par Bob Woodward
Depuis le début de la crise du Covid-19, Riyad a investi plus de sept milliards de dollars dans des entreprises aussi différentes que des compagnies aériennes, des groupes pétroliers, un club de foot ou encore une chaîne d’hôtels. Point commun entre la plupart de ces groupes : ils ont été particulièrement fragilisés par les conséquences de la pandémie.
Quel est le point commun entre le club de foot de Newcastle, la compagnie pétrolière britannique BP, Facebook, le groupe pharmaceutique américain Pfizer ou encore Walt Disney ? Toutes ces structures sont sur la liste de shopping du fonds souverain saoudien (PIF – Public investment fund) qui a multiplié les investissements depuis le début de la pandémie de Covid-19. Il a dépensé 7,7 milliards de dollars en trois mois dans l’espoir de faire des bonnes affaires sur le dos des difficultés financières des entreprises en cette période de marasme économique, a rapporté le Financial Times, dimanche 17 mai..
Parmi ses paris les plus importants, le bras financier de Riyad a misé 827,8 millions de dollars sur BP et 713,6 millions de dollars sur le constructeur aéronautique américain Boeing, particulièrement affecté par l’effondrement des transports internationaux, selon des documents financiers transmis aux autorités boursières américaines, consultés par le Financial Times.
Les cibles choisies par le PIF, qui disposent d’un trésor de guerre de 325 milliards de dollars, révèlent un opportunisme à tout épreuve de la part des investisseurs saoudiens. Transport aérien, pétrole, sport, ou encore hôtellerie – avec l’achat de participations dans la chaîne d’hôtels Marriott… Autant de secteurs qui ont particulièrement souffert en cette période de confinement. Le fonds a également acquis des parts pour un peu moins d’un milliard de dollars dans l’opérateur de croisière américain Carnival et la promoteur californien de concert Live Nation, deux sociétés dont le cours de l’action en Bourse s’est effondré depuis le début du confinement.
Le royaume a mis sur pied, mi-mars, une équipe d’analystes spécialement chargée de repérer les bonnes affaires, a appris la chaîne économique américaine Bloomberg. L’Arabie saoudite a ainsi pu commencer très tôt à faire les soldes. Dès début avril, alors que les pays européens venaient à peine à de mettre en place leurs mesures de confinement, le fonds public d’investissement finalisait sa prise de participation dans quatre des plus importants groupes pétroliers mondiaux (Shell, Total et l’Italien Eni, et la compagnie norvégienne Equinor). Le secteur énergétique était alors frappé de plein fouet par l’effet combiné du ralentissement économique dû à la pandémie et de la guerre des prix du pétrole… initiée par l’Arabie saoudite.
Ces premiers investissements saoudiens de l’ère Covid-19 ont mis la puce à l’oreille des observateurs. Le fonds souverain n’a, en effet, pas vocation à miser sur le pétrole puisque son mandat officiel est de chercher à diversifier les sources de revenus du royaume afin de le rendre moins dépendant de l’or noir. La montée au capital des quatre groupes pétroliers a été “le signal du changement de stratégie du PIF”, souligne le Wall Street Journal.
Mais ces investisseurs ne se contentent pas d’acheter à prix cassé dans l’espoir de réaliser une plus-value lorsque l’activité reprendra. Riyad s’intéresse aussi aux potentiels “gagnants” de la crise. Ainsi, son fonds souverain a misé environ 80 millions de dollars sur Pfizer, l’un des groupes pharmaceutiques qui travaille sur un vaccin et plusieurs traitements contre le Covid-19. Il a aussi investi dans Walt Disney qui a fait un carton avec le lancement en Europe de la plateforme de VOD Disney + en plein confinement. “Nous cherchons activement des opportunités, à la fois en Arabie saoudite et sur la scène internationale, susceptibles de générer d’intéressants retours sur investissement sur le long terme”, a confirmé au Wall Street Journal un porte-parole du PIF.
Pour des entreprises en proie à des problèmes de trésorerie, alors que l’économie mondiale tourne au ralenti, la volonté saoudienne de profiter de la situation est aussi une aubaine. Surtout que le royaume a commencé à investir à “un moment où personne d’autre ne voulait s’engager”, rappelle le Financial Times.
À défaut de convaincre Riyad, ces groupes peuvent toujours espérer trouver oreille plus attentive chez les pays voisins de la région. “Nous présentons toutes les opportunités possibles aux pays du Golfe, qui vont pouvoir faire des affaires en or”, reconnaît un banquier d’affaires londonien, interrogé par le Financial Times. Mubadala, l’un des véhicules d’investissement public les plus actifs à Abu Dhabi, et le fonds souverain qatari sont, eux aussi, prêts à dégainer leurs chéquiers, d’après le quotidien financier britannique. “Chacun prépare sa liste d’achats à faire”, confirme un investisseur actif dans le Golf, interrogé par le Financial Times.
Cette ruée sur les entreprises en difficulté rappelle la période de la crise financière de 2008. L’Arabie Saoudite, le Qatar ou encore Abu Dhabi avaient alors investi des milliards de dollars dans l’immobilier britannique, des banques américaines ou encore des constructeurs automobiles allemands.
Mais le contexte est différent cette fois-ci. En 2008, les pays du Golfe avaient été bien moins exposés aux créances douteuses qui ont failli mettre à terre les systèmes bancaires américains et européens. Les conséquences économiques de la pandémie actuelle n’épargnent personne, et la dégringolade des prix du pétrole fragilisent les finances des riches monarchies pétrolières.
C’est particulièrement flagrant en Arabie Saoudite. “Le Royaume n’a pas connu une telle crise – que ce soit sur le plan sanitaire ou sur le plan financier – depuis des décennies”, a reconnu Mohammed al-Jadaan, le ministre des Finances à la chaîne Al Arabya. Riyad a dû prendre des mesures sans précédent ces dernières semaines pour venir au secours de son économie. Le gouvernement s’est résolu à puiser généreusement dans ses réserves qui ont fondu de près de 30 milliards de dollars en un mois.
Avec environ 480 milliards de dollars encore dans les caisses, il reste certes de quoi voir venir. Mais ces dépenses ont obligé Riyad à revoir à la hausse ses prévisions de déficit budgétaire. Surtout, “la plupart des économistes s’accordent à dire que pour financer ces plans de relance le pays va devoir mettre entre parenthèse ou carrément annuler certains des projets du prince héritier Mohammed ben Salmane pour réformer l’Arabie saoudite”, note le Wall Street Journal.
Au-delà d’un fort prix économique, la crise du coronavirus risque donc de coûter cher politiquement au prince héritier, qui a souvent lié sa légitimité à sa capacité à faire entrer son pays dans une certaine modernité, débarrassée de sa soumission à l’or noir.
Source: Lire l'article complet de Réseau International