Thierry Lefèvre est professionnel de recherche, Faculté de sciences et de génie, Université Laval, et membre Des Universitaires
Olivier Boiral est professeur titulaire, Faculté de sciences de l’administration, Université Laval, et membre Des Universitaires
Patrick Provost est professeur titulaire, Faculté de médecine, Université Laval, et membre Des Universitaires
En dépit de leur technologie médicale ultra-performante et leur haut degré d’hygiène, les pays riches n’ont pu éviter la propagation rapide du virus SARS-CoV-2, et ce malgré un confinement presque total et un arrêt majeur des activités économiques visant à ne pas déstabiliser des services de santé déjà fragiles. Nous n’étions pas prêts à affronter à cette pandémie, malgré les avertissements des épidémiologistes des dernières décennies.
Les mécanismes qui sous-tendent l’occurrence et la propagation des épidémies sont bien documentés. Ils sont liés en grande partie à l’organisation et au développement des civilisations depuis le Néolithique, il y a 10 000 ans. Cette période a vu des changements majeurs dans nos modes de vie et notre organisation sociétale, nous faisant passer de chasseurs-cueilleurs nomades à agriculteurs-éleveurs sédentaires. La sédentarisation a fait croître la densité démographique, un facteur est bien connu pour favoriser la propagation des pathogènes au sein des communautés.
Le Néolithique se caractérise aussi par la domestication des animaux (bétail, volaille). Cette nouvelle proximité permanente avec les animaux (et leurs déjections) a exposé les êtres humains à des zoonoses, des maladies résultant de la transmission à l’humain de microorganismes pathogènes, dont l’hôte est initialement un animal.
La vie au Néolithique s’est organisée autour de ce que James C. Scott appelle la « domus » [1], que l’on peut représenter par une ferme (et désignait une villa dans la Rome antique). Au-delà des animaux d’élevage, c’est un ensemble de commensaux (souris, arthropodes, mammifères carnivores) qui sont devenus de potentiels vecteurs de virus pour les humains (et les animaux domestiques). Les bouleversements profonds du Néolithique, incluant le défrichage et les plantes cultivées, ont ainsi créé un environnement écologique, donc épidémiologique, inédit.
La naissance des premières cités-états en Mésopotamie, en Égypte et en Chine, a accentué les concentrations démographiques. Plusieurs infections semblent être apparues durant tout le Néolithique, comme la rougeole, la variole, les oreillons, la varicelle et la grippe. Ces maladies n’ont pu qu’avoir été particulièrement meurtrières pour des populations n’ayant jamais été exposées à ces microorganismes. La réponse des populations ressembla étonnamment à celle que nous connaissons aujourd’hui : fuite des résidents et, surtout, confinement.
L’urbanisation, la croissance démographique et l’intensification des échanges amorcées au Néolithique se sont amplifiées au cours des trois derniers siècles. La population mondiale à l’aube de la révolution néolithique est estimée à 2-4 millions d’individus. Pendant la plus grande partie de l’histoire, la démographie a augmenté modérément, jusqu’à environ 700 millions vers 1700. La croissance démographique s’est ensuite emballée : alors qu’il a fallu plus d’un siècle (de 1800 à 1927) pour passer de 1 à 2 milliards d’habitants, une augmentation équivalente d’un milliard d’habitants prend depuis les années 80 une douzaine d’années. Nous voici aujourd’hui 7,7 milliards d’êtres humains sur Terre.
En 2007, l’humanité franchissait le cap symbolique de 50 % d’êtres humains vivant en ville. Les pays industrialisés atteignent des taux d’urbanisation de 80-90 %, tandis que les mégapoles, qui représentent des foyers de propagation des maladies infectieuses, se multiplient dans le monde. La grippe de Hong Kong, une des villes les plus densément peuplées de la planète, a fait plus de 800 000 morts entre 1968 et 1970, et on observe que c’est dans les grandes villes, comme New York, Paris, Madrid et Montréal, que les taux de contamination à la COVID-19 sont les plus élevés.
La situation pourrait empirer dans les zones urbaines défavorisées, qui sont marquées par une promiscuité élevée et un manque criant de dispositifs sanitaires, notamment l’accès à l’eau potable, des latrines et un réseau d’évacuation et de traitement des eaux usées. Selon l’ONU, trois personnes sur dix dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable et six sur dix n’ont pas accès à des installations sanitaires, ce qui rend très difficiles les mesures de protection.
La civilisation moderne se caractérise aussi par son haut degré de mondialisation et d’interdépendance. Cette interconnexion encourage les interactions humaines et la propagation des maladies contagieuses. La situation actuelle montre à quel point chaque pays dépend des autres pour ses approvisionnements. Les échanges internationaux de nature commerciale, culturelle et touristique se sont grandement intensifiés et les déplacements par avion n’ont jamais été aussi nombreux. Le transport aérien a d’ailleurs favorisé la dissémination extrêmement rapide de la COVID-19 à l’échelle planétaire.
D’autres activités anthropiques accélèrent l’émergence de nouveaux virus. Le commerce d’animaux domestiques et sauvages (pour l’alimentation ou les loisirs), la concentration des animaux d’élevages industriels et la destruction des écosystèmes sont des caractéristiques sociétales qui augmentent l’exposition des êtres humains à de nouveaux microorganismes. Il n’est pas surprenant que les trois-quarts des maladies infectieuses émergentes soient transmises par des animaux, notamment des animaux sauvages. Le nombre de zoonoses est en augmentation, comme l’illustre l’apparition récente de plusieurs virus, comme le SARS-CoV-1, le VIH, l’Ebola et d’autres au cours des années récentes.
La COVID-19 est la manifestation la plus récente de processus qui sont en cours depuis plus de 10 000 ans et qui se sont accélérés au cours des dernières décennies. Ils dépendent de facteurs démographiques, économiques, écologiques, urbains et culturels. Sachant cela, à nous de changer nos pratiques et notre mode de vie pour réduire les risques d’émergence d’agents infectieux, réduire leur propagation, et ainsi éviter de futures « tempêtes épidémiologiques » [1].
Référence
[1] James C. Scott, Homo Domesticus – Une histoire profonde des premiers états, La Découverte (2019)
Thierry Lefèvre, professionnel de recherche, Faculté de sciences et de génie, Université Laval, et membre Des Universitaires
Olivier Boiral, Professeur titulaire, Faculté de sciences de l’administration, Université Laval, et membre Des Universitaires
Patrick Provost, Professeur titulaire, Faculté de médecine, Université Laval, et membre Des Universitaires
Illustration : Brignaud
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal