Quand le téléjournal nous assomme avec la réalité, une des meilleures solutions pour fuir mentalement, ça reste de voir ce que la fiction a à nous offrir. C’est qu’on nous en propose, sur les plateformes du type Netflix et Crave, des séries de fiction ! Et parmi les plus populaires, on retrouve toujours les dystopies et les séries postapocalyptiques. Analyse.
Il y a de ces semaines où c’est mieux, pour garder le moral, de ne pas regarder les nouvelles. Voyons un peu :
Catastrophes naturelles de tous genres.
À gauche, des incendies sans précédent ; à droite, des inondations rocambolesques ; au nord, des glaciers qui fondent à la vitesse de l’éclair ; au sud, des froids qui frigorifient les manchots les plus vigoureux.
Retour en force de virus qu’on croyait éradiqués. Superbactéries super résistantes à tous les super antibiotiques à notre portée. Épidémies, pandémies, endémies, alouette.
Sans oublier le plus inquiétant : la politique internationale. Ce concept si fragile dont dépendent l’ordre, le calme, la paix mondiale. Ce concept à la merci d’égos tous plus importants les uns que les autres. N’ayons pas peur des mots : on se croirait souvent à un tweet de la prochaine guerre mondiale.
La fin est proche
Pas besoin d’ouvrir au premier colporteur d’apocalypse pour nous faire rappeler que la fin du monde est proche. Même Greta nous en parle ouvertement ! Les études s’empilent, les pronostics au sujet de la planète sont sombres. Des mots comme « écoanxiété » apparaissent dans notre vocabulaire.
Et nous avons beau dire que ça ne nous intéresse pas, ou que nous n’en avons pas peur, la popularité des séries postapocalyptiques nous trahit.
Et nous avons beau dire que ça ne nous intéresse pas, ou que nous n’en avons pas peur, la popularité des séries postapocalyptiques nous trahit.
Le monde de la fiction ratisse large. Y figurent entre autres superhéros, univers fantastiques, science-fiction, dystopies, histoires vraisemblables, mais pas-inspirées-de-la-vraie-vie…
Si on met de côté un instant les séries du type « invasion de zombies ou d’extraterrestres » visionnées au profit de cet article, les autres émissions postapocalyptiques à l’étude ici ne présentent pas d’éléments fantastiques à proprement parler. Ce sont des situations que nous imaginons pouvoir arriver, dans un futur plus ou moins près de nous.
En effet, la plupart du temps, les prémisses s’inspirent de craintes réelles et fondées de notre société actuelle. Que ce soit par les changements climatiques, notre rapport aux animaux, les expériences scientifiques toujours plus poussées, de grands bouleversements nous guettent, nous fait-on croire.
Quand plus rien ne va
Les dystopies regroupent des émissions qui présentent une vision pessimiste d’un futur proche. On n’a qu’à penser à Black Mirror, où la technologie prend de façon sournoise et effrayante le contrôle de tous les aspects de la société (politique, vie affective, sociale, etc.) et tout ça avec le plus grand réalisme.
Il y a aussi The Handmaid’s tale (La servante écarlate), une série adaptée du roman à succès de Margaret Atwood, qui a pour prémisses une nouvelle révolution américaine. Cette fois-ci, des ultrareligieux (surprise !) prennent le contrôle politique d’une partie des États-Unis et mettent en action leur plan pour assurer un meilleur ordre moral en établissant un système de castes (dont celle des fameuses handmaids, qui sont en fait des mères porteuses asservies).
Alors que nous remettons parfois en doute la vraisemblance d’une telle histoire, les flashbacks expliquant les débuts de cette révolution donnent des frissons par leur réalisme.
Un scénario qui se répète
Un autre genre très apprécié des abonnés de Netflix et autres compagnies regroupe les séries qu’on appelle « postapocalyptiques ». Et bien que des dizaines de productions se qualifient ainsi, le topo reste toujours un peu le même.
D’abord, la fin du monde tel que nous le connaissons. Tous les prétextes sont bons : catastrophe nucléaire, invasion extraterrestre, revanche du monde animal sur les hommes (oui, oui !), pluie dévastatrice porteuse d’un virus mortel, attaque de zombies…
Ensuite, il y a les survivants de ces cataclysmes, qui sont souvent divisés en deux groupes : les bons et les méchants. Alors que les premiers ont pour quête de trouver un moyen de rendre la Terre habitable à nouveau, les seconds les en empêchent, préférant garder les ressources ou le pouvoir pour eux-mêmes.
Si l’on s’y attarde davantage, on remarque que, dans plusieurs séries (The Rain, The 100, The Society, pour ne nommer que celles-là), le sort de l’humanité repose entre les mains de jeunes. Les protagonistes ne sont que des adolescents, parfois même des enfants, et c’est sur leurs épaules que tombe la responsabilité de sauver l’espèce… Que voilà une lourde tâche !
Autrement, il y a aussi souvent des inquiétudes environnementales en trame de fond : les ressources naturelles se font rares ou sont contaminées, les animaux sont corrompus autant physiquement que « psychologiquement » par l’action humaine, etc.
Bref, l’homme est victime de ses actions, et c’est à la génération future (ou à quelques hors-la-loi) de sauver la mise.
Quand on se compare…
Mais qu’est-ce qui nous fascine tant que ça, dans ces histoires ? D’où nous vient ce besoin d’imaginer toujours plus de nouveaux scénarios eschatologiques ? D’inventer des situations où l’issue n’est jamais vraiment certaine ?
D’abord, nous pouvons nous dire que c’est une fuite comme une autre, un moyen de décrocher de la réalité lourde. Au même titre que visionner Grey’s Anatomy ou Gilmore Girls, ou des séries policières. Juste un désir de divertissement.
D’accord. Je veux bien.
Reste que nos choix en matière de divertissement sont rarement innocents.
En effet, il y a manifestement là un désir d’éloigner nos pensées du quotidien. Mais y arrivons-nous vraiment ?
Parce que, sans explicitement mettre en scène nos contemporains, ces univers de « demain sans lendemain » sont terrifiants parce qu’ils ont presque toujours un lien quelconque avec notre réalité. Vous savez, quand la petite voix en nous rappelle : « Dans le fond, ça pourrait arriver. »
Peut-être que c’est cette étroite ligne dessinée entre nous et l’écran qui nous attire autant. Comme un voyeurisme, une curiosité malsaine par rapport à notre futur. Comme cette envie irrésistible, presque réflexe, de jeter un coup d’œil en bas, quand on est sur un pont ou sur le toit d’un immeuble, et de s’imaginer « et si… ».
Peut-être aussi qu’imaginer le pire nous rassure sur notre propre fin, qui ne s’annonce pas si lointaine, si l’on en croit les différentes études qui portent sur le sujet.
Se rassurer
Nous nous réconfortons en nous convaincant que les aventures vécues par les protagonistes de ces séries catastrophes sont quand même bien pires que quelques inondations à gérer par année, ou quelques vaccins de plus à prendre en bas âge, non ? Que, bien que les scénarios s’inspirent de la réalité, nos tracas du quotidien semblent tout à coup bien insignifiants, finalement…
Nous avons surtout besoin de nous faire rassurer sur la fin de cette fin. De savoir qu’il y a des remèdes aux virus, des ressources renouvelées et intactes après les cataclysmes nucléaires. Nous avons besoin de voir qu’il y a toujours des « bons », des gens moraux sur qui nous pouvons compter dans l’adversité.
Au fond, nous avons besoin de croire en quelque chose qui donne du sens à cette fin qui nous pend au bout du nez.
Mais c’est sûr, ça devient étrange, voire paradoxal, de trouver une source de réconfort dans les capacités de l’homme quand nous constatons que ce dernier est la cause de notre perte. Alors, nous nous accrochons à des héros, nous nous convainquons que c’est un problème de générations, de cultures. Nous cherchons les bonnes âmes, les leadeurs des temps modernes, nous achetons en vrac…
La réalité, la vraie, c’est que nous avons peur. Nous tremblons devant l’idée que nous arrivons peut-être au bout de tout ça. Que quelque chose de si grand nous échappe : l’humanité.
La réalité, la vraie, c’est que nous avons peur. Nous tremblons devant l’idée que nous arrivons peut-être au bout de tout ça.
Et parce que nous sommes faits ainsi, nous ne pouvons contempler la fin de l’humanité sans y voir, inscrite avec des néons, notre propre mort. Le vertige ultime.
La révélation, avant ou après la fin
Nous pensons que nous avons besoin de héros pour nous sauver, de scientifiques dévoués, de jeunes téméraires, de cowboys chasseurs de zombies.
La vérité, c’est que nous oublions souvent qu’il y en a déjà un qui nous sauve des morts-vivants qui hantent notre quotidien, qui nous arrache aux griffes des animaux déchainés de la société, qui nous protège de la tentation du pouvoir à tout prix, des extraterrestres qui ne demandent qu’à nous laver le cerveau.
Et la bonne nouvelle, c’est que nous l’avons en divulgâcheur, la fin. Nous le connaissons, le punch. Aussi bien en profiter.
C’est vrai qu’il peut avoir l’air moins impressionnant au premier regard, suspendu sur sa croix, mais n’oublions pas que c’est le seul à avoir vaincu la mort elle-même.
Disons que des zombies, il en a vu d’autres…
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