Le transport aérien après l’épidémie

Le transport aérien après l’épidémie

Le problème est en train d’être résolu, mais pas de la manière que vous auriez imaginée


Par Ugo Bardi – Le 4 Mai 2020 – Source CassandraLegacy

Voilà à quoi pourrait ressembler un avion à hydrogène. Honnêtement, ce n’est pas très impressionnant : cela ressemble plus à un avion avec la coupe d’Elvis Presley et on peut même raisonnablement douter que cette chose puisse voler. S’il était facile de propulser des avions à l’hydrogène, quelqu’un travaillerait sur de vrais prototypes plutôt que sur ces seuls dessins.


Les compagnies aériennes sont au bord de l’effondrement depuis de nombreuses années et pour de nombreuses bonnes raisons, mais le vrai problème, à la base de tous les autres, est le besoin de combustibles fossiles. Les avions sont des bêtes voraces : ils consomment environ 7 % de la production mondiale de carburants et le ravitaillement en carburant des avions représente environ 20 à 30 % des coûts d’exploitation d’une compagnie aérienne. Jusqu’à présent, la plupart des compagnies ont survécu aux aléas du marché pétrolier, mais il devrait être évident que le pétrole brut ne peut pas durer éternellement. En outre, il y a le problème de la pollution générée par les combustibles fossiles, notamment en termes de contribution au réchauffement climatique. L’un des résultats chez les voyageurs est le phénomène appelé « la honte de voler », un autre casse-tête pour les directeurs de compagnies aériennes.

Ainsi, si vous voulez maintenir les avions en vol, vous devez vous débarrasser du besoin de combustibles fossiles. Et cela s’avère presque impossible, du moins pour la génération actuelle d’avions. J’ai déjà discuté des aspects techniques et financiers des alternatives aux combustibles fossiles. L’hydrogène est un bon carburant pour les fusées, mais pas pour les avions civils, c’est un cauchemar technologique et financier, les biocarburants ne peuvent pas aider : il n’y a aucun moyen de faire passer la production à des niveaux suffisants pour alimenter la flotte actuelle d’avions civils. Les avions électriques sont une bonne idée pour les petits avions, mais il n’y a aucun moyen de construire l’équivalent électrique d’un Boeing 747. Les avions à fuselage large sont optimisés pour le carburant qu’ils utilisent, le kérosène, produit par le raffinage du pétrole brut. Et il n’y a pas tellement de choses que vous pouvez faire pour optimiser des technologies qui ont déjà été optimisées presque au maximum. En dépensant beaucoup d’argent, vous pouvez mieux affiner et retoucher ceci et cela, et faire en sorte que l’avion gagne peut-être une fraction de performance, mais cela n’élimine pas le besoin de combustibles fossiles.

Les compagnies aériennes ont donc réagi au problème en réduisant les coûts autant que possible. Cela a été obtenu en faisant subir aux passagers toutes sortes d’avanies : avions bondés, longs temps d’attente, vols peu fiables, horaires impossibles, services au sol inexistants, nourriture horrible à bord, quand il y en a, et bien d’autres choses encore. À cela, il faut ajouter le harcèlement omniprésent subi par les voyageurs aux portes d’entrée des aéroports. Le tout ressemble davantage au traitement infligé aux prisonniers de guerre en route pour un camp de concentration. Mais les passagers semblaient heureux d’accepter d’être maltraités en échange de billets à bas prix.

Mais, finalement, la solution choisie par les compagnies aériennes les a conduites à une voie sans issue : il y a une limite à ce que l’on peut faire pour réduire les coûts. Ryanair a même proposé de transporter des passagers debout à bord, mais ce n’était qu’un coup de publicité [cela avait provoqué un tollé, NdT]. Et puis il y a eu l’épidémie de coronavirus, qui a porté un coup terrible aux compagnies aériennes déjà mises à rude épreuve. À l’heure actuelle, il est difficile de voir comment le service aux passagers peut être relancé : les gens ont tellement peur qu’ils n’accepteraient de prendre l’avion que si tout le monde portait une combinaison de plongée sous-marine équipée de bouteilles d’oxygène autonomes. Cette peur va probablement s’atténuer dans les mois à venir, et il est probablement possible d’introduire une sorte de « passeport santé » qui permettrait aux passagers de s’asseoir les uns à côté des autres sans craindre d’être infectés. Mais, en attendant, avec l’industrie dans le rouge, vous pouvez dire adieu aux rotors des turbines.

