Souvenir d’un miracle aux Nations Unies: Père Miguel d’Escoto Brockmann, président de la soixante-troisième Assemblée générale des Nations unies, 2008-2009

Souvenir d’un miracle aux Nations Unies: Père Miguel d’Escoto Brockmann, président de la soixante-troisième Assemblée générale des Nations unies, 2008-2009

« Je ne représente pas le G7, ni le G20, ni le P5, je représente le G192, tous les États membres appartenant aux Nations unies. Les 192 sont tous aussi importants, et leurs préoccupations seront traitées de la même manière ».

« Si nous continuons sur cette voie, nous pourrions arriver au même destin que celui des dinosaures. »

Miguel d’Escoto Brockmann, président de l’Assemblée générale des Nations unies (2008-9)

Un bel après-midi du printemps 2008, près du Conseil de sécurité des Nations unies, j’ai rencontré un homme doux et sans prétention, si sympathique que nous avons engagé une conversation, et je lui ai demandé ce qui l’avait amené aux Nations unies.

Il m’a répondu qu’il avait été élu président de la prochaine Assemblée générale des Nations unies, pour 2008-2009, et je lui ai demandé son nom.  Il m’a répondu qu’il s’appelait Miguel d’Escoto.  Cela semblait trop beau pour être vrai, alors j’ai approfondi la question : 

« Êtes-vous l’ancien ministre des affaires étrangères du Nicaragua, Miguel d’Escoto ? » 

« Oui », m’a-t-il répondu, et je lui ai dit que c’était un miracle, et qu’il était arrivé juste à temps pour sauver les Nations unies !

Lors de sa première conférence de presse, le président Miguel d’Escoto a déclaré avec conviction :

« Je ne représente pas le G7, ni le G20, ni le P5, je représente le G192, tous les États membres appartenant aux Nations unies.  Les 192 sont tous importants et leurs préoccupations seront traitées de la même manière ».

Le président de l’Assemblée générale des Nations unies, Miguel d’Escoto, n’a jamais cessé son engagement en faveur de la justice économique et sociale mondiale, et de la nécessité impérative d’une transformation de l’architecture économique mondiale pour éviter la perpétuité des injustices grotesques actuelles.  Le président D’Escoto était un prêtre, et le meilleur représentant de la théologie de la libération. Il révélait l’engagement le plus profond du christianisme, une justice sociale et économique égale pour tous.  Le Vatican ne s’est pas enthousiasmé de ça.  Beaucoup de membres du G7, du G20 et du P5 n’étaient pas enchantés de cet engagement. Ces membres étaient même terrifiés par l’implication du président D’Escoto, menaçant les architectes de l’économie mondiale caractérisée par des richesses obscènes détenues par une petite minorité alors qu’une multitude de gens mouraient de faim.

Beaucoup d’entre nous aimaient Miguel d’Escoto. Il était incroyablement courageux, remarquablement cohérent et infatigable dans sa lutte pour créer un monde plus humain, libéré des crimes du capitalisme, répondant aux besoins les plus profonds et les plus fondamentaux de l’humanité, et de la « Terre mère » menacée par un environnement dégradé et pillé par le pouvoir des entreprises multinationales.

Le discours du président D’Escoto lors de la « séance d’ouverture de la Conférence des Nations unies sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement » était un appel féroce à la justice.  Ce discours est vraiment très pertinent pour comprendre la crise mondiale actuelle – la structure économique mondiale est scandaleusement mal équipée pour gérer et résoudre la crise de la pandémie Covid-19. En dépensant 1 000 milliards de dollars en armes nucléaires, Les États-Unis révèlent ainsi leur incapacité criminelle leur irresponsabilité à investir dans un système de santé qui répond aux besoins de tous leurs citoyens.

Des personnes gravement malades sont condamnées à mourir lorsqu’elles sont privées de ventilateurs et autres équipements vitaux. Ce sont les médecins qui font le tri de ces patients en jugeant s’ils pourront en bénéficier ou non, à cause de la rareté du matériel médical.

Les soignants réclamant des équipements de protection pour pouvoir traiter en toute sécurité les patients infectés est congédié.

Le système de santé étasunien, catastrophique, est contrôlé par des entreprises dont la seule préoccupation est le profit.

Les sans-abri et les indigents, dont le nombre ne cesse d’augmenter, qui ont cherché refuge dans le métro de New York ont été traînés hors de leur abri misérable et dégradé. Ils sont ainsi abandonnés dans les caniveaux et conduits à une mort inévitable.

