La Chine avance à travers le chaos et les menaces

La Chine avance à travers le chaos et les menaces

Au milieu de la pire contraction économique depuis près d’un siècle, le président Xi Jinping avait déjà très clairement indiqué, le mois dernier, que la Chine devait être prête à relever sans relâche des défis sans précédent de la part de l’étranger.

Il ne faisait pas seulement référence au possible découplage des chaînes d’approvisionnement mondiales et à la diabolisation permanente de tous les projets liés aux nouvelles Routes de la soie, ou Initiative Belt and Road.

Un document interne prétendument fuité, qui serait « secret et invisible » en Chine mais a néanmoins été obtenu par une obscure source liée à l’Occident, a même déclaré, en substance, que les reproches adressés à la Chine concernant le virus sont de l’ordre d’un retour du contrecoup de Tienanmen.

Selon ce document secret et invisible, la Chine doit « se préparer à une confrontation armée entre les deux puissances mondiales » – une référence aux États-Unis. Comme s’il s’agissait d’une stratégie agressive déployée par l’État chinois, et non d’une réponse à l’escalade massive de la guerre hybride 2.0 par le gouvernement américain.

Quoi qu’il en soit, la diabolisation hystérique de la Chine dans la Beltway [Washington, NdT] a maintenant dépassé les niveaux d’hystérie de la diabolisation précédente de la Russie.

Ce que Beijing avait l’habitude de définir comme une « période d’opportunité stratégique » est terminé. Des rumeurs ont circulé dans les cercles d’information selon lesquelles les dirigeants du PCC pensaient que cette fenêtre d’opportunité stratégique perdurerait sans entrave jusqu’à la date clé de 2049 – lorsque le « rêve chinois » devait être pleinement réalisé.

C’est abandonné. La nouvelle donne est maintenant une guerre hybride 2.0 déployée par les États-Unis pour contenir la superpuissance émergente à tout prix. Et cela implique qu’une pléthore de plans chinois doivent être désormais accélérés.

La première chose à faire est de restaurer la productivité de la machine « Made in China ». Lors de sa récente visite dans la province du Shaanxi, historiquement fondamentale pour le PCC, le président Xi a insisté sur ce point, en l’associant à une offensive anti-pauvreté. Il avait promis d’éradiquer la pauvreté cette année.

De manière significative, et contrairement à toutes les prévisions occidentales, les exportations chinoises ont augmenté de 3,5 % en avril, contre une baisse de 6,6 % en mars. Cela bouleverse totalement la logique du découplage. Le gouvernement japonais, par exemple, accélère la relocalisation de ses usines hors de Chine dans la précipitation. Ce n’est pas une stratégie très intelligente.

Ces usines quittent une nation qui a pratiquement éradiqué le Covid-19. Et si elles s’installent au Vietnam, eh bien, c’est également une économie socialiste (avec des caractéristiques vietnamiennes).

La croissance du PIB chinois a chuté de 6,8 % au premier trimestre 2020. Mais la reprise est déjà là. Officiellement, le taux de chômage était de 5,9 % fin mars – sans compter les travailleurs migrants qui sont retournés dans les grandes villes après avoir passé le pic du Covid-19 à la campagne. Des prédictions de taux de chômage de 20 % ont été ensuite rétractées.

La reprise se fera avec un mélange de mesures de stimulation économique pour les entreprises, grandes et petites, d’investissements dans des infrastructures et de bons pour une grande partie de la population active. Le système du hukou – qui lie les droits sociaux au lieu de résidence – sera également réformé. La date à surveiller sera le 22 mai, où se tiendra la session reportée de l’Assemblée nationale populaire.

 L’initiative Belt and Road sur des rails

Sur le plan géopolitique, l’analyse du think tank français CAPS (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie), filiale du ministère des Affaires étrangères à Paris, est pratiquement devenue un mantra à travers l’Occident.

Le CAPS s’inquiète du fait que la Chine soit devenue indispensable, tout en s’interrogeant sur ses « valeurs » et son « agenda caché ». Alors que l’UE est totalement paralysée et qu’elle prouve ostensiblement son manque de pertinence à de multiples niveaux, notamment en ce qui concerne un accord sur un plan de sauvetage efficace pour tous ses membres, l’Occident – en déclin – presque en bloc, est terrifié parce que la Chine est en train de devenir, irréversiblement, la première puissance mondiale.

Même après avoir subi le coup massif du Covid-19, Beijing semble contrôler toutes les variables de base de sa politique économique (institutions financières, grandes entreprises). Le PCC va redoubler d’efforts pour développer l’ensemble de la machine de production parallèlement à l’application généralisée des techniques d’IA.

Ce qui semble établi maintenant, c’est que la Chine va d’abord garantir ses propres intérêts nationaux – en termes de chaînes d’approvisionnement et d’exportations mondiales. À court et à moyen terme, l’accent sera mis sur des nouvelles Routes de la soie terrestres et maritimes sélectionnées, y compris la Route de la soie de la santé. [1]

Même avec le Covid-19, le commerce de la Chine avec les pays de la Belt and Road a augmenté de 3,2 % au premier trimestre, ce qui n’est pas négligeable, même en comparaison des 10,8 % pour l’ensemble de l’année 2019.

Selon le ministère du commerce, le commerce de Beijing avec les 56 pays de la Belt and Road répartis entre l’Asie, l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du Sud représente un pourcentage très important du commerce annuel total : 30 %. Comparez maintenant ce chiffre à la contraction de 13 à 32 % du commerce mondial prévue par l’Organisation mondiale du commerce pour 2020.

Ainsi, même si une baisse du commerce au premier trimestre de 2020 était plus que prévisible, il devrait se redresser rapidement, notamment dans l’Asie du Sud-Est, l’Europe de l’Est et le monde arabe.

La Belt and Road doit faire face, comme prévu, à une myriade de défis à court et moyen terme, tous liés à une connectivité défaillante: ruptures de la chaîne d’approvisionnement, restrictions généralisées en matière de voyages et de visas, contrôles frontaliers sévères, retards dans les projets en raison de l’augmentation des coûts.

Citons par exemple le train à grande vitesse d’Indonésie Jakarta-Bandung, long de 140 km et d’un coût de 6 milliards de dollars, où les experts techniques chinois ne reviennent que lentement après avoir été absents en raison de restrictions gouvernementales. Le long du corridor économique Chine-Pakistan, la quarantaine obligatoire des techniciens chinois a gelé les progrès pendant au moins deux mois. Il en va de même des projets du Bangladesh et du Sri Lanka.

Selon un rapport de l’Economist Intelligence Unit britannique, le Covid-19 fera dérailler la Belt and Road en 2020. Cela n’a peut-être été le cas que pendant les quatre premiers mois de l’année. Même pendant l’épidémie de Covid-19, Beijing a signé des accords pour de nouveaux projets de la Belt and Road au Myanmar, en Turquie et au Nigeria.

Le train à grande vitesse Chine-Laos, long de 414 km, reliant le Yunnan, via Vientiane, à la Thaïlande, la Malaisie et Singapour, reste sur les rails, son achèvement étant prévu pour la fin 2021. L’ASEAN [Association des nations de l’Asie du Sud-Est] était devenue le premier partenaire commercial de la Chine avant même que l’UE ne soit submergée par la crise.

 Observons le ‘Digital Yuan’

La principale conclusion à tirer de tout cela est que la macro-stratégie complexe du PCC ne sera pas perturbée. Cela implique que la Chine restera le principal moteur de l’économie mondiale, avec ou sans découplage, et que la Belt and Road sera au cœur de la stratégie de politique macro-étrangère de la Chine, associée à une solide volonté de multilatéralisme.

Bien que de vastes pans de l’économie mondiale, en particulier dans les pays du Sud, n’aient aucune intention de se découpler de la Chine, Beijng devra être prêt à contrecarrer la guerre hybride menée par Washington sur tous les fronts – géo-économique, cybernétique, biologique et psychologique.

Comme Kishore Mahbubani l’a détaillé dans son dernier livre, cela ne signifie pas que la Chine aura l’intention – et la capacité – de devenir un nouveau gendarme du monde. Elle va certainement augmenter sa puissance économique et financière, par exemple avec une mise en œuvre prudente du yuan digital, peut-être soutenu par l’or.

Et puis, il y a le changement de paradigme en constante évolution responsable des nuits blanches de l’establishment américain : le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine.

Il y a deux semaines, un développement géopolitique extrêmement important a été pratiquement enterré par l’hystérie du coronavirus.

Moscou est tout à fait conscient que Washington déploie des systèmes de défense antimissiletrès près des frontières de la Russie, avec une possibilité de lancer une première frappe nucléaire. Beijing suit cette évolution avec inquiétude.

Le fait que Moscou en soit conscient n’est qu’une partie de l’histoire : le point essentiel est que la Russie est sûre que ses armes sophistiquées, comme le Sarmat et l’Avangard, s’en occuperont.

Plus complexe est la question des laboratoires d’armes biologiques du Pentagone dans plusieurs pays de l’ancienne URSS – une question également suivie de près par Beijing. Moscou a identifié un laboratoire près de Tbilissi en Géorgie, et onze autres en Ukraine. Et en 2014, lorsque la Crimée a été réunifiée avec la Russie, les scientifiques ont également trouvé un laboratoire à Simferopol.

Comme me l’ont confirmé des sources, toutes ces informations – sur les armes nucléaires et biologiques – sont échangées au plus haut niveau du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine.

Le prochain grand mouvement sur l’échiquier géopolitique tiendra à leurs négociations en tandem, comme un seul pays, avec les États-Unis.

Rien ne pourrait être plus rationnel, étant donné qu’elles sont considérées comme les deux principales « menaces » pour les États-Unis, selon la National Security Strategy. [2]

Il s’agit d’un changement de paradigme majeur.

Pepe Escobar

Article original en anglais :
L’article en anglais a été publié initialement par Asia Times.

Traduction Entelekheia

Notes de la traduction :

[1] Route de la soie de la santé : des liaisons qui permettront à la Chine de fournir rapidement du matériel médical et des médicaments établies sur la base de modèles testés au cours de la pandémie de Covid-19, qui a vu la Chine envoyer des fournitures à pas moins de 89 pays.[2] La National Security Strategy est un document publié à intervalles réguliers sur les nouvelles « menaces » contre l’hégémonie des USA. Selon le site de la Maison-Blanche, il repose sur quatre piliers qui en forment la « colonne vertébrale » :

  1. Protéger la nation, le peuple américain, le mode de vie américain.
  2. Promouvoir la prospérité américaine
  3. Préserver la paix à travers la force
  4. Promouvoir l’influence américaine

https://www.whitehouse.gov/articles/new-national-security-strategy-new-era/

Sa dernière version, en date de 2017, classe la Russie et la Chine comme « puissances révisionnistes » (ce qu’elles cherchent à « réviser », ou plutôt à revoir à la baisse, est le premier rang des USA dans le monde).


Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca

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