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par Vincent Gouysse.
Il nous apparaît essentiel de commencer ici par quelques indices fondamentaux afin de bien dépeindre la situation actuelle. Le PIB chinois s’est élevé de 21 631 à 99 087 milliards de yuans au cours de la période 2006-2019, il a ainsi été multiplié par près de 4,6 fois. Et il faut bien comprendre que la Chine, si elle n’a toujours pas officiellement conquis le 1er rang mondial en terme de PIB nominal à taux de change courant, est en réalité devenue depuis 2014 la première puissance mondiale en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA), c’est-à-dire en termes réels, et ce, selon le FMI lui-même. Cela ne s’est pas arrangé depuis : selon l’organisme statistique de l’ONU, le PIB américain mesuré en dollars courants a augmenté de 17,3 % durant la période 2014-2018. Mais en dollars constants de 2015 (c’est-à-dire inflation déduite), la hausse n’est plus que de 10,0 %… En ce qui concerne la Chine, son PIB mesuré en dollars courants a augmenté de 30,4 % durant la période 2014-2018 et de 29,8 % en dollars constants. En ce qui concerne la Chine les proportions sont indéniablement très voisines. En termes de PIB à PPA mesuré en dollars constants, la Chine dépasse donc déjà d’une bonne longueur les USA…
Le montant des ventes au détail de biens de consommation de la Chine est passé de 7 914 à 41 165 milliards de yuans au cours de la période 2006-2019. Leur proportion dans le PIB chinois s’est ainsi élevée de 36,6 à 41,5 %. Dans le même temps, le montant des investissements en Capital fixe s’est élevé de 11 000 à 56 087 milliards de yuans. Sa part dans le PIB chinois s’est ainsi élevée de 50,9 à 56,6 %. Les recettes du budget de l’Etat chinois sont passées de 8 310 à 19 038 milliards de yuans durant la période 2010-2019, et sa part dans les PIB est restée stable aux alentours de 20 %. Surtout, l’impérialisme chinois a su habilement redistribuer une partie des richesses engrangées grâce à la rapide montée en gamme technologique de son économie. Alors que la Chine comptait encore 55,8 millions de pauvres en 2015 (disposant d’un revenu annuel individuel de moins de 2 300 yuans à prix constants de 2010), ils n’étaient plus que 5,5 millions en 2019. La bourgeoisie chinoise est ainsi parvenue à redistribuer suffisamment de miettes pour éradiquer presque complètement ce qui restait de la grande pauvreté en Chine.
Le montant des exportations chinoises de biens est passé de 10 702 à 17 234 milliards de yuans durant la période 2010-2019. Sa part dans le PIB chinois a donc diminué de 26,2 à 17,4 %, preuve que la réorientation vers la consommation et les investissements intérieurs est parvenue à réduire la dépendance de l’impérialisme chinois vis-à-vis des exportations de biens, confronté à une décennie de politiques d’austérité qui ont sabré dans la consommation individuelle des peuples des pays impérialistes en déclin. Il nous importe ici de souligner qu’au cours de la période 2008-2014, la Chine a vu son commerce extérieur contribuer négativement à sa croissance (- 0,4 point de croissance par an en moyenne). A l’inverse, les investissements et la consommation intérieure ont apporté respectivement en moyenne 4,8 et 4,4 points de croissance. La consommation intérieure, les infrastructures et les exportations ont contribué pour respectivement 57,8 %, 31,2 % et 11,0 % à la croissance du PIB chinois en 2019. La Chine devrait donc surmonter le typhon économique mondial à venir sans trop de difficultés… Comme nous l’avions déjà souligné il y a une décennie, l’impérialisme chinois est ainsi parvenu depuis plusieurs années déjà, à rendre sa croissance de moins en moins dépendante de ses exportations, trouvant de plus en plus de relais de croissance dans le développement de son propre marché intérieur. Le solde du commerce bilatéral de biens de la Chine avec ses concurrents en déclin est cependant demeuré très en faveur de l’impérialisme chinois, continuant à augmenter de manière absolue, même s’il diminuait parfois de manière relative.
En 2007, ce solde était de 163,3 milliards de dollars avec les USA (soit 70,2 % du volume des explorations chinoises vers les USA). En 2014, il a été de 237,1 milliards de dollars (soit 59,1 % du volume des explorations chinoises vers les USA) alors même qu’entre temps, la monnaie chinoise s’est appréciée de 19,3 % face au dollar. Le constat est sensiblement le même pour le commerce bilatéral Chine-UE. En 2007, ce solde était de 134,2 milliards de dollars (soit 54,7 % du volume des explorations chinoises vers l’UE). En 2014, il a été de 126,6 milliards de dollars (soit 34,1 % du volume des explorations chinoises vers les USA) alors même qu’entre temps, la monnaie chinoise s’est appréciée de 21,7 % face à l’euro. (Ambassade de France en Chine, Bulletin économique Chine n°72, p. 17) Cela signifie que bien que les esclaves salariés chinois aient vu le niveau de leurs salaires réels s’élever rapidement au cours des deux dernières décennies, le rythme de croissance de la productivité du travail a été plus rapide encore… La montée en gamme technologique de l’impérialisme chinois est évidente si l’on souligne que la productivité du travail nationale moyenne est passée de 48 026 à 115 009 yuans par employé (aux prix constants de 2010) durant la période 2009-2019, soit un rythme d’accroissement annuel moyen de 9,1 % ! Et cela est d’autant plus remarquable que cette croissance rapide s’est accompagnée d’une amélioration des conditions et de la sécurité au travail. Le nombre annuel de décès induits par les accidents de travail est en effet passé de 79 552 à 29 519 durant la période 2010-2019, soit une baisse de 62,9 %.
En ce qui concerne ses réserves de change, l’impérialisme chinois les a fait croître rapidement jusqu’en 2013 : elles sont ainsi passées de 1 066 à 3 821 milliards de dollars durant la période 2006-2013. La période suivante marque un net changement de stratégie, l’impérialisme chinois les réduisant même progressivement : en 2019, elle ne se montent plus qu’à 3 108 milliards de dollars, soit tout de même encore davantage que le PIB de la France… Craint-il de trop s’exposer au risque grandissant d’un défaut de paiement de ses débiteurs ? En tout cas, cela démontre qu’il n’est plus friand de la dette publique des pays impérialistes en déclin et qu’il préfère investir les surplus du solde positif de sa balance des paiements autrement…
Passons maintenant à des choses un peu plus concrètes que des mesures en dollars ou en yuans… En ce qui concerne la production chinoise de ciment, elle a plus que triplé au cours de la période 2001-2019, passant de 661 millions à 2,35 milliards de tonnes. A titre de comparaison, elle avoisine d’ordinaire 280 millions de tonnes pour l’Inde, 170 millions de tonnes pour l’UE (27) et 90 millions de tonnes pour les USA… En 2017, la Chine représentait 56,5 % de la production mondiale de ciment. Durant la période 1999-2019, la production d’acier chinoise est passé de 124 à 996 millions de tonnes. Sa part de marché mondiale s’est ainsi élevée de 15,7 à 53,3 % durant cette période. Dans le même temps, celle des USA est passée de 97 à 88 millions de tonnes. Sa part de marché mondiale s’est ainsi effondrée de 12,3 à 4,7 %… C’est-à-dire que la production sidérurgique des USA qui représentait 78 % de celle de la Chine en 1999, en représentait moins de 9 % en 2019…
La baisse de la production sidérurgique américaine est cohérente avec la consommation énergétique primaire de l’impérialisme américain qui a littéralement stagné au cours de la décennie 2008-2018 aux alentours de 2 300 millions de Tep (tonnes équivalent pétrole). Dans le même temps, celle de la Chine s’est élevée de 2 230 à 3 273 millions de Tep, soit une hausse de près de 47 %. La consommation d’énergie primaire par habitant des USA restait donc trois fois supérieure à celle de la Chine en 2018. Celle de la France lui est encore 1,5 fois supérieure, alors même que la Chine est « l’usine du Monde » et démontre où se trouve la véritable efficience énergétique ! Le même constat vaut pour la production électrique : celle-ci a stagné autour de 4 400 TWh pour les USA durant la période 2008-2018. Dans le même temps, la Chine a vu croître la sienne de 3 496 à 7 112 TWh. La production électrique chinoise s’est élevée de 1 654 à 7 503 TWh durant la période 2002-2019.
En 2019, les centrales hydro-électriques chinoises ont produit à elles seule 1 304 TWh d’électricité, soit davantage que la production électrique cumulée de la France et de l’Allemagne, ou aux alentours de 30 % de plus que la production électrique de la Russie ou du Japon. En 2010, la production hydro-électrique chinoise se montait à 721 TWh. Le parc éolien et solaire chinois se trouvent également au premier rang mondial avec une production cumulée de 543 TWh en 2018 (soit tout de même l’équivalent de la production électrique française !), contre 375 TWh pour les USA, 158 TWh pour l’Allemagne et 38 TWh pour la France… La stratégie d’intoxication carbo-centriste visant à contenir le développement industriel et économique de l’impérialisme chinois a donc indéniablement lamentablement échoué… Tous ces indices économiques de base donnent une image réaliste de l’ampleur sans précédent des investissements que l’impérialisme chinois réalise dans le domaine de l’industrie, de l’immobilier et des infrastructures.
Nous ne donnerons dans ce dernier domaine qu’un seul exemple concret, mais pas le moindre : le pont Hong Kong-Zhuhai-Macao. Situé dans l’estuaire de la Rivière des Perles, ce pont est une véritable merveille d’ingénierie, unique au monde de par son ampleur et sa complexité, et démontrant le savoir-faire de classe mondiale acquis par les monopoles chinois. La construction de ce pont routier maritime, le plus long du Monde, a débuté le 15 décembre 2009 et il a été mis en service le 24 octobre 2018. Long de 55 km et d’une largeur de 33 mètres (pour une circulation sur 2 x 3 voies), sa construction a englouti des millions de tonnes de ciment et plus de 0,42 million de tonnes d’acier. Il a coûté 120 milliards de yuans (soit environ 18 milliards de dollars). Il permet de rejoindre Hong Kong depuis Zhuhai et Macao en seulement 45 minutes quand il fallait auparavant 70 minutes en ferry ou jusqu’à quatre heures par voie routière… Il interconnecte ainsi de manière étroite les onze mégapoles du Delta de la Rivière des Perles et leurs 70 millions d’habitants, et permet au passage de renforcer les liens déjà étroits unissant la Chine continentale aux anciennes colonies britannique et portugaise. Voici une vue géographique de l’ouvrage et de ses principales sections :
Cet ouvrage pharaonique a été conçu pour résister aux typhons les plus puissants, à des séismes de magnitude 8 et… à une collision avec un navire cargo d’un déplacement de 300 000 tpl. Sa durée de vie estimée est d’au moins 120 ans. Ce pont est en fait composé de plusieurs parties distinctes : il débute depuis Zhuhai et Macao par un pont principal long de 22,8 km comportant trois ponts suspendus dont les piliers s’élèvent jusqu’à 460 mètres de hauteur. A proximité de l’île de Lantau, le Pont se transforme en un tunnel sous-marin d’une longueur de 6,7 km, via deux îles artificielles crées ex-nihilo. La structure soutenant ces deux îles est formée de 120 cylindres d’acier. Chacun d’entre eux possède un diamètre de 22,5 mètres pour une hauteur de 55 mètres et un poids de 550 tonnes.
Les tronçons préfabriqués à terre du tunnel sous-marin (enterré) mesurent pour leur part chacun 22,5 mètres de long, 38 mètres de large et 12 mètres de haut. Chacun d’entre eux a nécessité 3 400 m3 de béton… Cette large section libre d’obstacle permet de laisser un couloir maritime aux plus gros navires de commerce (aux alentours de 4 000 navires par jour empruntent cette route maritime) ainsi qu’une approche également libre d’obstacle pour les couloirs aériens de l’aéroport international de Hong Kong. Le pont reprend ensuite sur une longueur de 12 km le long de l’île de Lantau jusqu’à l’aéroport de Hong Kong. Le pont se prolonge enfin à partir de ce dernier au nord par un tunnel sous-marin long de 4,2 km vers Tuen Mun et par un autre pont suspendu en direction de Shenzhen. A la mi-2019, le pont recevait un trafic quotidien moyen de 40 000 personnes.
La section principale du pont, vue depuis les côtes bordant Zhuhai et Macao. Pour voir la vidéo de l’ouvrage fini à la veille de son ouverture, cliquez ici. Que démontre cet ouvrage sinon le fait que le XXIème siècle, ou tout du moins les décennies à venir, sera bel et bien chinois ?!
Source: Lire l'article complet de Réseau International