Par Elijah J. Magnier − Le 30 avril 2020 − Source Middle East Politics
Le gouvernement actuel du Liban pointe du doigt ses politiciens en les accusant d’avoir soutenu le système politique et financier corrompu pendant au moins trois décennies. Ces politiciens accusent le Hezbollah, prétendant qu’il est responsable de cette corruption. Et en effet, le Hezbollah est constamment accusé de soutenir des campagnes de rue pour éliminer les opposants politiques ou pour contrôler le pays.
En conséquence, le Hezbollah est devenu aux yeux de certaines figures de l’establishment le « Grand Satan » dont la direction semble pouvoir mettre la main sur toutes les postes stratégiques de la politique et de l’administration libanaises. Les membres du Parlement ont cherché, sans succès, à obtenir une majorité de voix afin de permettre à la justice d’interroger tout ministre responsable, ancien ou actif, de 1990 à aujourd’hui. Mais même les plus proches alliés du Hezbollah n’ont pas soutenu la résolution, ce qui indique les limites du système constitutionnel libanais. La puissance militaire écrasante du Hezbollah, ses décennies d’expérience de combat et ses missiles de précision ont été inutiles pour affronter et combattre la corruption profondément enracinée dans le pays.
Le Hezbollah est constamment accusé de contrôler les nominations et les désignations dans l’actuel gouvernement libanais – au point que de nombreux politiciens et analystes l’appellent le gouvernement du Hezbollah. Cependant, la sélection de l’actuel Premier Ministre Hassan Diab a été acceptée par l’ancien Premier Ministre Saad Hariri, qui a refusé d’assumer la responsabilité de diriger le pays, malgré les plaidoyers venant même de ses adversaires politiques. Hariri, à la tête d’un parti politique, voulait sélectionner des technocrates sans consulter le Parlement majoritaire au pouvoir, une demande inconstitutionnelle qui a été rejetée par la majorité des membres du Parlement. De plus, il était logique pour Hariri d’éviter d’être nommé Premier Ministre alors qu’il n’a jamais agi en tant que tel et qu’il était, avec son père feu le Premier Ministre Rafic Hariri, responsable de décennies de corruption et de mauvaise gestion du pays.
Le Hezbollah a tout intérêt à voir un pays prospère car ses dirigeants et ses membres chiites sont issus de la frange représentant plus de 30 % de la population totale, une partie de la société considérée comme l’une des plus pauvres du pays. Un nombre important de ces personnes n’ont aucun moyen de voyager à l’étranger et même les membres les plus riches de la société chiite sont pourchassés par les États-Unis ou figurent sur leur liste de terroristes. L’administration américaine croit à tort qu’elle peut freiner ou isoler la capacité du Hezbollah en retournant la société contre lui. Il ne suffit apparemment jamais de rappeler aux États-Unis que la majorité de la société chiite fait partie du Hezbollah ou le soutient ; il est donc impossible de provoquer une scission.
Le Hezbollah a réussi à défendre la partie sud du pays chiite contre les aspirations israéliennes à étendre sa juridiction sur l’ensemble du pays, au-delà de la Palestine occupée. Cette organisation chiite a été la seule entité capable de vaincre Israël, en forçant sa puissante armée à mettre fin à son occupation, à quitter le Liban, et en imposant une force de dissuasion pour prévenir toute nouvelle agression. Elle a également protégé le pays contre les Takfiri (ISIS et Al-Qaïda) qui visaient, avant même la guerre en Syrie en 2011, à étendre leur « État islamique » à l’ensemble du Levant.
Cependant, bien que le chef du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, ait promis de déraciner la corruption, ses armes semblent inégales dans cette tâche. Il doit faire face à une certaine réalité : ses plus proches alliés ont fait et font toujours partie intégrante du système corrompu, au même titre que les autres dirigeants politiques du camp de l’opposition. Le Hezbollah est loin d’être en mesure d’affronter ses alliés, en particulier le Président Nabih Berri, le leader du mouvement « AMAL ». Il est l’un des principaux protagonistes de l’équipe de Rafic Hariri, des hommes politiques corrompus dont ce dernier s’était entouré pendant des décennies jusqu’à son assassinat en 2005. Le Président est particulièrement craint pour l’énergie avec laquelle il protège ses entreprises et la richesse accumulée par sa famille depuis qu’il a pris le pouvoir au Liban. Parce que Berri s’est opposé au Hezbollah et l’a combattu dans les années 80, le Hezbollah n’est pas prêt à affronter à nouveau le même risque de confrontation intra-chiite.
Le gouverneur de la Banque Centrale, Riyad Salamé, a été accusé par le Premier Ministre Diab d’être responsable de la détérioration de la monnaie locale et d’agir contre les intérêts du pays et contre la politique financière du gouvernement. Pour se protéger, Salamé a déclaré au New York Times que le Hezbollah l’avait attaqué : « J’ai travaillé très dur pour mettre en place une commission d’enquête spéciale pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et je n’ai jamais fait de compromis sur ce point. Ceux qui ont souffert de mes décisions essaient maintenant de me faire tomber avec des accusations de corruption ».
Le gouverneur de la Banque Centrale est bien sûr protégé par l’administration américaine, soutenu par l’ambassade américaine à Beyrouth et donc considéré comme « intouchable ». Et même les plus proches alliés du Hezbollah ont proposé plusieurs noms à l’ambassadeur américain à Beyrouth – malgré le slogan « gouvernement du Hezbollah » – des candidats qu’ils pourraient approuver comme remplaçants potentiels de Salamé le moment venu.
Le plus surprenant est le fait que le patriarche maronite a soutenu sans réserve le gouverneur de la Banque Centrale Riyad Salamé, ainsi que l’ex-ministre sunnite Nuhad Mashnouq et le Président chiite de l’Assemblée et ses deux ministres, pour protéger Salamé : tous se sont opposés au Hezbollah. Même les épargnants qui n’ont pas pu avoir accès à leurs économies pendant des mois n’ont pas pu traduire en justice Salamé et les hommes politiques accusés de corruption.
Le Premier Ministre Hasan Diab a décidé de changer le comportement libanais « habituel » de presque tous les Premiers Ministres et Cabinets qui ont dirigé le pays au cours des dernières décennies. M. Diab, professeur à l’Université américaine de Beyrouth, est un technocrate qui a formé un gouvernement d’experts. Cependant, ces experts ont été nommés par des politiciens, dont le Hezbollah, qui sont représentés au Parlement libanais. Le Premier Ministre est accusé de comportement « vindicatif » de la part des politiciens actuels, qui ont dirigé et continuent de diriger le pays, car il est prêt à essayer de récupérer les milliards de dollars qu’ils ont transférés du Liban vers des comptes étrangers hors de l’État, et ce dans le contexte de la plus grave crise économique que le pays ait connue, avec un déficit de plus de 87 milliards de dollars.
Le chef druze, Walid Joumblat, a également accusé le « grand Satan », le Hezbollah, de gérer la décision du gouvernement par le biais de « salles opérationnelles noires pour contrôler ce qui reste du Liban ». Un des plus proches alliés du Hezbollah a répondu : « Donnez à Joumblat quelque chose qui le satisfasse, et il cessera ses accusations. Vous savez comment les choses se passent ».
Les politiciens veulent que M. Diab cesse de déterrer d’anciens dossiers de corruption et qu’il garde les choses telles qu’elles étaient. L’opposition – soutenue par le Président chiite Nabih Berri, l’ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri, le chef druze Walid Joumblat et le chef des « Forces Libanaises » le maronite Samir Geagea – défie le Premier Ministre Diab. Ils tentent de l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Ces objectifs ne se limitent pas à réclamer le remboursement des fonds transférés, ils visent également à destituer le gouverneur de la Banque Centrale afin d’éviter la faillite de l’État. Et le gouvernement dans son ensemble est confronté au défi sans précédent de la pandémie de coronavirus et de ses conséquences pour un pays déjà en proie à de graves difficultés financières et dont les infrastructures ont été érodées par la corruption et la mauvaise gestion des gouvernements précédents.
Le Président, qui a parfois été accusé d’être le protecteur du Hezbollah, est aujourd’hui considéré comme le « garant du Liban ». Les cartes politiques sont en train d’être redistribuées, et bien que les alliés stratégiques du Hezbollah soient toujours définis comme tels, ils n’agissent plus en conséquence, ni en harmonie avec l’objectif déclaré du Hezbollah de lutter contre la corruption. La justice restera à la merci de ces politiciens « angéliques » – directement accusés de corruption par le peuple – car ce sont eux qui choisissent les juges. Ils se battent aujourd’hui pour se protéger contre toute tentative du gouvernement d’examiner leur captation à long terme des richesses du pays. Le Hezbollah est isolé et, aux yeux de ces « anges » corrompus, il est devenu le « Grand Satan ».
Le Hezbollah a soutenu un Premier Ministre et un Cabinet tous amis des États-Unis, afin que Diab puisse diriger lui-même un pays en crise grave, et bénéficier du soutien de la communauté internationale. Cependant, les troubles incessants montrent que Diab n’est pas autorisé à gouverner. Cela indique que l’objectif des politiciens libanais pro-américains est de faire tomber le gouvernement, en le forçant à démissionner. Si cela se produit, tout porte à croire que la situation se retournera contre le système confessionnel au Liban – et que l’accord d’Al-Taef sera sur la table. Dans ce cas, le groupe qui détient le plus de pouvoir peut choisir un gouvernement et les dirigeants du pays, qui formera une caste au détriment de tous les autres groupes.
Elijah J. Magnier
Traduit par Michel, relu par jj pour le Saker Francophone
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