Jeudi, le Sénat américain était bien en deçà de la majorité des deux tiers nécessaire pour passer outre le veto du président Donald Trump à une résolution sur les pouvoirs de guerre qui visait à limiter son autorité pour mener une guerre d’agression contre l’Iran.
Quarante-neuf sénateurs ont voté contre le veto et 44 pour le maintenir. Sept républicains se sont joints aux démocrates pour voter pour annuler les mesures du président. Cela était similaire au clivage lors du vote du Sénat en février pour adopter la résolution, lorsque huit républicains se sont joints aux démocrates pour la soutenir.
Tandis que le projet de loi a été adopté par le Sénat en février et la Chambre en mars, il a fallu près de deux mois pour qu’elle parvienne à la Maison Blanche en raison de la pandémie de coronavirus.
Le président Donald Trump s’adresse au pays depuis la Maison Blanche. (Photo AP / Evan Vucci)
La législation a été introduite suite à l’assassinat criminel, le 3 janvier, par un missile drone du général Qassem Suleimani, l’un des plus hauts dirigeants iraniens, peu après son arrivée à l’aéroport international de Bagdad en mission diplomatique pour rencontrer le Premier ministre irakien d’alors, Adel Abdul Mahdi. Un haut dirigeant du mouvement de la milice chiite irakienne, faisant partie des forces armées du pays, a également été tué dans l’attaque, ainsi que plusieurs autres Iraniens et Irakiens.
Le chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, a défendu le veto de Trump dans des remarques prononcées jeudi au Sénat, qualifiant la résolution de pouvoirs de guerre de «peu judicieuse» et défendant l’assassinat du leader iranien: «Nous devons maintenir la mesure de dissuasion que nous avons rétablie avec la frappe décisive contre Suleimani. »
Le sénateur démocrate Tim Kaine de Virginie, l’un des principaux commanditaires de la législation, a utilisé ses propres remarques pour insister sur le fait que la mesure «ne faisait pas partie d’une stratégie visant à nuire au président Trump». Il a ajouté: «J’ai défendu ces mêmes positions que d’autres membres de cette chambre sous des présidents à la fois démocrates et républicains.»
Pour sa part, Trump a publié deux déclarations, l’une un message officiel de veto présidentiel et l’autre une déclaration grossièrement politique émanant du Pentagone dans laquelle il a décrit le projet de loi comme une «résolution très insultante, présentée par les démocrates dans le cadre d’une stratégie pour gagner une élection le 3 novembre en divisant le Parti républicain». Il a accusé les huit républicains qui ont voté en faveur de la mesure d’avoir «joué directement leur jeu».
Il a poursuivi en insistant sur le fait que la résolution n’était pas nécessaire, déclarant que les États-Unis «n’avaient pas recours à la force contre l’Iran». Il a indiqué que l’assassinat de Suleimani en Irak, suivi de frappes de missiles iraniens sur des bases américaines en Irak, au cours desquelles aucun membre du personnel américain n’a été tué, avait mis un terme à l’affaire. Quant à l’assassinat, il a affirmé qu’il « était pleinement autorisé par la loi, notamment par l’Autorisation de recourir à la force militaire contre l’Irak de 2002 et l’article II de la Constitution ».
Il a critiqué la résolution des pouvoirs de guerre pour avoir laissé entendre que le droit du président américain de déclencher une guerre sans l’approbation du Congrès se limitait à la défense des États-Unis et de leurs militaires contre «une attaque imminente».
«C’est incorrect», a-t-il écrit. «Nous vivons dans un monde hostile, rempli de menaces en évolution, et la Constitution reconnaît que le président doit être en mesure d’anticiper les prochaines actions de nos adversaires et de prendre des mesures rapides et décisives en réponse.»
En d’autres termes, il a affirmé que la Constitution américaine reconnaissait le droit d’un président américain à mener une guerre préventive, c’est-à-dire agressive, un crime de guerre en vertu du droit international. Quel passage précis de la Constitution américaine autorise de telles actions criminelles, Trump ne l’a pas dit.
Dans une déclaration officielle distincte adressée au Sénat, Trump a déclaré que la résolution était «inutile et dangereuse», ajoutant que son objectif apparent était d’empêcher une escalade du conflit avec l’Iran. «Pourtant, aucune escalade de ce type ne s’est produite au cours des 4 derniers mois, contrairement aux prévisions souvent funestes et assurées de beaucoup», indique le communiqué.
