L’une des affirmations centrales de l’enquête Mueller sur la prétendue ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016 était l’allégation selon laquelle des agents russes auraient piraté le serveur du Comité national démocrate (DNC). Ils auraient, par la suite, transmis ces courriels à WikiLeaks.
Ces courriels, publiés par WikiLeaks en juillet 2016, ont révélé que le DNC avait conspiré pour saper la campagne de Bernie Sanders pour l’investiture démocrate à l’élection présidentielle. Le Parti démocrate et les services de renseignements américains ont affirmé sans ménagement l’existence d’une prétendue «connexion russe». Les grands médias américains ont répété cette affirmation avec soin depuis, voire même après l’effondrement de l’enquête de Mueller.
Des manifestants brandissent une banderole pour demander la libération de Julian Assange [Photo: AP Photo/Frank Augstein]
Comme l’a commenté le World Socialist Web Site à l’époque, c’était toujours un mensonge à motivation politique. C’était conçu pour déformer le rejet par la classe ouvrière américaine de la candidate démocrate à la présidence Hillary Clinton. C’était façonné aussi pour discréditer WikiLeaks et promouvoir un coup d’État antidémocratique contre Donald Trump. Aucune preuve n’a jamais été fournie pour ces affirmations, si ce n’est les propos de membres anonymes de la «communauté du renseignement».
Un témoignage devant la commission des renseignements de la Chambre des représentants (HIC) qui a été récemment rendu public confirme que ces agents des services de renseignement et du Parti démocratique ont délibérément répandu un mensonge. La source de l’affirmation selon laquelle des agents russes auraient piraté le serveur du DNC était la société de cybersécurité CrowdStrike. Elle s’est fait engager par le Parti démocrate pour enquêter sur la violation de ses données. Mais, lors d’un entretien avec le HIC en décembre 2017, le président de CrowdStrike, Shawn Henry, a fait une admission. À savoir: sa société n’avait aucune preuve que des données ont été piratées du serveur de la DNC, et encore moins que des pirates russes l’avaient fait.
Son témoignage a été étouffé pendant plus de deux ans. Selon le journaliste Aaron Maté, en septembre 2018, le HIC a voté à l’unanimité la publication des transcriptions et des interviews de témoins (dont celle de Shawn Henry). Mais en mars 2019, le représentant démocrate Adam Schiff – qui était l’un de ceux qui ont mené l’interview de Henry – a ordonné au bureau du directeur du renseignement national (ODNI) de ne pas divulguer les documents aux avocats de la Maison Blanche qui avaient l’intention de les analyser pour censurer tout qui tombait sous le coup de privilège de l’exécutif. Schiff a refusé de divulguer les transcriptions jusqu’à il y a quelques jours, après que Richard Grenell, allié de Trump et directeur intérimaire de l’ODNI, ait menacé de les divulguer lui-même.
Les déclarations d’Henry au Comité des renseignements font référence à plusieurs reprises à des «indicateurs» et à des «preuves circonstancielles» d’un piratage, mais ceux-ci ne peuvent dissimuler le fait qu’aucune preuve solide n’a pu être fournie. Henry a fait cet aveu dans plusieurs de ses réponses aux questions des membres du Comité:
«Nous n’avions pas de preuve concrète que les données avaient été exfiltrées [déplacées électroniquement] de la DNC, mais nous avons des indicateurs qu’elles l’ont été».
«Il y a des moments où nous pouvons voir que des données se sont fait exfiltrer, et nous pouvons le dire de manière concluante. Mais dans ce cas, il semble qu’elles aient été préparées pour être exfiltrées, mais nous n’avons pas de preuve qu’elles sont réellement parties».
«Il n’y a pas de preuve qu’elles ont été réellement exfiltrées. Il y a des preuves circonstancielles, mais aucune preuve qu’elles ont été réellement exfiltrées.»
«Il y a des preuves circonstancielles que ces données ont été exfiltrées du réseau… Nous n’avions pas de capteur en place qui voyait les données partir. Nous avons dit que les données sont parties sur la base des preuves indirectes. C’est la conclusion que nous avons tirée.»
Quant à l’allégation selon laquelle des agents de l’État russe étaient responsables du piratage de Schrödinger, Henry a simplement dit au Comité des renseignements ce qu’il «croyait» être le cas.
«Il y a d’autres États-nations qui collectent ce type de renseignements, c’est certain», a-t-il dit, «mais ce que nous appelons les tactiques et techniques était conforme à ce qui était généralement associé à l’État russe».
L’enquête interne de CrowdStrike «a vu des activités que nous pensions être cohérentes avec celles que nous avions vues auparavant et que nous avions associées au gouvernement russe».
CrowdStrike a de multiples liens avec des sections de l’élite américaine pro-Démocrate, déterminées à mener une confrontation agressive avec la Russie.
Avant de rejoindre l’entreprise, Henry lui-même était directeur adjoint exécutif au FBI alors que Mueller en était le directeur. Le co-fondateur de CrowdStrike, Dmitri Alperovitch, est membre du Conseil Atlantique, un des principaux groupes de réflexion de l’impérialisme américain. Et, comme le rapporte Maté, le témoignage déclassifié confirme que la société s’est fait engager pour enquêter sur la violation des données de la DNC par Michael Sussman, un avocat de Perkins Coie. Le même cabinet d’avocats, lié au Parti démocrate, a engagé la société de renseignement Fusion GPS afin de produire le tristement célèbre «dossier Steele» – un recueil de ragots non corroborés qui allègue les liens de Trump avec le président russe Vladimir Poutine.
En 2016, CrowdStrike a accusé à tort la Russie de pirater la technologie militaire ukrainienne.
Le directeur du FBI, James Comey, a néanmoins qualifié la société de «très respectée» dans son témoignage sur l’enquête Mueller. Alors que CrowdStrike menait son enquête sur la brèche dans la DNC, le FBI ne s’est pas penché de trop près sur son travail. Comey a déclaré au Congrès en 2017 que le Bureau «n’a jamais eu un accès direct aux machines [du DNC] elles-mêmes».
CrowdStrike, a-t-il poursuivi, «nous a fait part des résultats de leur examen du système».
Cependant, d’après le témoignage de Henry, c’est clair qu’on a autorisé CrowdStrike à être sélectif dans les informations qu’il a partagées. Selon lui, l’entreprise a fourni au FBI «quelques images numériques réelles» sur «plus de dix, je pense». Sinon, CrowdStrike a simplement fourni ses propres évaluations – «les résultats de notre analyse basée sur ce que notre technologie a permis de collecter».
L’été dernier, Consortium News a fait état d’un échange juridique entre Roger Stone, allié de CrowdStrike, et le ministère de la Justice. Leurs communications ont révélé que CrowdStrike n’a jamais fourni au FBI un rapport d’expertise sur les ordinateurs ciblés pour son enquête, seulement trois projets de rapport avec des parties expurgées.
Thomas Scripps
Article paru en anglais, WSWS, le 15 mai 2020
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca