La dimension temporelle près de la fin de la vie peut être d’une extrême beauté. Le temps de la dernière phase qui s’allonge et qui perdure, le temps qui reste avant le départ, un temps neuf et gratuit (comme sur les boîtes de biscuits : « 20% de plus pour le même prix ») qui donne un supplément, ce temps peut être une grâce et une bénédiction, car ce temps nous donne une vision globale de la vie, d’un coup d’œil, avec le décalage nécessaire, qui nous a tant manqué tout au long. La présence de nos aînés (ou de ce qu’il en reste) nous rappelle que nous vivons une vie insensée à toujours vouloir courir plus vite, plus loin, plus fort, comme des cinglés.
Il est absurde de penser qu’à un certain âge, on ne vaudra plus rien. Au contraire, comme le pensait l’écrivain Jean Giono, les années des aînés n’ont rien à envier à celles des jeunes : « La vieillesse est très agréable, disait-il, je trouve que la vieillesse est beaucoup plus intéressante que la jeunesse…»
Il est faux de penser que nos aînés sont sur terre pour croupir. Beaucoup d’aînés continuent à avoir des activités et à voir les autres, la vie continue sous une autre lumière, qui fait apparaître les choses plus neuves, dans la temporalité de la fin. On mène une vie compressée, on court après soi sans jamais pouvoir se rattraper. Cette sérénité de la fin peut être un atout formidable qui pourrait nous être partagé pour soigner notre mal-être, pour nous guider un tant soit peu. Un meilleur contact avec les aînés aurait sans doute le pouvoir de nous ralentir dans notre aberrante course à la croissance aveugle et destructrice. Avec l’âge, ils sont souvent devenus les gardiens de notre âme.
Il est toujours demeuré difficile de concilier les idéaux de dignité humaine avec la vie active, avec les impératifs de la sainte (satanée) économie. L’insensée compétition productiviste est en train de nous détruire (et la planète avec nous) et, au lieu de ralentir, nous continuons de choisir un mode de vie pressant, consumériste, aveugle au temps qui passe. « Eh bien, pourraient nous dire nos aînés, notre société de croissance à tout prix vous fera finir comme nous, comme un déchet, vous serez exclus, vous aussi, comme les faibles, les lents, les inutiles. »
Dans notre logique du prêt-à-porter et du tout-à-l’égout, il n’est pas étonnant que la vie de nos anciens et anciennes aient été honteusement raccourcie. Nous voyons, sous l’effet corrosif de la pandémie, les trous énormes dans notre solidarité et des abîmes dans notre compassion.
Dans notre absurde course de la modernité, nos aînés sont devenus coupables de lenteur, d’improductivité, de pesanteur. Nous avons surtout oublié l’amour qu’ils nous portaient.
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