Par Philip Giraldi, ancien officier de la CIA*
Rahm Emanuel, jusqu’à récemment le maire de Chicago et avant cela un haut conseiller des Présidents Bill Clinton et Barack Obama, et plus tôt encore un volontaire dans l’armée israélienne, a tenu un jour ce propos célèbre : « une bonne crise constitue une opportunité qu’il ne faut jamais manquer de saisir ». Il voulait dire, bien sûr, qu’une crise peut être exploitée pour couvrir d’autres manigances politiciennes. C’était une observation qui était particulièrement vraie quand on travaillait pour un prédateur sexuel comme Bill, qui a détruit une usine pharmaceutique « terroriste » au Soudan pour détourner l’attention du scandale Monica Lewinski.
Certes, le gouvernement des États-Unis concentre son attention sur le coronavirus, tout en utilisant également la couverture offerte pour intensifier la pression sur les « ennemis » de près et de loin. Alors que le coronavirus continue de se propager, la Maison Blanche, Trump et le secrétaire d’État Mike Pompeo ont accru la férocité de leurs propos belliqueux, apparemment en partie pour dissuader la Russie, la Chine, l’Iran et le Venezuela. Ironiquement, bien sûr, aucun des pays intimidés ne menace les États-Unis de quelque manière que ce soit, mais nous, les Américains, avons appris depuis longtemps que les perceptions sont plus importantes que les faits en ce qui concerne l’occupant actuel du bureau ovale et ses deux prédécesseurs.
Le dernier exemple de falsification sortant de la Maison Blanche était un tweet présidentiel ciblant le punching bag habituel, l’Iran. Sur la base d’un incident survenu il y a deux semaines, Trump a menacé : « J’ai demandé à la marine américaine d’abattre et de détruire toutes les vedettes iraniennes si elles harcelaient nos navires en mer. » Les vedettes volantes de l’Iran sont clairement une force formidable [« shooting down » ne peut s’employer que pour des aéronefs], mais il est certainement rassurant de noter que des tirs navals antiaériens y feront face. On peut également observer que les navires de la marine américaine en question se trouvent dans une zone maritime généralement appelée golfe Persique, où ils effectuent des manœuvres au large des côtes iraniennes. Pendant ce temps, des vedettes volantes iraniennes n’ont pas encore été observées au large du New Jersey, mais elles attendent probablement d’être transportées sur la côte est par ces énormes planeurs transocéaniques qui étaient autrefois construits par Saddam Hussein, du moins à en croire la propagande américaine.
Compte tenu de la couverture fournie par le virus, cela ne devrait surprendre personne qu’Israël joue également le même jeu. L’État juif poursuit ses bombardements meurtriers contre la Syrie, sans presque aucune ligne à ce sujet dans les médias internationaux. Lors d’une récente attaque au missile, neuf personnes ont été tuées près de la ville historique de Palmyre. Trois des morts étaient des Syriens tandis que six autres étaient présumés être des Libanais chiites soutenant le gouvernement de Damas [ces sources pro-occidentales sont peu crédibles : si des membres du Hezbollah avaient été touchés, la riposte aurait été immédiate]. Israël considère de facto tout chiite comme un « iranien » ou un « agent iranien » et donc un « terroriste » susceptible d’être tué à vue.
Mais la plus grande histoire liée au coronavirus concerne la politique intérieure d’Israël. Benjamin Netanyahou et son principal adversaire Benny Gantz sont parvenus à un accord pour former un gouvernement national, apparemment pour faire face à la crise sanitaire. Le rusé Netanyahou, qui continuera à être Premier ministre dans le cadre de l’accord, a ainsi conservé son pouvoir sur le gouvernement, tout en mettant un terme aux tentatives du pouvoir judiciaire de le juger et condamner pour corruption. Dans le cadre de l’accord avec Gantz, Netanyahou aura un droit de veto sur la nomination du nouveau ministre de la justice et du nouveau procureur général, garantissant la nomination de personnes qui rejetteront les accusations.
Et d’autres choses viendront, avec l’assentiment de Washington. Les élections américaines doivent se tenir dans un peu plus de six mois et Donald Trump croit clairement qu’il a besoin du soutien politique de Netanyahou pour dynamiser ses partisans qui sont des chrétiens sionistes fanatiques, et pour obtenir le soutien financier des oligarques juifs Sheldon Adelson, Bernard Marcus et Paul Singer. Il est donc temps d’établir une contrepartie, qui sera l’influence du gouvernement israélien en coulisses auprès des Juifs américains puissants et riches pour qu’ils agissent en faveur de Trump, tandis que la Maison Blanche fermera les yeux lorsque Israël annexera ce qui reste de la Cisjordanie palestinienne. Pompeo a accueilli favorablement le nouveau gouvernement israélien et a confirmé que l’annexion de la terre palestinienne sera « en dernière instance la décision d’Israël », ce qui revient à un feu vert pour Netanyahou.
Un vote sur l’annexion de la Cisjordanie se tiendra à la Knesset au début du mois de juillet, suivi immédiatement de mesures pour incorporer les colonies juives en Israël proprement dit. Selon le journal libéral israélien Haaretz, l’annexion prévue a soulevé certaines inquiétudes parmi quelques organisations juives libérales américaines, car elle convaincra de nombreux progressistes aux États-Unis qu’Israël est vraiment devenu un État d’Apartheid. J Street a averti que l’annexion « mettrait gravement en péril l’avenir d’Israël en tant que patrie démocratique pour le peuple juif, ainsi que l’avenir de la relation américano-israélienne » et a même suggéré de mettre fin à l’aide américaine si cette mesure était effectivement prise. La plupart des autres groupes ostensiblement libéraux ont adopté l’habituel processus sioniste en deux étapes, c’est-à-dire condamner la décision mais ne préconiser aucune mesure efficace pour l’empêcher. Et il convient également de noter que les organisations juives les plus importantes et les plus puissantes comme l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et l’Organisation sioniste d’Amérique (ZOA) n’ont soulevé aucune objection.
Les Juifs libéraux individuels non affiliés, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, sont généralement préoccupés par cette décision, bien que leur argument soit assez hypocrite, basé sur leur conviction que l’annexion détruirait pari passu toute possibilité de solution à deux États, portant atteinte aux droits des Palestiniens et à la « Démocratie juive ». Certains ont même salué le changement, notant qu’il créerait de facto un seul État qui devrait finalement évoluer vers une démocratie moderne avec des droits égaux pour tous. Une telle pensée est cependant absurde. Israël, que ce soit sous Netanyahou ou sous n’importe quel avatar fasciste qui lui succèdera finalement, se considèrera toujours comme un État juif et fera tout ce qu’il faut pour maintenir cela, quitte à déposséder les Arabes restants de leurs terres et de leurs biens, à les priver de leur statut juridique et à les forcer à partir en tant que réfugiés. C’est quelque chose que l’on pourrait appeler un nettoyage ethnique, voire un génocide.
Quant aux Américains dotés de conscience qui espèrent un changement si l’individu nommé Joe Biden bat Trump, ils peuvent également oublier cette option. Biden a déclaré au New York Times :
« Je crois qu’une solution à deux États reste le seul moyen d’assurer la sécurité à long terme d’Israël tout en maintenant son identité juive et démocratique. C’est aussi le seul moyen de garantir la dignité des Palestiniens et leur intérêt légitime à l’autodétermination nationale. Et c’est une condition nécessaire pour profiter pleinement de l’ouverture qui existe pour une plus grande coopération entre Israël et ses voisins arabes. Pour toutes ces raisons, encourager une solution à deux États reste dans l’intérêt vital des États-Unis. »
Malheureusement, quelqu’un devrait informer Joe que ce train a déjà quitté la gare sans retour possible en raison de l’expansion des colonies de l’État juif. Belles paroles de la part de l’homme aspirant à la présidence, Biden étant aussi étroitement lié que possible au lobby israélien pour son soutien politique et l’argent qu’il lui fournit : il se pliera docilement devant l’AIPAC et ses épigones, aussi facilement qu’un costume bon marché. Il a fameusement déclaré : « Il n’est pas nécessaire d’être juif pour être sioniste : je suis sioniste », ou encore « Je m’appelle Joe Biden et tout le monde sait que j’aime Israël ». Son débat avec Sarah Palin pour la vice-présidence en 2008 est devenu embarrassant lorsque lui et Palin se sont tous deux engagés dans de longs soliloques où ils ont rivalisé de déclarations d’amour passionné pour Israël. C’est bien la vérité. Chaque politicien aux dents longues aime Israël.
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* Philip M. Giraldi est un ancien spécialiste de la lutte contre le terrorisme et officier du renseignement militaire de la CIA qui a servi dix-neuf ans à l’étranger en Turquie, en Italie, en Allemagne et en Espagne. Il a été chef de la base de la CIA pour les Jeux olympiques de Barcelone en 1992 et a été l’un des premiers Américains à entrer en Afghanistan en décembre 2001. Philip est directeur exécutif du Council for the National Interest, un groupe de défense basé à Washington qui cherche à encourager et à promouvoir une politique étrangère américaine au Moyen-Orient conforme aux valeurs et aux intérêts américains.
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