par Aram Aharonian.
Ce 1er mai, travailleurs et militants syndicaux, populaires, paysans, et indigènes, étaient aux côtés de ceux qui en ont le moins, leur garantissant au moins une assiette de nourriture, avec leurs soupes populaires et leur solidarité, au milieu de la crise qui s’est dévoilée avec la pandémie de Covid-19, et qui a généré des politiques d’ajustement des gouvernements néolibéraux d’Amérique Latine.
C’est peut-être la meilleure façon de célébrer ou de commémorer la fête des travailleurs dans cette région, à une époque où le travail est rare et menace de devenir un droit de l’homme presque en voie d’extinction, ce qui soulève d’énormes interrogations pour la grande majorité de nos peuples.
Il n’y a pas de travail. Il n’y a ni soins ni nourriture. Des chiffons rouges dans les villes et villages de Colombie rendent compte de la demande de solidarité de la population qui crie « nous avons faim », exclue par le gouvernement d’extrême droite d’Iván Duque. Des centaines de cercueils et de corps abandonnés dans les rues de Guayaquil, des casseroles en Équateur, au Chili, au Brésil. Les besoins sont les mêmes depuis plus de 15 décennies : du pain, la paix et du travail.
Des milliers de Péruviens parcourent des centaines de kilomètres sur les principales autoroutes du pays, quittant Lima et d’autres grandes villes où ils vivaient autrefois, pour retourner dans leurs villages andins à la recherche des moyens de subsistance que procure la terre et que l’État leur refuse.
Les martyrs, le monde d’aujourd’hui et le monde à venir
Dans (quasiment) le monde entier, chaque premier mai, la Journée internationale des travailleurs est commémorée, en hommage aux « Martyrs de Chicago », un groupe de syndicalistes anarchistes qui ont été exécutés en 1886 aux États-Unis pour avoir réclamé une journée de travail de huit heures.
Aux États-Unis, cependant, la fête du travail est célébrée le premier lundi de septembre en hommage aux Chevaliers du Travail et pour que la population oublie les revendications de Chicago.
Dans notre région, une nouvelle phase de développement des relations de travail s’ouvre, dans laquelle l’impact du chômage, du sous-emploi et des réductions salariales dans de larges secteurs, exige de nouvelles solutions économiques, sociales et juridiques, des prévisions sans précédent. La pandémie mondiale a modifié à la fois ce débat et le panorama historique des droits du travail.
Les droits « classiques » du travail, nés il y a près d’un siècle, ont été dépassés dans la situation actuelle de l’Amérique Latine.
Voyons ce que les études des experts nous apprennent. Depuis le début de l’année, 81% de la population active mondiale – plus de 2,7 milliards de travailleurs – sont totalement ou partiellement au chômage.
Selon l’Organisation Internationale du Travail, 3,3 milliards de personnes sont déjà touchées, d’une manière ou d’une autre, par la crise du travail. Un milliard 250 millions, soit 38% de la population active mondiale, se trouvent dans des secteurs connaissant une forte baisse de la production, notamment le commerce de détail, l’hébergement et la restauration, et les industries manufacturières.
Le deuxième niveau d’impact – plus de 11% – concerne les arts, les divertissements, les loisirs, les transports, l’information et la communication. Parmi les secteurs les moins touchés par le chômage jusqu’à présent, on trouve la santé, l’éducation, les services publics essentiels, l’administration publique et la défense, ainsi que l’agriculture et l’élevage. La construction, l’exploitation minière, les assurances et les activités financières sont modérément touchées au niveau mondial.
L’alarme est tirée en ce qui concerne les travailleurs de l’économie informelle, qui représentent ensemble quelque deux milliards de personnes, pour la plupart dans les pays émergents et en développement à faible et moyen revenu. Avec comme facteur aggravant l’absence générale de protection de base, de couverture de sécurité sociale, de soins médicaux et, en cas de maladie, de compensation des revenus.
Des régions entières, telles que l’Amérique Centrale ou la région andine, sont fortement dépendantes des activités informelles. Elles ont également un fort impact sur les concentrations urbaines d’Amérique Latine, de Buenos Aires à Mexico, en passant par Bogota, Caracas, Lima et La Paz.
L’industrie des télécommunications, aux mains de cinq transnationales, prospère grâce à l’extraction de données personnelles et à la vente de prévisions sur le comportement des utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux à quiconque prêt à payer. Les entreprises (et les gouvernements) ont compris que pour augmenter les profits (financiers et de manipulation de l’imaginaire collectif), il était nécessaire d’essayer de changer le comportement humain à grande échelle.
La main-d’œuvre d’aujourd’hui n’est plus composée d’employés qui reçoivent un salaire en échange de leur travail, mais plutôt d’utilisateurs d’applications et de services gratuits, satisfaits de les acquérir en échange de la remise sans consentement d’un dossier sur leurs expériences de vie à plusieurs entreprises.
Avant la pandémie, on estimait que plus de 600 millions de nouveaux emplois seraient nécessaires d’ici 2030, juste pour suivre la croissance démographique. Cela équivaut à quelque 40 millions d’emplois par an.
Dans le même temps, il a été question de la nécessité d’améliorer les conditions de 780 millions de femmes et d’hommes qui travaillent mais ne gagnent pas assez pour se sortir de la pauvreté avec seulement deux dollars par jour.
Cette année et après la pandémie (on ignore quand elle s’arrêtera), le produit intérieur brut de l’Amérique Latine et des Caraïbes subira une baisse de 5,3% et le nombre de pauvres augmentera de 4,4%, passant de 186 millions en 2019 à 214,7 millions, soit près de 29 millions de plus, selon le dernier rapport de la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC).
Le taux de chômage dans la région sera d’environ 11,5%, soit une augmentation de 3,4 points de pourcentage par rapport au niveau de 2019 (8,1%), pour atteindre près de 38 millions de chômeurs, soit 12 millions de plus qu’en 2019, tandis que l’extrême pauvreté touchera 13,5% des Latino-Américains, avec une augmentation de 16 millions de personnes.
Les effets du Covid-19 vont générer la plus grande récession que la région ait connue depuis 1914 et 1930. Le chômage devrait augmenter fortement, ce qui aura des effets négatifs sur la pauvreté et l’inégalité. La région a un besoin urgent d’accéder à des ressources financières, basées sur un soutien flexible des organisations financières multilatérales, accompagné de lignes de crédit à faible taux, d’un allègement du service de la dette et d’une éventuelle remise de dette, a ajouté l’agence des Nations Unies.
Outre la pandémie, il existe des questions liées à l’avenir du travail qui affectent le présent et l’avenir et en particulier les groupes les plus vulnérables, tels que les femmes, les migrants, les communautés rurales et les peuples indigènes.
Dans la longue liste se trouve l’impact des nouvelles technologies sur l’emploi, le travail et les conditions de travail. Mais aussi la réduction du volume de l’emploi (chômage technologique), le télé-travail, le travail indépendant, l’entrepreneuriat, la précarisation technologique, l’uberisme.
Les débats sur les mouvements sociaux qui rassemblent les exclus (un phénomène transitoire résultant de la crise capitaliste ?) et sur le rapport avec le syndicalisme ; sur la proposition de revenu de base, sur le glissement de la réglementation du travail vers une réglementation commerciale/civile, ont été laissés dans l’ombre.
Ou encore sur les activités professionnelles sans aucune réglementation, et sur les défis de l’organisation et de la représentation syndicales face aux changements du système d’organisation des entreprises.
Comme cela s’est produit historiquement dans le mouvement syndical, les options sont l’adaptation ou la confrontation. Ce 1er mai, pandémie oblige, il n’a pas eu de grandes manifestations, mais la lutte reste la même, l’espoir d’un monde nouveau, nécessaire, indispensable, pour tous.
source : http://estrategia.la
traduit par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International