L’auteur a été chef de cabinet du ministre conservateur fédéral Denis Lebel. Il est directeur principal de l’agence de relations publiques et gouvernementales TACT.
En politique comme dans le sport, la meilleure défensive demeure l’attaque. Et savoir déclencher des élections au bon moment fait partie de la marque de plusieurs grands premiers ministres. Depuis l’arrivée de la COVID-19, le chemin se dessine pour que Justin Trudeau choisisse d’appeler les Canadiens aux urnes bien avant le 16 octobre 2023. Son instinct de tacticien sera mis à l’épreuve. Saura-t-il choisir le meilleur ou le moins mauvais moment pour garder son parti au pouvoir plus longtemps ?
Lorsque le Parti libéral a été réélu en octobre 2019, cette fois à la tête d’un gouvernement minoritaire, le contexte économique et politique était bien différent de celui qu’on connaît présentement. Le mandat obtenu alors n’avait rien à voir avec la tâche qui se profile à l’horizon. Beaucoup de paramètres ont changé. En plus de la crise sanitaire, il est fort probable que le Canada vivra une crise économique, potentiellement suivie d’une crise des finances publiques.
Dans ce contexte, le premier ministre et ses stratèges doivent évaluer les différents scénarios électoraux et choisir le plus avantageux ou le moins risqué. Ils pourraient conclure qu’il serait rentable politiquement de demander un mandat majoritaire aux électeurs avant que trop de Canadiens ne souffrent des conséquences économiques de la COVID-19.
Voici donc quelques raisons en faveur d’un déclenchement hâtif des élections, du point de vue du premier ministre au pouvoir.
1. La relance du Canada requiert une stabilité politique
Le premier ministre Trudeau pourrait facilement expliquer le déclenchement des élections par l’instabilité sanitaire actuelle et les défis économiques à venir. Rappelons que la loi électorale prévoit des élections à date fixe, mais elle n’empêche pas un premier ministre de demander à la gouverneure générale de déclencher des élections. Et lorsqu’il est à la tête d’un gouvernement minoritaire, un premier ministre peut les déclencher sans attendre d’être renversé par l’opposition.
Une fois en campagne, voici comment le premier ministre pourrait présenter sa décision aux électeurs :
« Notre gouvernement a fait preuve de compassion et de leadership lors de cette crise sanitaire sans précédent. Nous avons fait des choix difficiles, mais nécessaires, pour aider la population canadienne. Maintenant que la tempête est terminée, il nous faut naviguer jusqu’à la terre ferme. Pour y arriver, nous avons besoin d’une situation politique stable. Nous ne pouvons pas nous permettre la politicaillerie d’un Parlement instable et encore moins un gouvernement conservateur qui voudra amputer à la tronçonneuse les services publics. Le choix est clair : la stabilité avec une équipe libérale majoritaire qui a de la compassion, ou les compressions et la souffrance avec les conservateurs. »
Qu’on soit d’accord ou non avec ces arguments, ils ont du potentiel. Justin Trudeau s’adresserait ainsi à l’électorat de centre et de gauche, en continuant de marginaliser le NPD. Il polariserait le choix entre lui et son adversaire conservateur, ce qu’il a besoin de faire pour gagner.
2. L’adversaire principal sera quasi absent de l’actualité
Lors d’une crise, il y a très peu de place dans l’espace public pour les partis d’opposition. Le prochain chef conservateur — Peter MacKay ou Erin O’Toole — sera connu à la fin du mois d’août 2020. À l’extérieur de la bulle politique, ces deux ex-ministres sont très peu connus des électeurs canadiens.
Or, en raison de la crise sanitaire, celui qui l’emportera peinera à trouver une place dans le débat public et sera privé de la visibilité accordée habituellement à un nouveau chef. Sans compter qu’il est irréaliste de penser à une grande tournée canadienne pour aller à la rencontre des gens.
Justin Trudeau bénéficierait donc de plusieurs mois de quasi-absence de son adversaire principal, tout juste avant un déclenchement électoral.
C’est un avantage majeur pour un premier ministre sortant.
3. Le thème de la santé sera de retour à l’avant-plan
En déclenchant des élections plus tôt que tard, Justin Trudeau s’assurerait que le thème de la santé est encore bien présent dans les priorités des électeurs canadiens. Un plus, étant donné que les enjeux non liés à l’économie tournent souvent à l’avantage des libéraux — notamment auprès des aînés pour ce qui concerne la santé.
4. Aucun gouvernement n’aime être à la merci d’éléments externes
Déclencher hâtivement des élections n’est pas sans danger, bien évidemment. Mais cela pourrait s’avérer moins risqué que de demeurer à la merci des partis d’opposition.
Ou encore, moins risqué que de subir une campagne électorale au cœur d’une catastrophe économique où les Canadiens dans la misère attribueraient la responsabilité de leur malheur au gouvernement et provoqueraient une grande vague de changement.
Aucun premier ministre ne souhaiterait faire campagne dans un tel contexte, qui avantagerait grandement le Parti conservateur, peu importe qui en serait le chef.
5. L’ère numérique : 185 fois plus d’abonnés sur Facebook
Nous pouvons penser qu’il y aura moins de bains de foule dans un avenir rapproché et que la prochaine campagne se jouera davantage sur le terrain numérique que par le passé. Or, Justin Trudeau a 185 fois plus d’abonnés sur Facebook que son prochain adversaire conservateur (7,3 millions pour Trudeau contre 40 000 pour Peter MacKay et 35 000 pour Erin O’Toole). Le rapport est semblable sur les autres plateformes. Bien sûr, les abonnés du premier ministre Trudeau ne sont pas tous au Canada et n’ont donc pas tous droit de vote. Par ailleurs, il est possible d’augmenter la visibilité des publications sur les réseaux sociaux lorsque les finances le permettent.
Cela demeure néanmoins une force de frappe immensément plus puissante à la ligne de départ.
Les planètes doivent s’aligner
Malgré ces arguments, et plusieurs autres, en faveur d’un déclenchement électoral rapide une fois la COVID-19 contenue, Justin Trudeau aura besoin d’un alignement des planètes parfait pour lancer des élections hâtives.
Avant de choisir une date — probablement en 2021 —, deux critères impératifs devront être remplis.
D’abord, il faudra qu’un médicament ou un vaccin ait été trouvé, ou encore que le virus se soit essoufflé, afin que la population canadienne soit moins craintive et ait commencé à passer à autre chose.
Ensuite, il faudra que la crise économique se confirme, et que les souffrances économiques s’annoncent encore plus graves pour les Canadiens que celles vécues au moment de lancer les élections.
Si ces deux éléments s’alignent, il est à parier que le premier ministre se fera conseiller fortement de déclencher les élections.
Nous pourrions également dresser une série de raisons contre des élections hâtives. Et elles seraient convaincantes elles aussi. C’est le travail du stratège politique de considérer les options avec le premier ministre, afin que ce dernier puisse choisir la meilleure ou la moins risquée.
Je demeure certain que, si les éléments tombent en place, Justin Trudeau verra une occasion de déclencher des élections assez rapidement dans un contexte moins risqué politiquement que l’attente de l’inconnu.
Avis aux autres partis : préparez-vous !
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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec