Pourquoi l’idée de la mort nous est-elle si pénible?

Pourquoi l’idée de la mort nous est-elle si pénible?

 Il n’y a pas si longtemps, l’idée de la mort tourbillonnait dans les consciences d’un voile plus léger ! Je le dis en pensée à tous ces soldats qui, durant les deux grands conflits du XXe siècle, se sont embrigadés dans des affaires pour le moins tragiques. C’est clair, à l’époque, on était davantage prêt à mourir pour des idéaux et des valeurs collectives. C’était la Patrie, l’Honneur, la Religion, la Révolution… L’homme et la femme étaient, ainsi, moins attachés à leur existence propre ; le collectif lui-même était moins affecté par la perte d’un de ses membres. C’est, du moins pour ce dernier élément, ce que nous enseigne, par exemple, la grippe dite « de Hong Kong » qui sévit en 1968. En effet, celle-ci était passée quasiment inaperçue dans les médias et aucune mesure particulière n’avait été prise en Europe alors qu’on dénombre environ un million de décès dus à cette pandémie de par le monde.

Dès lors, pourquoi sommes-nous, aujourd’hui, si attachés à la vie et pourquoi avons-nous, par conséquent, aussi peur de la mort au point de mettre entre parenthèses ce qui nous détermine le plus dans nos sociétés : l’économie ? La réponse à cette interrogation se trouve, certainement, dans la question elle-même. En effet, l’individualisme qu’implique notre modèle économique fait qu’aujourd’hui nous sommes tous concentrés à établir, pour nous-mêmes et à l’égard des autres, un empire de notre personne. Cette convergence d’attentions pour nos carrières, notre apparence, notre sociabilité occupe une grande partie de nos vies. Il faut dire que l’échelle des valeurs de nos sociétés et la volonté d’être aimé par l’autre, conduit l’individu dans une course, sans fin, en quête de la possession et du paraitre. En outre, l’idéologie actuelle nous le rappelle sans cesse : « La vie est courte. Profite ! ». 

Face à ces impératifs qui conditionnent notre bonheur (ou, du moins, l’idée commune qu’on en a), chacune et chacun de nous tente de profiter de cette brève existence. Parallèlement, la mort ou sa probabilité nous angoissent et raccourcissent le temps que nous avons pour nous concentrer à « nos socio-individualités » (remarquez le paradoxe du terme !). De là, et pour répondre à notre première question, on pourrait se demander si la vie a vraiment gagné en valeur ou, au contraire, si c’est la mort qui est devenue un épouvantail si effrayant qu’on peine à le regarder en face. 

Pour ma part, je ne pense pas qu’on puisse soutenir que la vie a gagné de la valeur en comparaison à sa valeur d’antan. Il suffit, à ce propos, de parler avec les personnes âgées pour être au clair sur ce fait. Dès lors, plusieurs questions peuvent être soulevées : acceptons-nous le fait que la mort soit devenue plus tabou que n’importe quel autre thème ? Est-ce que le modèle de société actuel nous permet suffisamment d’intégrer toute la valeur de la vie ? Ne serions-nous pas trop attachés à la dualité et à l’individualité et pas assez conscients de la continuité et de la totalité de toutes choses ? Est-ce que l’éducation qu’on reçoit du système d’instruction publique nous permet d’avoir un regard global sur nos humanités et sur le sens de l’existence ? Enfin, comment parvenons-nous à combler ce vide laissé par cette mort présumée de Dieu ? 

Je pose ces questions tout en ayant, il est vrai, une hypothèse de réponse. Je postule que les problèmes sociétaux que nous vivons aujourd’hui, que cela soit les grandes crises écologiques, sanitaires, migratoires, financières ou sociales, sont tous issus d’un mode de vie qu’implique un type particulier de personnalité. Ce type de personnalité que l’on doit, tous, adopter bon gré mal gré pour être socialement « normal » est narcissique. Le narcissisme étant, pour rappel, cette pathologie des relations qui conduit l’individu à un retrait sur soi (cf. Bagiella, Narcissisme-critique, 2016). 

Nous n’allons pas ici épiloguer sur ce thème. À la place et en guise de conclusion, je nous suggère d’y réfléchir individuellement et collectivement. En effet, je veux croire que ce sont ces réflexions et les résolutions citoyennes qu’elles peuvent engendrer qui nous permettront d’envisager l’existence non plus comme un chemin vers une mort certaine, mais comme une expérience collective orientée vers un projet commun de société. Ce projet, c’est l’Humanité qu’il nous faut co-construire activement et internationalement par la prise en main de son organisation par et pour le/la citoyen-ne.

C’est lorsque l’humain se sentira concerné par le tout dont il est partie qu’il cessera d’avoir peur de sa propre fin. Pour ce faire, il nous faut encore comprendre que l’autre, c’est moi et que moi, c’est l’autre. 

Luca V. Bagiella

Pully, le 22 avril 2020

Luca V. Bagiella, doctorant en sciences sociales et en philosophie à l’Université de Lausanne, cofondateur et coordinateur de consciences-citoYennes.ch, réseau en faveur d’une transition citoyenne. Auteur de Narcissisme-critique paru, en 2016, chez l’éditeur Hélice Hélas et disponible en librairie (280 pages). 


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