Par Dominique Arias
Depuis le début de la « crise » on a eu droit à un feu d’artifice ininterrompu de chiffres et de commentaires tous azimuts dont les contradictions, les faiblesses et les carences ont laissé à beaucoup un profond sentiment de malaise. Comme une incapacité générale à faire cadrer ensemble les pièces du puzzle, une hantise de voir, de chercher vraiment comment poser les pièces pour qu’aucune ne refuse de s’emboîter aux autres. Habituellement, c’est un peu la norme dans les médias mainstream sur les sujets qui ont réellement un enjeu sur le plan international, mais on se dit c’est normal, il font leur boulot comme ils savent le faire. Qui s’attendrait encore à les voir nous surprendre ?
Mais personne n’a de recul sur une situation du type Covid, contrairement aux guerres et aux scandales financiers ou économiques, où certains sites dissidents restent au moins des références. Là, c’est littéralement le même feu d’artifice mais où la réflexion se fait majoritairement en miroir. Trop souvent, ça ne colle pas non plus, et le principe de monocausalité prédomine par défaut. « J’ai trouvé le suspect, c’est lui le coupable ! » Comme au temps de la peste. Comme si dans l’effervescence et la frustration du moment nous ne savions plus, nous non plus, remonter au contexte général de départ et faire la part des choses. Poser les éléments simplement devant soi et attendre… que la pression soit retombée, pour commencer à réfléchir.
Combien de fois nous a-t-on sorti que tous les chiffres étaient faux et que le Covid ne faisait, en réalité, pas plus de morts que la grippe ? Trump le premier, et Boris Johnson, lorsque la Chine demandait à l’OMS d’annoncer le risque de pandémie et imposait chez elle les premières mesures de confinement. Si toute cette histoire n’est qu’une vaste intox qui vise seulement à camoufler le hold-up du siècle, on voit mal la Chine en prendre l’initiative, et à son propre désavantage. Si le Covid, chiffres à l’appui, est moins létal que la malaria ou les accidents de la route, on voit mal l’intégralité du corps médical de tous les pays occidentaux, pour ne s’en tenir qu’à ceux là, se laisser massivement duper sur un simple pipeautage de chiffres, ou emboîter le pas unanimement et sournoisement dans la combine. Ça ne colle pas !
Sans vouloir les monter au pinacle, à ce qu’on a pu voir depuis pas mal d’années et jusqu’au début même de la crise, les blouses blanches (et les bleues, roses ou vertes qui travaillent avec) ne sont pas les dernières à descendre dans la rue, contre flash balls et grenades, pour défendre non seulement leur droits mais avant tout les nôtres. Et au moment de passer sur le billard pour un bobo quelconque ou davantage, ceux qui sont les premiers à leur jeter la pierre ou à les prendre pour des pommes sont généralement aussi contents que moi-même de pouvoir leur faire aveuglément confiance (fut-ce en croisant les doigts, avec la trouille au ventre). Qu’on leur impose parfois d’appliquer un protocole qui n’est pas, et de loin, le meilleur possible, ça arrive… Mais pas à ce point.
Pour comparer la létalité du Covid à celle de la grippe, du palud, de la faim dans le monde ou des accidents de la route (qui sont autant de chiffres non exponentiels et qui fluctuent assez peu d’une année sur l’autre), il faut la prendre hors confinement. C’est juste du bon sens. On peut difficilement juger « a priori », aujourd’hui, que le Covid aurait fait autant de victimes avec ou sans confinement. C’est prendre les Chinois ouvertement pour des débiles. Le Covid sans le confinement, difficile de savoir à quel niveau de létalité il en serait aujourd’hui, mais pour en avoir une idée il faut se tourner vers les premières villes touchées avant le confinement, comme Wuhan ou Bergame (Italie du Nord), où le taux de décès passait en quelques semaines à près de 1 000% des chiffres habituels. Même avec des chiffres erronés voire falsifiés, on est trop loin de la normale pour crier au simple canular. Sortir les faits de leur contexte pour mieux les balayer d’un revers de main, en principe, c’est les méthodes des médias mainstreams, pas les nôtres.
C’est justement dans le contexte que se trouvent les clés en général. Non ? Or quel était le contexte avant le début de la pandémie ? Le contexte mondial…
- Le système monétaire international était depuis des années sous perfusion, au bord de l’effondrement, du fait de sa totale incapacité à s’auto-réformer ou à se remettre sérieusement en cause. Depuis des années des économistes de renom, des universitaires spécialisés dans la finance, des Prix Nobel, dénonçaient des failles systémiques béantes, des pratiques suicidaires, et annonçaient l’éclatement de la bulle du système bancaire, mais nos « rois de la réforme », présidents à tour de rôle, refusaient de le réformer (ils refusent toujours).
- Les mouvements sociaux atteignaient un niveau jamais imaginé auparavant. A quelques votes près, l’Ecosse avait failli quitter l’Angleterre et l’Angleterre avait bel et bien quitté l’Europe sur un vote contre (là aussi, la contagion faisait son chemin). Après la Grèce, l’Espagne, l’Italie, c’était la France, dont la population tournait le dos aux partis politiques et demandait massivement à changer de modèle politique et à gouverner autrement. Un an ! Une année complète de grèves massives et de Gilets jaunes, d’émeutes et de répression quasi quotidiennes, pour rien… en France aussi l’Etat restait totalement étanche.
- Sur le plan international, le monde unipolaire centralisé depuis près d’un siècle autour des USA et des leaders de l’OTAN violait de plus en plus ouvertement le droit international jusqu’à l’indécence : Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye, Yémen, sans parler des coups d’état et autres « changements de régime », pour se casser finalement les dents sur la Syrie, depuis l’intervention des Russes, qui barraient la route vers l’Iran en inversant totalement, en quelques semaines, le cours d’une guerre pourtant gagnée d’avance. Une coalition d’une trentaine de pays riches, dont la triade la plus puissante de la planète, tournée en ridicule et forcée de se replier à deux doigts de la victoire. Et la Russie d’en profiter pour déployer sur le terrain (et bien au-delà) des capacités de défense insoupçonnées et clairement très en avance sur le niveau de technologie militaire des USA et de l’Europe.
- Economiquement, la Chine était manifestement partie pour devenir rapidement la première puissance mondiale et le leader de la 5G avec tout ce que ça pouvait entraîner en terme de marchés. Elle était aussi (on n’en parle qu’aujourd’hui) désormais en position de sanctionner l’Europe et les USA, si nécessaire, en les privant d’une part vitale de leur approvisionnement dans toutes sortes de domaines indispensable à leur industrie et à sa maintenance. Un tel niveau de dépendance n’était envisageable que si la Chine restait éternellement faible, pas si elle devenait puissante et autonome. En outre, elle était ouvertement en train de mettre en place avec la Russie un système de paiement international en monnaies locales, qui contournait l’omnipotence du Dollar dans le commerce international, c’est-à-dire non seulement la capacité des USA à prélever leur dîme sur toutes les transactions internationales, mais surtout leur capacité à imposer sans l’aval de l’ONU (donc sans veto possible), à n’importe quel pays cible des sanctions internationales incontournables – préalable habituel et nécessaire à tout coup d’Etat, changement de régime ou « intervention humanitaire » militarisée. Une mécanique vitale pour l’hégémonie occidentale depuis les années 1950.
- Tandis que la Russie, avec son offre de passage à un système multipolaire – perspective très tentante pour de nombreux pays prisonniers de la dette – s’imposait comme une alternative pertinente, attrayante et fiable à long terme sur le plan de la diplomatie internationale (en démontrant notamment ce que pouvait signifier une alliance avec un pays capable de faire respecter le droit international contre ceux qui le violent aussi impunément que les traités qu’ils signent), la Chine déroulait sa Route de la Soie vers le Sud et le Moyen Orient, et s’offrait à l’Afrique comme un partenaire commercial potentiellement plus fiable et prometteur, en terme d’autonomie, que les anciennes puissances coloniales, toujours engoncées dans leurs manigances, leur pillage effréné sans retombées, leurs « monnaies de singe » (CFA) et leurs coups d’Etat militaires (Côte d’Ivoire). Même sans Kadhafi, la crédibilité des Grandes puissances occidentales était définitivement en berne, et le lâchage généralisé avait bel et bien démarré.
Et ce ne sont que quelques traits saillants du contexte international pré-Covid. Tout cela mis ensemble dessine l’effondrement annoncé d’un paradigme centenaire. Mais on peut rajouter un trait supplémentaire (et pas des moindres) qui pourrait n’être pas sans lien avec le contexte actuel. Depuis pas mal d’années certains de nos « hommes les plus riches du monde » rappellent incidemment de colloques en interventions télévisées, sur le ton de la plaisanterie, que le niveau de peuplement exagérément exponentiel de la planète ne leur est pas indispensable, et qu’un cheptel excessif pose davantage de problèmes de gestion qu’il ne rapporte réellement de dividendes. Ces problèmes de gestion ont un coût, sans retour sur investissement, et ne sont pas sans risques en termes de stabilité. Et de faire valoir, pour rester à la page, que le coût écologique même de ces populations excédentaires finirait par devenir ingérable, et que c’est toujours aux mêmes Grandes puissances d’anticiper sur la solution de tels problèmes – et cela, pas seulement dans les pays du Sud…
Ce qui ne colle pas ?
En terme d’impact, l’arrêt total de la majorité des plus puissantes économies du monde était l’équivalent d’une grève générale planétaire de trois semaines, suivie à 90%. Une sorte de rêve ouvrier aussi inimaginable que le cauchemar du confinement mondial. Et il n’est pas difficile d’imaginer l’impact économique dramatique qu’aurait pu avoir un tel mouvement de grève sur les marchés internationaux. Avec l’effet de surprise et la panique contagieuse, l’effondrement total était instantané et sans appel. Or ici, au contraire, on commence seulement aujourd’hui à nous annoncer les licenciements et faillites en cascade à venir (pour les petites entreprises seulement), mais sereinement, calmement, comme on vous annoncerait qu’il faudra sans doute envisager à terme de vous couper la jambe. On déniche des fortunes invraisemblablement disponibles pour empêcher l’effondrement des plus grandes entreprises, quitte à endetter les Etats (c’est-à-dire les contribuables) pour des décennies, alors même qu’on annonce des faillites en cascades et des taux de chômage record. Et dans un tel contexte, il nous est interdit de penser que s’il n’y a pas d’effet de surprise c’est qu’il y a délit d’initié, et s’il y a délit d’initié, c’est que… les chauves souris sont prodigieusement organisées et malveillantes, ou que les pangolins avaient en fait des portefeuilles d’actions insoupçonnés. Mais ça, ça ne colle pas…
Lorsqu’on roule à tombeau ouvert sur une autoroute, tous les voyants au rouge, et que le moteur se met à fumer gravement, on n’attend pas que le moteur casse et la voiture avec. On se range sagement sur le côté, on coupe le contact, on laisse refroidir et on regarde sous le capot ce qu’on peut faire. Or, si, dans le contexte international décrit plus haut, les plus hautes instances internationales avaient tacitement décidé, voire anticipé, de mettre un jour ou l’autre le système économique planétaire en coma artificiel pour le réanimer ensuite, plutôt que d’attendre qu’il s’effondre, et si même la Russie et la Chine étaient clairement dans la combine au point de tricher eux aussi, massivement, sur les chiffres de létalité du Covid, cela signifie que toute la situation géopolitique antérieure, de rivalité et de compétition permanente depuis vingt ou trente ans, n’était que de la poudre aux yeux. Mais ça, ça ne colle pas !
Dans un contexte où ils étaient clairement en train de changer à leur avantage un paradigme international centenaire dans lequel ils étaient perdants, peut-on imaginer sérieusement qu’il était réellement possible d’imposer à la Chine et à la Russie de renoncer aux fruits de décennies d’efforts sans qu’il y ait pour eux, faute d’issue, un risque réel d’effondrement et des vrais morts dans la balance ? Non !
La létalité du Covid peut bien ne pas correspondre exactement à ce qu’en annoncent les médias, elle n’en est pas moins nécessairement réelle, pour être fonctionnelle. Qu’elle ne suscite guère plus d’états d’âmes chez nos décideurs que les guerres qu’ils rentabilisent continuellement depuis des siècles n’a, hélas, rien de bien surprenant. Quant à son origine, elle est effectivement douteuse, au vu du contexte général, et la rapidité à laquelle le virus s’est répandu sur toute la surface du globe en à peine deux semaines, alors qu’en Italie, le pays le plus mortellement frappé d’Europe bien avant les premières mesures de confinement, les régions du sud ne comptent à ce jour pratiquement aucune victime, n’en est qu’un indice parmi d’autres – l’étonnante diversité des souches et la répartition quasi géopolitique des souches les plus létales, notamment. Il est cependant assez probable que cette épidémie a encore des millions de morts en réserve sur le plan international – y compris chez nous, et a fortiori dans les pays du Sud. Mais ce qui est déjà certain c’est que la grande majorité des victimes ne mourra pas de pneumonie mais de faim et de désespoir, qui sont les principaux facteurs d’abaissement de notre système immunitaire. Cette réalité là, c’est celle du monde où nous vivons, aujourd’hui – et c’est celle de demain, que nous voulions le voir ou non.
Quant au « monde d’après » auquel tout le monde rêve, tant que nous ne serons pas capables unanimement de considérer l’avidité, l’insatiabilité (greed), l’absence d’empathie, l’indifférence à la destruction de la fine pellicule de biotope qui recouvre notre planète et dont nous sommes partie intégrante, comme les symptômes sans équivoques d’une maladie mentale réellement dangereuse (bien plus que le Covid), d’une pathologie physiquement identifiable et non purement théorique, d’un dysfonctionnement endocrinien et neuronal, touchant des zones très spécifiques du cerveau, qui peut et doit impérativement être diagnostiqué, soigné et pris en charge, nous demeurerons totalement incapables de changer de paradigme, et nous serons condamnés, par manque de détermination, à une situation mondiale qui ne peut qu’empirer une année après l’autre.
Quoi qu’on répare… ça ne collera pas !
Il n’y a pratiquement pas de martinets à Lyon cette année. Inutile d’attendre… ils ne viendront pas.
Dominique Arias
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
via:https://lesmoutonsenrages.fr/2020/05/11/reflexion-covid-19-ca-ne-colle-pas/#more-127801
Source: Lire l'article complet de Réseau International