Comme l’écrit Sébastien Schifres dans son mêmoire de maitrise « l’Autonomie étant avant tout une pratique avant d’être une idéologie, contrairement aux autres composantes de l’extrême-gauche, il n’est pas nécessaire de se dire « Autonome » pour en être un, beaucoup d’Autonomes refusant toutes les idéologies et toutes les étiquettes, y compris celle d’ « Autonome ». Ce sont donc avant tout les pratiques d’un individu qui permettent de l’identifier comme étant « un Autonome ». Il ne suffit pas cependant d’avoir une pratique autonome pour être « un Autonome ». Encore faut-il aussi en avoir la culture, un élément important de cette identité politique . Les fréquentations d’un individu peuvent aussi permettre de l’identifier comme étant « un Autonome » : fréquentations qui feront que tel individu sera perçu comme tel de l’extérieur de la mouvance en étant assimilé « aux Autonomes ». « La mouvance reconnaîtra les siens »… ( Article paru en Juillet 2017 dans le Rébellion 80, il n’évoque donc pas la suite avec le mouvement des Gilets Jaunes et celui contre la réforme des retraites).
L’origine du mouvement autonome : une métapolitique de l’action
Avant d’évoquer l’évolution récente du mouvement autonome, il convient d’en restituer l’origine, au moins pour la fin du XXème siècle1. Lorsque le mouvement autonome émerge comme une force avec laquelle il faut compter à « l’extrême-gauche » , mai 1968 est déjà passé et l’on se trouve à l’orée des années 1970. Ce développement prend sa source dans la bureaucratisation et la relative impuissance des organisations de masse tel que le PC et l’UNEF, qui semblent incapables de mener une réelle action révolutionnaire.
Les divers courants autonomes se nourrissent bien sûr au lait de l’anarchisme et du situationnisme, mais aussi de manière plus inattendue à celui d’un marxisme hétérodoxe, dont le maoïsme (voir les mao-spontanéistes) et l’opéraïsme2 venu d’Italie en constituent les principales briques. Le mouvement autonome se distingue alors par sa volonté de démocratie ouvrière et son insurrectionnalisme, qui le place en porte à faux des organisations de masse.
A cette époque, ces différents courants s’appuient sur un vrai travail métapolitique : c’est l’émergence des squats, d’une véritable réflexion politique sur l’avant-gardisme et le refus du travail, le tout appuyé sur de nombreuses publications. La connexion avec le monde ouvrier, quoique déjà un peu lâche, est tout de même bien réelle, ce que montrent des groupes comme les brigades rouges italiennes par exemple. On cherche à rapprocher réellement prolétariat et lumpenprolétariat et la percée dans le sociétal reste le plus souvent liée au social et à la propagande socialiste.
Un dynamisme…
Nouvelles structures
Les mouvements autonomes sont les rares à faire preuve de dynamisme antisystème aujourd’hui. Par exemple la Nuit Debout, quel que soit ses limites, lui est largement tributaire. L’avantage des autonomes étant de pouvoir mobiliser dans un cadre non partisan et donc relativement large, autour de revues ou de personnalités.
C’était déjà le cas pour le mouvement des indignés et ce type de rassemblement a eu un relatif succès en Europe du Sud, notamment en Espagne avec les indignados et aujourd’hui Podemos. Cependant en France aucune structure partisane ne semble devoir capitaliser sur ce dynamisme, pour deux raisons principales : Les institutions de la Vème république ne permettent que peu de changement politique et les Fronts (national et de gauche) ont tendance à institutionnaliser l’opposition.
La politisation de l’écologie (en tout cas en dehors des Verts) et le principe des Zad sont à mettre à leur actif, montrant bien que défense de la nature et logique marchande sont irréconciliables. Ce type d’organisation en Zad permet aussi une politisation anticapitaliste de nombreux jeunes « hippies » et autres altermondialistes jusqu’ici forts modérés. C’est le point fort de ces courants d’apparaître sur une base affinitaire et métapolitique. C’est aussi un très bon moyen de fixer dans un cadre un peu plus durable les actions politiques. A vrai dire la principale limite de ce dynamisme est de rester dans un gauchisme sectaire et se positionner de manière antipatriotique, refusant de faire le lien avec d’autres mouvements (par exemple le mouvement du 14 juillet). Or, contrairement à l’Espagne ou à l’Italie où le régionalisme et le fédéralisme sont puissants, la majorité des français reste attachée à un État national fort et le patriotisme est une valeur (à raison nous semble-t-il) populaire.
La juste critique du cirque médiatique, même si ce dernier est parfois exploité par les autonomes eux-mêmes, est également un point fort. Ce refus des médias traditionnels porte le succès d’œuvres de ré-information, comme le documentaire « Merci, patron » ou les conférences de Lordon. D’un point de vue métapolitique, la dynamique est de toute évidence très intéressante.
Enfin, en termes de tactique d’affrontement, les blacks blocks ont un intérêt certain et préparent le passage à l’illégalité. D’ailleurs ce fonctionnement a été repris par des groupes différents et a fait florès dans le monde entier.
… marquée par la décadence individualiste
Malheureusement, les mouvements autonomes d’aujourd’hui n’échappent pas à la décadence individualiste qui touche le reste de « l’extrême-gauche », véritable conséquence du capitalisme intégral. C’est d’ailleurs parce qu’ils s’adaptent très bien à l’esprit de la période qu’ils connaissent ce succès. On y voit un caractère petit-bourgeois et gauchiste (au sens léniniste) de plus en plus affirmé, qui va non seulement jusqu’à renier les notions de socialisme et de prolétariat, mais même à lutter contre elles.
Décadence des idées
Le premier symptôme de cette décadence est la sectarisation. On voit des organisations informelles, qui refusent ce titre, fonctionnant en vase clos, rarement à plus d’une dizaine, et qui partagent appartements, relations sexuelles, voire même enfants3. Ces sectes en viennent même à se rendre odieuses aux autres autonomes. Sous prétexte de refuser la bureaucratisation on arrive à la domination des éléments les plus braillards, camouflés par un intellectualisme parfois assez obscur.
Les idées de ces groupes peuvent être qualifiés de nihilisme, au sens du mouvement russe du XIXème siècle : il faut reconstruire sur la cendre, détruire la société capitaliste en détruisant ses équipements et ses espaces publics.
Le deuxième symptôme est le remplacement des idées socialistes, comme chez certaines organisations, par un gloubiboulga sociétal mêlant lutte anti-carcérale, apologie du lumpenprolétariat des quartiers, immigrationisme, refus du travail et antifascisme. La conscience de classe et jusqu’au mot lui-même disparaissent dans les limbes. Comment dès lors peser sur la masse du prolétariat ?
Décadence des modes d’actions
Mais en général point d’attaque de commissariats ou de casernes et pas d’assassinats. On préfère s’en prendre aux vitrines des banques, voire aux facs et aux abribus. En détruisant le rare espace non encore privatisé, les autonomes se font les idiots utiles du capital et préparent une fructueuse « réhabilitation ». Les auto-réductions, défendables en principe, en viennent à devenir du brigandage gratuit où la redistribution est peu effective et où le dédain et les insultes vis à vis des employés montrent le mépris du prolétariat. On voit également l’hypocrisie des discours anti-organisations lorsque que, après quelques échauffourées en manifestation, beaucoup d’autonomes se replient sous la protection des services d’ordre de la CGT ou du NPA. Ils ne peuvent dans ces conditions que rallier le lumpenprolétariat le plus « marginal », laissant d’ailleurs indifférente la grande masse de celui-ci.
En conclusion : Vu l’affaiblissement des organisations politiques anti-système aujourd’hui, les autonomes tirent leur épingle du jeu en s’adaptant à la tribalisation et à l’atomisation de la société, attirant les déçu des organisations traditionnelles et les militants les plus ardents, prêts à en découdre. C’est un réservoir d’énergie important, malheureusement pris en étau d’un côté par un intellectualisme stérile (et souvent pastiche du situationnisme) en théorie, et de l’autre par un insurectionnalisme contre-productif en pratique.
Néanmoins, si une organisation parvient à s’imposer dans ce milieu, elle disposera d’une énergique avant-garde et de relais métapolitiques puissants.
Pierre Lucius
A lire :
Sébastien Schifres, La Mouvance autonome en France de 1976 à 1984, Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine et sociologie politique, Université Paris Ouest Nanterre La Défense,
Note :
1Sans aller jusqu’aux prémices de ce mouvement au XIXème et XXème siècle, à chercher du côté du nihilisme russe et du conseillisme marxiste.
2Né en Italie au début des années 60, l’opéraïsme prône le refus du travail en tant qu’institution et la spontanéité d’action.
3A l’exemple de ceux qu’on appelle justement les « appelistes » se référant à La révolution qui vient du Comité Invisible
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