autrefois) dans un autre domaine fédéral. L’Alberta a également détenu une banque et une compagnie d’aviation dans le passé.
Le duo Chrétien-Martin avait aussi un autre objectif plus politique. Il s’agissait de couper les ailes au gouvernement Bouchard en lui imposant l’austérité. Ce gouvernement n’a pas toujours pris de bonnes décisions, notamment en précipitant des retraites massives dans le secteur de la santé. Une grève dure des infirmières a eu lieu en 1998 dans une année électorale, et le gouvernement Bouchard a été réélu de justesse avec moins de voix que Jean Charest.
La stratégie fédérale fonctionnait. Les meilleures années de notre système de santé depuis l’instauration de l’assurance-maladie étaient subitement derrière nous. Même réélu, la crédibilité de Bouchard était atteinte et il a quitté le pouvoir à mi-mandat dans la déception et l’amertume, victime d’un coup de force financier d’Ottawa qui était une vengeance bien sentie pour le 30 octobre.
Bien sûr, les gouvernements successifs du Québec ont mal géré le ministère de la Santé. Bien sûr, ils auraient pu faire beaucoup mieux dans la fourniture des soins aux aînés. Bien sûr, le gouvernement actuel est responsable si les préposés sont mal payés et si les infirmières sont à bout. Il demeure que sans les dizaines de milliards d’Ottawa, qui sont en réalité nos propres impôts, il était impossible de répondre aux besoins dans toute la mesure nécessaire.
Le même scénario semble en voie de se reproduire. Les gouvernements Chrétien, Martin et Harper ont réussi à redresser le bilan financier fédéral au détriment des provinces, et du Québec en particulier.
Mais Justin Trudeau est en train d’enfoncer l’État canadien dans le rouge, comme son père, pour combattre la pandémie. Et ce sera pire s’il maintient sa générosité pendant la deuxième vague annoncée, ce qui aura aussi l’effet de lui acheter une nouvelle majorité parlementaire l’an prochain.
En même temps, il prépare des interventions fédérales massives dans le secteur de la santé avec les rapports militaires sur les CHSLD du Québec et de l’Ontario, et la possibilité bien réelle d’une mise en vigueur de la Loi fédérale sur les mesures d’urgence l’automne ou l’hiver prochain.
Pour payer les dettes de la pandémie une fois sa majorité obtenue, il devra à la fois hausser les impôts fédéraux et réduire à nouveau les paiements fédéraux aux provinces, notamment dans le secteur de la santé. Il n’aura plus les moyens d’être généreux.
En même temps, il n’aura d’autre choix que de demander aux contribuables québécois de payer plus de 20% de la note des déductions fiscales et autres soutiens financiers à l’industrie pétrolière en déclin irrémédiable, et à l’économie de l’Alberta qui nous méprise parce que nous recevons la péréquation, une autre forme d’aide fédérale, dont elle aura bientôt besoin à son tour.
Sous la contrainte de ses prêteurs, Justin Trudeau pourra, après les élections québécoises de 2022, refaire le coup politique de Jean Chrétien. Le pouvoir de dépenser fédéral est aussi le pouvoir de ne pas dépenser.
Il pourra à nouveau provoquer l’austérité au Québec dans les services à la population afin de tenir la nation québécoise en laisse et la conditionner au défaitisme. Le but sera de convaincre une nouvelle génération de Québécoises et de Québécois qu’on n’est pas capable et que hors du Canada, point de salut.
La dépendance financière du gouvernement du Québec est structurelle. Elle est aussi l’une des principales caractéristiques de la fédération canadienne et l’une des conditions d’appartenance du Québec au Canada.
Seule l’indépendance pourra mettre fin à cette désagréable, malsaine et récurrente réalité.
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