Crise économique : les entrepreneurs frappés de plein fouet

Crise économique : les entrepreneurs frappés de plein fouet

Alors que la réouverture tarde à prendre forme dans la grande région de Montréal, les victimes économiques de la crise se multiplient. Des commerces ferment à tout jamais, d’autres, comme Aldo, se placent sous la protection des tribunaux. L’arrêt économique a été violent et ses conséquences vont se faire sentir longtemps. 

Plus la crise durera, comme l’expliquait mercredi le ministre des Finances du Québec Eric Girard, plus des problèmes structurels et importants vont apparaître. La récession est profonde, a-t-il dit, en espérant qu’elle soit brève en même temps. 

Le patron de la Réserve fédérale aux États-Unis, Jerome Powell, a dit craindre une récession plus longue qu’attendu. Il faudra que les gouvernements fassent encore plus

De nombreux freins

Cette crise n’est clairement pas comme les autres. Quantité d’entrepreneurs ont été totalement dépouillés de leur capacité d’agir. Ils ont été dépossédés de leur pouvoir à rebondir. C’est dans l’ADN d’une femme ou d’un homme qui se lance en affaires ou qui met en place un projet que de foncer, développer, embaucher, investir, innover, rebondir, ne jamais abandonner. 

Mais, dans ce cas-ci, le gouvernement devait fermer l’économie. Et, pour plusieurs entrepreneurs, cette décision est littéralement venue les paralyser. 

Quand la crise ne nous touche pas directement ou si notre regard sur les phénomènes économiques n’est que théorique ou éloigné, il est difficile de comprendre ce que signifie la profonde récession actuelle que vivent des millions d’entrepreneurs et de travailleurs. Ce qui se passe en ce moment, prenez toutes les images possibles : c’est un mur, c’est le plancher qui disparaît, les poignées habituelles pour s’accrocher et remonter à la surface qui ont disparu. 

Bien sûr, les gouvernements en font beaucoup pour aider les travailleurs, les employeurs et les entrepreneurs. Les prêts, les subventions, les aides aux loyers commerciaux, les soutiens d’urgence directs, c’est à coup de centaines de milliards que les gouvernements sont intervenus, surtout celui d’Ottawa, qui est plus à même de s’endetter. 

Certaines entreprises ont transformé leur production, ont accéléré la numérisation de leurs activités. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut prendre ce virage. Et les programmes d’aide ne sont pas faits pour toutes les entreprises. Même avec un prêt, une subvention ou une baisse de loyers, il n’y a pas tant d’entreprises qui ont pu trouver un modèle d’affaires temporaire qui peut tenir la route longtemps. 

Combien de temps Christiane Germain et ses hôtels pourront résister à la tempête? Elle nous disait, le 8 avril dernier à RDI économie, avoir vécu les moments les plus éprouvants de sa vie, les pires de tous pour une entrepreneure qui a dû mettre à pied plus de 1000 travailleurs. 

C’est une femme d’affaires émue, inquiète, qui nous a parlé ce soir-là et qui, à travers ses encouragements à acheter local et à favoriser le tourisme de proximité, voulait garder la tête haute, en attendant qu’un bon moment donné, des signaux plus positifs apparaissent. L’année 2020 est à oublier, nous a-t-elle dit. On travaille pour la survie de l’entreprise. 

Il faudra combien de temps à Canam pour rappeler tous ses travailleurs? Marc Dutil nous a raconté, lui, qu’il résiste du mieux qu’il peut et tente surtout de se projeter dans l’avenir. Il a dû mettre à pied de nombreux travailleurs lui aussi. 

Canam est un fabricant présent partout en Amérique du Nord. Les activités viennent de reprendre dans le secteur de la fabrication, mais Marc Dutil nous disait, le 9 avril, que si ça dure deux semaines, on passera au travers, mais si ça dure deux ans, on va avoir de la misère.

Un mois après la fermeture des activités non essentielles, vers le 20 avril, Normand Décarie, le PDG de Sail, est venu nous raconter qu’il avait perdu 80 % de son chiffre d’affaires. Inutile de vous dire que c’est excessivement difficile de gérer l’entreprise actuellement, nous a-t-il dit, et de négocier avec les fournisseurs, les bailleurs de fonds et des employés mis à pied et inquiets.

Des chaises sur des tables dans un restaurant fermé.

Plusieurs commerces, dont des restaurants, ne survivront pas à la crise.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Comment rebondir

La réouverture s’opère au Québec, mais dans la région de Montréal, la reprise a été repoussée par le gouvernement du Québec, car la situation n’est pas maîtrisée. Comment les commerçants des grandes rues vont s’en sortir? Les marges de profit sont tellement faibles. Qui peut résister à 5, 10, 15 semaines d’arrêt presque complet? 

Il est très urgent, vraiment urgent [d’agir], a dit Simone Chevalot, copropriétaire de la Buvette chez Simone à Montréal, le 12 mai. On ne sait pas quand on va rouvrir… et dans quelles conditions. L’essence même des bars, c’est la proximité. […] Je ne sais pas pour vous, mais de boire un verre de vin dans un cubicule en plexiglass, servi par quelqu’un avec des gants et un masque, pour moi, c’est un film d’horreur.

Peter Simons, toujours très calme, affronte la pire tempête depuis l’Acte d’Union de 1840, qui coïncide avec la fondation de son entreprise par ses ancêtres. Il s’est lancé d’ailleurs dans une forme d’aventure patriotique, pourrait-on dire, en offrant à des centaines d’artisans d’ici de s’inscrire sur sa plateforme.

Moi, j’ai des bonnes journées, des mauvaises journées comme tout le monde, nous a-t-il dit le 1er mai. Mais les pertes sont énormes chaque semaine, c’est dans les millions, nous a-t-il confié. Il a parlé de moments existentiels pour lui comme pour d’autres commerçants.

Des moments existentiels certainement pour tous les restaurateurs. Certains sont sur le respirateur, d’autres s’en tirent pas trop mal avec les ventes au comptoir et les livraisons. 

Mais « un restaurant sur 2 » pourrait fermer, disait, le 23 avril, Graziella Battista, restauratrice à Montréal. Beaucoup de petits restaurants, aux faibles marges de profit, ne vont jamais rouvrir.

Il faut s’attendre, ajoutait le chef Jérôme Ferrer, dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois, si la situation continue, à un effondrement complet et total de la scène culinaire de Montréal, attendez-vous à ça. Un restaurant, ce n’est pas juste une business, c’est un patrimoine culturel, c’est un patrimoine culinaire d’un peuple, d’une nation. On est les ambassadeurs d’artisans, de producteurs.

Qu’adviendra-t-il du Cirque du Soleil, au bord du précipice? Daniel Lamarre, son PDG, nous annonçait, le 6 mai, qu’il lui était difficile d’imaginer faire quelque projet que ce soit avant avril 2021. Le Cirque se cherche un acheteur et doit gérer une dette de 900 millions de dollars américains. C’est plus de 4500 personnes qui ont été mises à pied au Cirque du Soleil.

Et qu’adviendra-t-il des petites troupes de théâtre, des diffuseurs de concerts, des salles de spectacle, des créateurs, des artistes? Le deuil à faire, c’est de mettre à pied des artistes qui avaient des contrats avec nous, et qui se retrouvent dans une situation encore plus précaire que celle qu’ils vivent normalement, nous expliquait la directrice générale et artistique du TNM, Lorraine Pintal, le 20 avril.

Est-ce qu’on pourra présenter « des spectacles plus intimes » comme elle le proposait? Est-ce qu’on peut aménager les salles de cinéma, avec les spectateurs à bonne distance, et présenter des films, comme le suggère l’homme d’affaires Vincent Guzzo qui veut rouvrir ses salles le 19 juin prochain au Québec, le 26 juin dans l’ensemble du pays? 

Que seraient devenus les entrepreneures Chantal Lévesque, Marie-Ève Caron, Sophie Boulanger ou Nicolas Duvernois s’ils n’avaient pas innové, s’ils n’avaient pas transformé leurs activités durant cette crise? 

Il y a des milliers d’histoires comme celles racontées ici, de femmes et d’hommes qui ont donné beaucoup d’eux-mêmes pour réaliser leur projet, leur rêve, leurs ambitions. Certains vont rebondir, vont se transformer. D’autres n’y arriveront pas, malheureusement.

Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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