Rencontre au front avec Marie Lyne Boucher

Rencontre au front avec Marie Lyne Boucher

Marie Lyne ne pouvait pas se douter qu’en devenant technicienne d’intervention en loisir dans un CHSLD, elle pourrait communier, elle, chaque jour, au Corps du Christ, alors que le reste du monde en serait privé.

« Le Corps du Christ ? Je le mange ici : cet amour universel bien concret, palpable. Je découvre la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu. » (Ep 3, 19)

Le loisir dans un milieu de vie (le CHSLD), « c’est le sel qu’on met sur le steak ! dit Marie Lyne. Ma job, c’est de faire vivre et d’animer le milieu de vie autant par ma programmation qu’en faisant partie du corps professionnel qui prend en charge le résident, ses proches. »

« On devient un mouroir, alors que ce n’est pas ça du tout qu’on était et pas ça du tout qu’on faisait. »

« Savoir, par exemple, que telle résidente aime se faire maquiller, que ça lui remonte le moral, ou encore qu’un autre préfère déjeuner en pyjama. Ce sont des détails qui font en sorte qu’on se sent bien dans ce milieu de vie. Et si les résidents sont heureux, le personnel l’est aussi et vice versa. » 

« Avec l’arrivée de la COVID-19, tout a changé. » 

Aujourd’hui, toutefois, Marie Lyne passe la majorité de son temps à planifier et à faire des vidéoconférences avec les familles qui ne peuvent plus voir leur proche depuis le 14 mars.

« Avec l’arrivée de la COVID-19, tout a changé. Le beau milieu de vie est devenu un hôpital impersonnel. C’est le plus grand deuil à faire ; obliger les résidents à suivre les règles, alors qu’auparavant on adaptait les règles à leurs besoins. » 

« On est obligé de faire de la contention. Ça nous brise le cœur. Les résidents doivent rester dans leur chambre, ou même dans leur fauteuil (pour diminuer le risque de chute). On devient un mouroir, alors que ce n’est pas ça du tout qu’on était et pas ça du tout qu’on faisait. » 

Ce matin, une collègue est venue voir Marie Lyne pour pleurer la mort d’un résident. La semaine passée, elle est restée une heure au téléphone avec la fille d’une résidente simplement pour écouter et apaiser — ce qui ne fait pas partie de sa réalité de travail normalement. 

« Je lui disais qu’hier, je suis entrée dans la chambre de sa mère, car elle était agitée. Elle a crié : “Give me your hand !!!” J’étais devant un dilemme : devais-je la prendre ou non ? Il y a toujours un risque que je puisse passer la COVID. »

« J’ai finalement choisi de prendre la main de sa mère et ça m’a fait un grand bien à moi aussi. Le contact physique, c’est le moyen privilégié par lequel j’entre en contact et interviens auprès des résidents. Aujourd’hui, j’interviens avec la même joie qu’avant, mais je dois redoubler d’efforts et de créativité, car tu arrives avec ton masque, ta visière, tes gants et ta jaquette… Ce n’est rien de rassurant pour des personnes ayant des déficits cognitifs. »

Décorer pour refléter

« À la demande du personnel, j’avais peinturé dans les vitres et à l’entrée des arcs-en-ciel. J’avais inscrit un “Ça va bien aller !”. » Après les premiers décès, Marie Lyne a décidé de changer « Ça va bien aller ! » pour « Tous ensemble ! ».

« Je trouvais que c’était davantage le reflet de ce que nous vivions, car nous sommes vraiment solidaires dans mon milieu de travail malgré ce drame. J’ai aussi pensé aux familles qui passent par l’entrée et qui viennent assister un parent à l’agonie. » 

Près de la porte, elle a mis un tableau avec des marqueurs. Chacun écrit un mot d’encouragement ou affiche une photo. « J’essaie de créer l’unité, un sentiment d’appartenance. C’est mon église ici. » 

Le temps où Marie Lyne avait peur de contracter le virus semble révolu. Elle est portée par le désir de créer l’unité et de donner amour et tendresse aux résidents comme aux employés. « Je n’écoute plus les nouvelles ni le point de presse du premier ministre. Je me concentre sur l’essentiel : mon monde sur le terrain. » 


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