Les personnes âgées sont condamnées à mort dans des maisons de retraite surpeuplées qui manquent d’espace pour les protéger d’une contamination mortelle.

On doit se souvenir et prendre en considération les paroles du président Miguel d’Escoto alors que le monde se dirige vers une crise économique rappelant la Grande Dépression des années 1930. Il n’y a pas de solutions envisagées ou de moyen de  « salut » pour citer le père d’Escoto.

Comme il l’a déclaré le 24 juin 2009 :

« Il n’est ni humain ni responsable de construire une arche de Noé uniquement pour sauver le système économique existant, laissant la grande majorité de l’humanité à son sort et subir les effets négatifs d’un système imposé par une minorité irresponsable mais puissante.  Nous devons prendre des décisions qui nous affectent tous collectivement dans la plus grande mesure possible, y compris la vaste communauté de vie et notre maison commune, la Terre mère », a déclaré M. Byrne,

nous devons avant tout surmonter un passé oppressant et nous forger un avenir plein d’espoir.  Il faut reconnaître que la crise économique et financière actuelle est le résultat final d’une façon égoïste et irresponsable de vivre, de produire, de consommer et d’établir des relations entre nous et avec la nature qui a impliqué une agression systématique contre la Terre et ses écosystèmes et un profond déséquilibre social, une expression analytique qui a masqué une injustice sociale mondiale perverse.  À mon avis, nous avons atteint la dernière frontière.

« Par conséquent, les contrôles et les corrections du modèle existant, bien qu’ils soient sans aucun doute nécessaires, sont insuffisants à moyen et à long terme. Leur capacité inhérente à faire face à la crise mondiale s’est avérée faible.  S’arrêter aux contrôles et aux corrections du modèle démontrerait un cruel manque de sensibilité sociale, d’imagination et d’engagement pour l’établissement d’une paix juste et durable.  L’égoïsme et l’avidité ne peuvent être corrigés.  Ils doivent être remplacés par la solidarité, ce qui implique évidemment un changement radical.  Si ce que nous voulons vraiment, c’est une paix stable et durable, il doit être absolument clair que nous devons aller au-delà des contrôles et des corrections du modèle existant pour créer quelque chose qui tend vers un nouveau paradigme de coexistence sociale ».

« L’expression orientale du souci est la compassion, qui est si nécessaire de nos jours, alors qu’une grande partie de l’humanité et la Terre elle-même sont battues et crucifiées dans une mer de souffrances.  Dans une société de marché, qui est davantage régie par la concurrence que par la coopération, il y a un cruel manque de compassion envers tous les êtres qui souffrent dans la société et dans la nature.

« C’est par ces mots que nos discussions à cette très importante conférence sur la crise financière et économique mondiale ont commencé.  En situant ces questions dans leur contexte, je tiens à souligner que nous devrons mettre de côté toute attitude égoïste si nous voulons profiter des opportunités offertes par la crise actuelle.  De telles attitudes ne visent qu’à préserver un système qui semble profiter à une minorité et qui a clairement des conséquences désastreuses pour la grande majorité des habitants de la planète.  Nous devons nous armer de SOLIDARITÉ et de COOPÉRATION afin de faire un saut qualitatif vers un avenir de paix et de bien-être ».

Ces mots ont été le leitmotiv de la présidence de Miguel d’Escoto à la soixante-troisième Assemblée générale des Nations unies, 2008-2009.

Il a créé une commission d’experts, dirigée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz ayant conçu le schéma directeur de la transformation de l’architecture économique mondiale en une structure donnant la priorité à la satisfaction des besoins et des préoccupations humanitaires, au lieu d’augmenter les profits gargantuesques du 1%.  Les recommandations et les avertissements du rapport qui en a résulté ont été ignorés et ridiculisés par certains États membres riches, bien que le rapport ait été salué par la majorité de l’Assemblée générale des Nations unies.

Cependant, à la suite de son rejet sans cérémonie par les États membres les plus puissants de l’ONU, les années 2010-2020 ont vu, au mépris flagrant et antagoniste des recommandations du rapport, l’imposition, à la place, de mesures d’austérité dans toute l’Europe occidentale et aux États-Unis et ailleurs.  Ces mesures d’austérité ont entraîné une instabilité sociale massive et des émeutes dans toute l’Espagne, la Grèce, la France et l’Italie. En décembre 2010, le Financial Times a rapporté que des étudiants de Londres avaient déclenché des émeutes à cause de l’augmentation de leurs frais de scolarité et s’étaient même approchés en criant de la limousine avec chauffeur du prince Charles et de sa femme :  « A bas leur tête ! »  En 2018, le rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté, Philip Alston, a indiqué qu’à la suite des mesures d’austérité prises au Royaume-Uni, 20 % de sa population totale vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Dans les années qui ont suivi, l’inégalité des revenus au sein des nations et entre elles a augmenté de manière exponentielle, et aujourd’hui, au milieu de la pandémie mondiale de la Covid-19, l’échec flagrant de l’architecture économique mondiale actuelle à traiter efficacement cette crise est incontestablement mis en évidence.

Les paroles du président de l’Assemblée générale des Nations unies, Miguel d’Escoto Brockmann, sont aujourd’hui impératives. Le monde subit la catastrophe contre laquelle le président d’Escoto avait mis en garde, et il a fourni un modèle qui nous aurait permis d’éviter le cataclysme vers lequel nous nous précipitons, et, en effet, il n’est pas évident que la possibilité d’éviter le désastre existe encore.  Miguel d’Escoto Brockman n’a jamais perdu espoir, et n’a jamais abandonné la lutte pour créer l’architecture économique humanitaire que la survie de notre planète exige – voire demande.  Nous ne pouvons qu’espérer que la rédemption est encore possible.

La résurrection du « Rapport de la Commission d’experts » du président de l’Assemblée générale des Nations unies, Miguel d’Escoto, est obligatoire.   Ses paroles sont encore plus convaincantes aujourd’hui.  Dans son avant-propos au rapport, le président Miguel d’Escoto a déclaré

« L’idée essentielle du rapport est que nos multiples crises ne sont pas le résultat d’une ou de plusieurs défaillances du système.  Au contraire, le système lui-même – son organisation et ses principes, et ses mécanismes institutionnels déformés et imparfaits – est à l’origine de nombre de ces échecs… L’idée que les Nations Unies devraient fournir le forum pour un tel engagement semble encore plus polarisante.  Tout au long du processus préparatoire de la conférence de juin, un silence studieux a été observé dans la plupart des pays du Nord, à l’exception du grand nombre d’articles et d’histoires circulant citant des fonctionnaires et des diplomates non nommés qui ont décrié l’idée même d’un tel processus des Nations unies comme étant « une blague » et « une farce ».

L’affirmation selon laquelle l’ONU manque de compétence a été fréquemment exprimée, notamment dans l’explication de vote présentée par le délégué américain après l’adoption du document final ;

« Nous sommes convaincus que les Nations unies n’ont ni l’expertise ni le mandat nécessaires pour servir de forum approprié ou fournir une orientation pour un dialogue significatif sur un certain nombre de questions abordées dans le document, telles que les systèmes de réserves, les institutions financières internationales et l’architecture financière internationale ».

Ce à quoi Miguel d’Escoto a répondu :

« L’Assemblée générale des Nations unies, en tant que seul organe intergouvernemental légalement constitué et ouvert au monde, doté d’un mandat clair sur les affaires économiques, a un rôle spécial et unique à jouer dans nos délibérations mondiales… C’est ici seulement que la voix du Sud global retentit avec autant de clarté, et c’est ici aussi que les considérations d’équité et de justice sont donc plus susceptibles d’être soulevées…. l’Assemblée générale des Nations unies est sans doute le forum le plus important et le plus essentiel, sinon exclusif, pour les délibérations sur la réforme du système mondial….  Pendant la majeure partie de l’année dernière, j’ai récité le mantra du forum social mondial :  Un monde meilleur est possible ».  Le Mahatma Gandhi a dit un jour :

« D’abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, puis ils vous combattent, puis vous gagnez ».

Nous ne pouvons qu’espérer et lutter pour que la vision du défunt père Miguel d’Escoto d’un monde de justice l’emporte, et que l’espèce humaine ne partage pas, comme il l’avait prévenu, le destin qui s’est déjà abattu sur les dinosaures.

Carla Stea

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Article original en anglais :

Remembrance of a Miracle at the United Nations:  Father Miguel d’Escoto Brockmann, President of the SixtyThird UN General Assembly, 2008-2009, le 7 mai 2020.

Traduit par Maya pour Mondialisation

L’Université nationale autonome du Nicaragua (UNAN) a lancé le Centre d’études sur le développement nommé après Padre Miguel d’Escoto Brockmann (CEDMEB). Cette importante entreprise a été soutenue par la famille du Padre Miguel d’Escoto et le Centre de recherche sur la mondialisation (CRG).

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Carla Stea est associée de recherche au Centre de recherche sur la mondialisation (CRG) et correspondante de Global Research au siège des Nations unies à New York.


Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca

À propos de l'auteur Mondialisation.ca

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