L’affirmation de Trump du droit essentiellement illimité du président de faire la guerre quand et comment il le souhaite, indépendamment des limitations constitutionnelles ou du sentiment populaire, n’est guère une innovation. Son prédécesseur, le démocrate Barack Obama, a affirmé le même droit en ce qui concerne la guerre américaine et de l’OTAN pour un changement de régime en Libye en 2011.
Cette dernière résolution sur l’Iran, qui est fondée sur la Résolution des pouvoirs de guerre adoptée par le Congrès en 1973 après le retrait américain du Vietnam et sur le veto du président de l’époque, Richard Nixon, était largement sans effet en termes de restriction du pouvoir présidentiel.
Elle appelait le président américain à mettre fin au conflit armé avec l’Iran en l’absence d’une déclaration de guerre ou d’une autorisation d’utilisation de la force militaire approuvée par le Congrès. Elle comprenait cependant une disposition garantissant au président le pouvoir de mener une action militaire face à une «attaque imminente» sans cette approbation.
Étant donné que la justification initiale de l’assassinat américain de Suleimani était fondée sur l’affirmation bidon selon laquelle elle était conçue pour prévenir une telle «attaque imminente», la résolution prévoyait une clause de sauvegarde délibérément conçue pour garantir que le pouvoir illimité de lancer une agression militaire resterait entre les mains de la Maison Blanche.
Le gouvernement Trump a ensuite fait marche arrière quant à l’affirmation selon laquelle le meurtre de Suleimani visait à prévenir toute attaque imminente contre les forces américaines, reconnaissant que le meurtre avait été conçu pour freiner «l’activité malveillante» de l’Iran au Moyen-Orient, c’est-à-dire son ingérence dans l’imposition de l’hégémonie incontestée de Washington dans la région. Suleimani a été tué alors qu’il tentait de négocier un apaisement des tensions entre l’Iran et la monarchie saoudienne, menaçant ainsi l’axe anti-iranien impliquant les Saoudiens et d’autres cheikhs pétroliers du Golfe avec Israël.
A peine deux jours avant le veto de Trump à la résolution sur les pouvoirs de guerre contre l’Iran, une écrasante majorité bipartite de 387 membres de la Chambre des représentants a envoyé une lettre au Département d’État américain appelant à l’utilisation d’une «diplomatie robuste» pour forcer la prolongation d’un embargo sur les armes contre l’Iran qui est censé expirer en octobre dans le cadre du Plan d’action global conjoint (JCPOA) de 2015, l’accord sur le nucléaire conclu entre Téhéran et les grandes puissances.
La levée des sanctions contre l’Iran fut proposée dans le cadre de l’accord en échange de la réduction drastique de son programme nucléaire par Téhéran. Le gouvernement Trump a abrogé l’accord en mai 2018 imposant une série de sanctions unilatérales de plus en plus punitives dans le cadre d’une campagne de «pression maximale» qui équivaut à un état de guerre.
Alors que le secrétaire d’État voyou de Washington, Michael Pompeo, a menacé d’invoquer le «snapback» (rétablissement) des sanctions des Nations Unies existantes afin de maintenir l’embargo, Washington n’a pas de statut pour le faire après avoir rompu l’accord nucléaire. Il peut faire pression sur ses anciens alliés européens pour qu’ils poursuivent l’embargo, mais il est pratiquement certain que la Chine et la Russie, toutes deux signataires de l’accord, opposeront leur veto à une telle manœuvre.
Le groupe bipartite du Congrès appelant à une pression accrue des États-Unis contre l’Iran est dirigé par le président du comité des affaires étrangères de la Chambre, Eliot Engel de New York. Sa démarche souligne le soutien des partis démocrates et républicains à la campagne d’agression américaine contre l’Iran.
Washington a progressivement durci les sanctions économiques américaines contre l’Iran dans des conditions dans lesquelles le pays a été confronté à l’un des taux de mortalité les plus élevés au monde à cause de la pandémie de coronavirus, avec plus de 103.000 cas confirmés jeudi et près de 6.500 décès. Le régime de sanctions a empêché Téhéran d’importer les médicaments essentiels et les fournitures médicales nécessaires pour lutter contre la pandémie et fournir des soins de santé adéquats, entraînant des milliers de morts inutiles et évitables.
La pandémie meurtrière est considérée par Washington comme une autre arme de guerre utile dans sa campagne prolongée pour forcer le peuple iranien à se soumettre et à effectuer un changement de régime dans ce pays riche en pétrole et géo-stratégiquement important.
Bill Van Auken
Article paru en anglais, WSWS, le 8 mai 2020
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