On sait que la terre tourne autour d’elle-même à une vitesse de plus de 1000 km/h. Simultanément, elle voyage autour du soleil à un rythme de 108 000 km/h. On estime que le système solaire, lui, fonce à travers la galaxie à une vitesse qui varie entre 720 000 km/h et 900 000 km/h. Et notre amas de galaxies se balade dans le cosmos à quelque chose comme 2,1 millions de km/h.
On a beau prendre une pause pour attacher nos lacets anagogiques, on n’est jamais tout à fait immobiles.
Notre situation dans l’univers n’est rien d’autre que la pointe d’une flèche qui avale les kilomètres à un rythme hallucinant. La question, évidemment, c’est : vers où ? Il s’agira peut-être de la prochaine grande quête astronomique. Où allons-nous à ce train-là ? Y a-t-il un super parc d’attractions tout au bout ? Ou un centre d’achat avec des méga rabais ?
Faut voir grand pour justifier une telle mobilisation d’énergie.
Mesurer le temps ?
Si la perspective cosmique décoiffe, il reste qu’elle se conçoit. On mesure la vitesse d’objets matériels. Mesurer la vitesse du temps est une autre paire de manches.
On peut le faire de façon relative. Par exemple, lors de la lecture d’un livre. Si un évènement d’une durée de trois semaines est relaté à l’intérieur de 10 pages et qu’on lit à une vitesse de 5 minutes par page, on pourra alors dire que le temps s’est écoulé au rythme de 10,08 heures/minute. Bien sûr, c’est drôle, mais ça ne veut pas dire grand-chose.
On ne mesure pas vraiment la vitesse du temps, on ne fait que mettre en relation deux évènements. Pour calibrer notre perception du temps qui passe, nous aurions besoin d’un référent qui lui serait extérieur, ce que nous n’avons pas. Une sorte de repère universel, un pôle Nord temporel.
Le temps se fout un peu de nous. Il est comme ce passager dans un train auquel tous sont indifférents et qui est indifférent à tous. Il est toujours là, on ne le remarque même plus.
On sait, grâce à la relativité, que la vitesse, la gravité et le temps sont interreliés, bien qu’on n’ait pas encore trouvé le moyen d’en faire bon usage quand on est pris dans un bouchon sur la 40.
Le temps se fout un peu de nous. Il est comme ce passager dans un train auquel tous sont indifférents et qui est indifférent à tous. Il est toujours là, on ne le remarque même plus. Le temps reste impassible, qu’on fasse la zumba ou qu’on sommeille.
Un après-midi d’hiver
Mais ce que peu de gens savent, c’est qu’on peut le déstabiliser. Il suffit de se coller le nez dessus et de le fixer, sans bouger, pendant aussi longtemps qu’il le faudra. Il sera surpris de voir qu’il n’est pas le seul maitre de l’inertie, il deviendra inconfortable, et vous serez alors en mesure de faire plus ample connaissance.
Faut juste avoir un après-midi libre.
C’était un mercredi du mois de janvier. J’étais revenu plus tôt à la maison pour prendre mon garçon à l’école. Sa mère était partie pour le reste de la journée avec les trois autres berlingots. On s’est installés à table, moi devant mon écran pour travailler et lui avec du carton et des ciseaux pour découper des flocons. Une neige fine tombait dehors. Un silence granuleux occupait l’intérieur de la salle à manger.
Le bruit des ciseaux dans le papier, résonnant sur la table de bois, eut un effet sédatif ; je tombai dans un état d’hypnose. Un sommeil éveillé. Le son des ciseaux qui grattaient le bois me faisait plus d’effet qu’une symphonie. C’était le bruit du réel qui s’imposait avec douceur, me prouvant qu’on était ensemble. On avait l’air de deux vieux qui se berçaient en regardant passer les mouettes.
Déplier l’éternité
Le temps filait, mon travail n’avançait pas. Ce n’était même pas ce qu’on appelle passer du temps de qualité père-fils. C’était tout le contraire. C’était plutôt partager une tranche de quotidien instantané à deux. Il n’y eut pas de discussion, nous n’avons pas bâti de cabane à oiseaux ni refait le monde devant un pichet de lait.
Ce n’était pas le farniente non plus, avec son gout de mélasse. C’était plutôt assister ensemble au temps qui s’arrête. J’eus, pour la première fois peut-être, pleinement conscience qu’il était mon fils et qu’il était là, avec moi.
Je ne pensais pas, donc j’étais. Ou plutôt, je suspensais. Je mettais le suspense en suspens. L’action était sur pause, le temps suspendu à ma rêverie brumeuse. Je m’étais perdu dans la contemplation du moment, l’après-midi avait fini de passer.
On répète sans cesse que la vie passe vite, que le temps file. C’est parce qu’on ne lui donne jamais l’espace pour se déplier l’éternité dans nos journées en forme de boîtes de conserves.
Puis, ma femme est revenue. Il y avait une couche à changer, trois gosses à déshabiller, de l’épicerie à ranger et un souper à préparer. C’est fou comme le temps passe vite.
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