Néanmoins, comme j’ai tendance à le dire, pour tout ce qui arrive, il y a une raison à cela, et le destin des compagnies aériennes était déjà écrit sur les ailes de leurs avions. L’année dernière, la disparition de l’Airbus A380, fleuron de l’industrie aérospatiale européenne, a sonné le glas du concept même de gros-porteur. C’était connu, et l’effort de l’industrie aérospatiale allait déjà dans une autre direction.

On raconte que lorsque le Titanic a coulé, les passagers de troisième classe sont restés enfermés dans les ponts inférieurs et se sont noyés. Ces passagers, de toute évidence, étaient considérés comme des rats nuisibles. Aujourd’hui, je pense que les élites ont déjà compris qu’il n’y a vraiment aucune raison pour que les avions aient une « classe économique ». Le résultat est une nouvelle génération d’avions que seuls les riches seront censés utiliser. En se débarrassant des roturiers à bord, nous pouvons avoir moins de pollution, des avions plus rapides, une moindre consommation de carburant et des vols plus confortables. Et voici un exemple du résultat : l’Aerion AS2, un jet supersonique pour seulement 8 à 12 passagers.

L’Aerion AS2 : , un exemple de la nouvelle génération d’avions de passagers, les jets d’affaires supersoniques (SSBJ)

Ce n’est qu’un exemple, mais le mot à la mode chez les compagnies aériennes en ce moment est « bizliners« , c’est-à-dire des avions, pas nécessairement supersoniques, conçus et exploités pour répondre aux besoins de groupes particuliers de personnes qui peuvent se les offrir : politiciens, hommes d’affaires, équipes sportives, etc. Mais ce n’est pas le genre d’avion que nous, humbles roturiers, pourrons jamais utiliser. Mais la vie est ainsi : voler était un privilège dont beaucoup de notre génération jouissaient, mais rien n’est éternel. Au moins, nous ne nous sentirons plus coupables de voler ! [sauf les riches, NdT]

Un commentaire du troll personnel d’Ugo Bardi, M. Kunning Druger

Alors, M. Bardi, je vous imagine jubiler en écrivant ce billet, n’est-ce pas ? Exactement ce que vous et vos amis avez toujours voulu, surtout la sorcière suédoise tressée. Vous avez toujours détesté l’idée que des gens ordinaires puissent profiter des avantages que les combustibles fossiles apportent à l’humanité. L’aviation, par exemple. Et maintenant, vous pensez que vous gagnez, n’est-ce pas ? Je suis sûr que vos amis haut placés vous ont promis une place dans l’un de ces nouveaux business liners brillants, je vous vois bien jubiler, en effet. Alors, réfléchissez bien. Vous faisiez partie de la foule qui revendiquait le « pic pétrolier », n’est-ce pas ? C’était une autre arnaque destinée à nous asservir, nous le peuple, au pouvoir en place. Et maintenant, avec les prix du pétrole à des niveaux historiquement bas, votre arnaque a été révélée au grand jour : le « pic pétrolier » n’existe pas. Le pétrole est plus abondant que jamais et les avions continueront de voler, quoi que vous écriviez dans vos divagations ridicules.

Ugo Bardi enseigne la chimie physique à l’Université de Florence, en Italie, et il est également membre du Club de Rome. Il s’intéresse à l’épuisement des ressources, à la modélisation de la dynamique des systèmes, aux sciences climatiques et aux énergies renouvelables.

Traduit par Hervé, relu par Kira pour le Saker Francophone

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