Par Mark Whitney − Le 6 avril 2020 − Source Global Research
Henry Kissinger pense que le Coronavirus est une menace pour son précieux Nouvel Ordre Mondial, il veut donc que le Président Trump fasse tout son possible pour protéger le système. Dans un article d’opinion publié vendredi dans le Wall Street Journal, l’ancien secrétaire d’État a exhorté Trump à lancer un grand projet, comme le plan Marshall, pour unifier les alliés et les convaincre que l’Oncle Sam peut encore rallier les troupes en temps de crise. Voici ce qu’écrit Kissinger :
Tirant les leçons de l’élaboration du plan Marshall et du projet Manhattan, les États-Unis sont obligés d’entreprendre un effort important dans trois domaines. Premièrement, renforcer la résilience mondiale face aux maladies infectieuses… Deuxièmement, s’efforcer de panser les plaies de l’économie mondiale… Troisièmement, sauvegarder les principes de l’ordre mondial libéral.
Si l’attaque contre la santé humaine sera – espérons-le – temporaire, les bouleversements politiques et économiques qu’elle a déclenchés pourraient durer des générations. Aucun pays, pas même les États-Unis, ne peut, dans un effort purement national, vaincre le virus. Répondre aux nécessités du moment doit en fin de compte être associé à une vision et à un programme de collaboration mondiale. Si nous ne pouvons pas faire les deux en tandem, nous ferons face au pire de chacun.
The Coronavirus Pandemic Will Forever Alter the World Order, Wall Street Journal
Kissinger pense que la rhétorique de « l’Amérique d’abord » de Trump a sapé les relations étrangères et affaibli l’hégémonie américaine. Il pense que les politiques isolationnistes de l’Administration ont créé un vide de leadership que la Chine a rapidement comblé. Et il a raison, après tout, pendant que la Chine envoyait des équipes médicales et des fournitures vitales aux pays durement touchés par le virus, les États-Unis s’affairaient à durcir les sanctions contre l’Iran, Cuba et le Venezuela, ce qui empêchait les civils infectés de recevoir les médicaments dont ils avaient besoin pour survivre. Naturellement, les contributions humanitaires de la Chine ont été largement applaudies, tandis que la conduite de Washington a été dénoncée comme étant mesquine, vicieuse et vindicative. Il ne fait aucun doute que l’administration Trump a cédé la haute main morale à son ennemi juré, la Chine. Voici Kissinger à nouveau :
Aujourd’hui, dans un pays divisé, un gouvernement efficace et clairvoyant est nécessaire pour surmonter des obstacles d’une ampleur et d’une portée mondiale sans précédent. Le maintien de la confiance du public est crucial pour la solidarité sociale, pour les relations entre les sociétés et pour la paix et la stabilité internationales.
Source : Wall Street Journal
Bien sûr, lorsque M. Kissinger parle de « confiance du public » et de « solidarité sociale », il veut dire en réalité que le gouvernement doit mettre en place une stratégie de relations publiques efficace qui permettra de duper les moutons pour qu’ils s’alignent. Dans le lexique de Kissinger, la solidarité est définie de façon étroite comme « le soutien public à des projets élitistes » comme la mondialisation, l’ouverture des frontières et la libre circulation des capitaux. Ce sont les principes qui guident les recommandations de Kissinger ; pas d’affection pour les travailleurs qu’il considère comme des mules stupides. Voir aussi:
Les nations sont cohérentes et prospèrent en croyant que leurs institutions peuvent prévoir les calamités, en arrêter l’impact et rétablir la stabilité. Lorsque la pandémie de Covid-19 sera terminée, les institutions de nombreux pays seront perçues comme ayant échoué. Que ce jugement soit objectivement juste ou non n’est pas pertinent. La réalité est que le monde ne sera plus jamais le même après le coronavirus. Se disputer maintenant sur le passé ne fait que rendre plus difficile ce qui doit être fait.
Source : WSJ
Vous voyez ? Ce qui intéresse vraiment Kissinger, c’est l’ordre mondial post-coronavirus, qui, selon lui, marquera le début d’une ère entièrement nouvelle, une ère où les gouvernements devront répondre à des crises inattendues, à une polarisation politique amère et à la perspective croissante de troubles sociaux. Kissinger semble saisir tout cela, mais au lieu d’offrir une nouvelle vision de l’avenir, il s’accroche aux vestiges d’un système défaillant qui a exacerbé le fossé des richesses, déclenché une crise financière écrasante après l’autre et élargi l’arc d’instabilité de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale en passant par le Moyen-Orient. C’est l’ordre mondial que Kissinger veut préserver, un imperium centré sur l’Amérique et dirigé par les élites de l’establishment, les ploutocrates buveurs de cognac et la mafia bancaire. Faut-il s’étonner que les prolétaires réclament le changement ? En voici d’autres :
Les démocraties du monde ont besoin de défendre et de soutenir leurs valeurs des Lumières. Un recul mondial de l’équilibre entre pouvoir et légitimité entraînera la désintégration du contrat social tant au niveau national qu’international.
Source : WSJ
« Les valeurs des Lumières » ? Est-ce ce que nous avons vu sur les photos d’Abu Ghraib, ou les images de Falloujah décimée, ou les innombrables rapports de sites noirs où les victimes enlevées ont été prises par des agents des renseignements américains et battues pour se soumettre ? Pratiquent-ils des valeurs d’illumination à Gitmo [diminutif affectueux du camp de Guantanamo], ou à la base aérienne de Bagram ou à Mossoul qui a été réduite en ruines par l’artillerie lourde et les bombardiers américains ? Kissinger peut parler des valeurs des Lumières tant qu’il veut, mais il sait par expérience que ces valeurs sont précaires au sommet d’une montagne de cadavres sanglants, tous sacrifiés au nom de l’ordre mondial libéral. Et encore :
Les penseurs du Siècle des Lumières (ont soutenu) que le but de l’État légitime est de pourvoir aux besoins fondamentaux du peuple : sécurité, ordre, bien-être économique et justice. Les individus ne peuvent pas assurer ces choses par eux-mêmes. La pandémie a provoqué un anachronisme, une renaissance de la ville fortifiée à une époque où la prospérité dépend du commerce mondial et de la circulation des personnes.
Source : WSJ
A nouveau, le thème favori de Kissinger, « commerce mondial et circulation des personnes », les deux piliers qui s’effondrent d’un projet de mondialisation qui est en fin de vie et qui attend d’être euthanasié par les millions de chômeurs américains qui ont vu leurs emplois, leurs usines et leurs espoirs pour l’avenir partir en fumée à cause de la mondialisation, de la délocalisation et du glorieux « ordre mondial libéral » de Kissinger. Même aujourd’hui, alors que l’économie américaine est au point mort et que les travailleurs américains sans emploi attendent anxieusement à leur porte les 1 200 dollars dérisoires que leur a versés l’Oncle Sam, Kissinger continue de braire au sujet du merveilleux Nouvel Ordre Mondial qui a grandement amélioré « la sécurité, l’ordre, le bien-être économique et la justice ».
N’en jetez plus!
Je suis d’accord avec Kissinger pour dire que l’ordre mondial post-Covid sera sensiblement différent du monde qui l’a précédé, mais je n’irai pas plus loin. En vérité, le système dominé par les États-Unis s’effondre parce que les peuples du monde ne veulent pas être gouvernés par la force, parce que les dirigeants américains sont des incompétents qui ne sont pas dignes de confiance pour faire ce qui est juste, et parce que l’arrogance de Washington qui décide seul de sa politique a transformé de vastes régions du Moyen-Orient et de l’Asie centrale en terres incultes inhabitables.
Soyons réalistes, les États-Unis avaient une chance de montrer au monde qu’ils pouvaient être un gardien fiable de la sécurité mondiale, et ils l’ont ratée. Rien de ce que dit Kissinger ne changera cela.
Traduit par Michel, relu par Marcel pour le Saker Francophone
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