Contre l’austérité provinciale qui attente à notre santé

Contre l’austérité provinciale qui attente à notre santé

Propos recueillis par Pierre Jasmin, tous deux artistes pour la paix

Yvon Rivard (photo) affirmait,
après ce préambule :

« Nous croyons
que la santé est un bien public,
que dans une société malade,
nul ne peut se croire à l’abri de l’isolement
qui tôt ou tard affecte le corps et l’esprit. 
»

Or, le 5 mai 2020, l’ex-ministre de la Santé

Gaétan Barrette a eu le front de bœuf d’houspiller son ex-collègue libérale, ministre des Aînés et des Proches Aidants Marguerite Blais selon le principe que l’attaque est la meilleure défense ! Comment ne pas s’en indigner en relisant ce texte de Rivard 2015 aux accents prophétiques, adressé au gouvernement des docteurs Bolduc et Couillard, texte que je saluais par ces mots :

« Nous vous présentons un évangile (!) de l’écrivain artiste pour la paix et prof contre l’austérité Yvon Rivard, précédé par un texte de l’écologiste Martin Poirier: nous étions tous trois il y a un an à la manifestation de Cacouna avec Isabelle Miron, Naomi Kanapé Fontaine (photo), Martine Ouellet, Mikaël Rioux, Pascal Bérubé, Mélissa Grégoire et beaucoup d’autres résistants EN FAVEUR des bélugas, contre les politiques aberrantes du soi-disant ministre de l’Environnement libéral Heurtel. »

Revoici donc le texte d’Yvon Rivard Apprendre à compter autrement

On s’amusera à comparer la version de 2015[i] avec cette nouvelle version parue dans le chemin de l’école, aux éditions Leméac, récompensée par le Prix Pierre-Vadeboncoeur 2019.

Nous ne sommes pas des comptables  – Saint-Denys Garneau

Nous ne sommes pas des comptables, nous comptons autrement, nous croyons que ce qui ne se compte pas est ce qui compte le plus.

Nous croyons qu’il vaut mieux investir dans le temps que dans l’espace, remplir des écoles plutôt que des stades[ii], miser sur la pensée qui traverse les âges plutôt que sur une nouvelle génération d’avions.

Nous croyons que l’éducation n’est pas une science, mais l’art de donner sans compter, de faire de la pensée un chemin infini entre soi et le monde.

Nous croyons que les seules dettes que nous ne pourrons jamais rembourser sont celles que nous aurons refusées au développement de la conscience, à la formation d’êtres humains responsables d’eux-mêmes et de la communauté, pour qui le tout n’est pas la somme des parties mais la relation vivante entre elles.

Nous croyons que l’école, du primaire à l’université, n’appartient ni à l’État ni à l’industrie, ni aux administrateurs ni aux parents, que ce n’est ni un laboratoire où les professeurs font de la recherche en oubliant d’enseigner, ni un atelier où les élèves acquièrent des compétences en oubliant d’apprendre, mais un lieu d’échanges entre professeurs et élèves, les professeurs enseignant aux élèves ce qu’ils ont appris des siècles précédents, les élèves obligeant les professeurs à se tourner vers l’avenir.

Nous croyons qu’on ne peut liquider le passé sans en payer le prix, que l’avenir de ce pays passe par la reconnaissance des cultures autochtone et paysanne dont nous sommes issus, qui nous rappellent que la terre ne nous appartient pas, mais que nous appartenons à la terre.

Nous croyons qu’une ressource naturelle qui n’est pas exploitée n’est pas perdue, qu’une rivière qui n’est pas détournée d’elle-même coulera plus librement dans notre regard, qu’un sol qui n’est pas miné nous portera plus sûrement, qu’une forêt qui n’est pas pillée nous fournira plus longtemps en bois et en rêves.

Nous croyons que le travail productif, quantifiable, monnayable, sera de plus en plus rare, qu’il faudra donc reconnaître et développer toute autre forme de travail qui consiste à créer de la vie et à en prendre soin.

Nous croyons qu’une société est malade dès que certains de ses membres souffrent d’isolement, que tous les laissés-pour-compte, tous ceux et celles que les lois du marché, l’histoire des peuples ou l’héritage familial ont relégués dans la marge ont droit au respect et à des conditions de vie qui leur permettent de contribuer à l’œuvre commune, ne serait-ce qu’en prenant soin d’eux-mêmes et de leurs semblables.

Nous croyons que la culture de consommation et du profit est l’asservissement du plus grand nombre au profit d’une minorité, le plus sûr chemin vers l’appauvrissement matériel et spirituel dont on doit se détourner en retournant sur le chemin de l’école pour y apprendre à compter autrement : moins de biens et plus de contraintes égale plus de liberté et d’égalité.

Nous croyons à une conception supérieure de l’éducation pour tous plutôt qu’à la création stérile de nouvelles pédagogies ou d’un institut national d’excellence en éducation, car « la poussée têtue qui engendre l’art et la pensée désintéressées, l’adhésion active qui seule en assure la transmission aux contemporains et aux générations futures, émanent d’un pari sur la transcendance[iii] ».

Nous croyons que si l’argent est le nerf de la guerre, l’autorité morale est le sang de la démocratie, que seuls des citoyens moraux peuvent se donner des dirigeants moraux qui placent le bien commun au-dessus de leurs propres intérêts, qu’un parti politique qui fait de la seule économie son cheval de bataille a déjà remplacé l’autorité morale par l’argent, confondu la guerre et la démocratie. 

Nous croyons que le Québec peut devenir un pays juste, différent et solidaire s’il résiste aux slogans et aux mots creux (excellence, compétitivité, croissance continue, majorité silencieuse, neutralité de l’État…) derrière lesquels se cachent tous les comptables qui prétendent nous enrichir et nous protéger, nous fortifier et nous sortir des crises économiques et sociales qu’ils ont créées et qui les servent si bien. Chaque fois que nous entendons ces mots, il faut se boucher les oreilles ou mieux, se demander:qui parle ainsi et pour qui? Qui nous invite à sabrer dans les programmes sociaux, à travailler plus, à faire notre « juste part » ? Pour qui travaillent tous ceux qui affirment que l’État doit se soumettre aux cotes de crédit, aux lois du marché, à la rationalisation de la production?[cette moitié de paragraphe en italiques, issue de la version 2015, est réinstaurée ici, l’auteur ne s’y opposant pas]

Nous croyons que la chance du Québec, qu’on dit toujours endetté ou en retard de ceci ou de cela, menacé par ceci ou cela, pour mieux le soumettre à des régimes de rattrapage ou de conservation, c’est d’assumer et de cultiver sa différence, car « si ce peuple vient à réussir, il restera d’abord un témoin de l’inassimilation et persistera d’une certaine façon à ne pas faire les choses comme les autres, à les faire plus mal ou mieux que d’autres[iv] ».

Nous croyons que ce pays peut exister et croître s’il continue de défendre la langue française et de se nourrir des autres cultures, s’il fait de son territoire, de sa langue et de son héritage une terre d’accueil pour tous, y compris pour les gens simples et humiliés, épris de liberté et de justice ; nous croyons que le Québec peut devenir un pays pour tous ceux et celles qui  n’ont plus de pays ou qui étouffent dans le leur, s’il poursuit le rêve de Champlain de créer ici un monde nouveau avec tous les êtres épris de justice, de paix et de liberté.

Nous ne sommes pas des comptables, nous comptons autrement, nous sommes riches de ce que nous partageons et de ce qui nous manque, de ce que nous savons et de ce que nous ignorons, nous croyons au libre échange du temps et de la parole, au temps qui devient parole lorsqu’il n’est plus de l’argent, à la parole qui devient ce temps précieux qu’on perd à comprendre et à rêver le monde, sur le chemin de l’école qui commence et s’achève dans le silence qu’entendent tous les mortels, quelles que soient leur langue et leur culture.

 

 

NB d’aujourd’hui de la part d’Yvon : Leméac a publié sur son site un extrait du Dernier Chalet sur les vieux, les malades, etc., que j’appelle « mes artisans de la paix  » : voir aussi dans le roman  p.140. 

 

 


[ii] Et pourtant cet auteur est un redoutable joueur de tennis (note de PJ, altérée par YR qui se dit plus passionné que redoutable).

[iii] George Steiner, Fans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une redéfinition de la culture, traduction de Lucienne Lotringer, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 1986, p.102.

[iv] Pierre Vadeboncoeur, Indépendances, Montréal, l’Hezagone/Parti pris, 1972, p. 47 et 48.

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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