Grève chez Amazon, Walmart, Instacart, Whole Foods, , Target et FedEx aux États-Unis

Cet article de Daniel A. Medina est paru sur le site Internet de The Intercept. Traduction Louis Bourgea.

Une coalition sans précédent de travailleurs et travailleuses à l’emploi de quelques-unes des plus grandes entreprises des États-Unis seront en grève ce vendredi. Des employés d’Amazon, Instacart, Whole Foods, Walmart, Target et FedEx se préparent à débrayer pour dénoncer les profits records que leurs employeurs engrangent aux dépens de la santé et de la sécurité des employés durant la pandémie de coronavirus.

Les travailleurs se déclareront malades ou quitteront leur lieu de travail à l’heure du dîner, selon un communiqué émis par les organisateurs ce mercredi. À certains endroits, des travailleurs syndiqués, au bas de l’échelle, sortiront des entrepôts et des magasins pour aller appuyer les manifestants.

« Nous agissons de concert avec les travailleurs d’Amazon, Target, Instacart, et d’autres entreprises dans le cadre de la Journée internationale des travailleurs pour exprimer notre solidarité avec les autres employés jugés essentiels, dans notre lutte pour obtenir de meilleures protections et de meilleures conditions de travail durant cette pandémie », a déclaré Daniel Steinbrook, un des organisateurs de la grève qui est à l’emploi de Whole Foods.

 

Amazon

Cette mobilisation ouvrière survient alors que les travailleurs et les organisateurs syndicaux disent qu’Amazon, en particulier, a été plutôt avare d’information au sujet des cas de Covid-19 dans ses 175 centres de préparation de commandes à travers le monde.

Au cours du mois dernier, Jana Jumpp, une employée d’Amazon en Indiana, a compilé avec l’aide de quelques collègues de travail, les cas de Covid-19 dans les entrepôts d’Amazon aux États-Unis. Selon madame Jumpp, il y a eu au moins 500 cas, répartis dans au moins 125 lieux d’emploi différents.

Mme Jumpp suppose que le nombre réel de cas est probablement beaucoup plus grand, mais elle ne tient compte que de ceux qu’elle et son équipe ont pu confirmer à l’aide de leurs sources qui comprennent des captures d’écran tirées de communications internes de l’entreprise, des messages vocaux envoyés aux employés quand des cas ont été confirmés, en plus de messages reçus par des employés d’Amazon sur des groupes Facebook privés. Ce bilan, qui n’avait pas encore été rendu public, constitue le recensement le plus complet à ce jour.

Amazon n’a pas voulu émettre de commentaires sur le nombre d’employés malades répertoriés par les organisateurs du mouvement de grève.

« Bien que nous respections le droit d’expression des gens, nous nous opposons aux gestes irresponsables que commettent les regroupements de travailleurs en diffusant de la désinformation et en faisant de fausses assertions sur Amazon à l’occasion de cette crise sanitaire et économique sans précédent », a déclaré Rachael Lighty, porte-parole d’Amazon. « Nous n’avons ménagé aucun effort pour comprendre et faire face à cette pandémie. »

 

Une série d’actions

La grève du Premier mai est la plus récente d’une série d’actions menées par des travailleurs de première ligne syndiqués et non syndiqués. Le mois dernier, des travailleurs d’Amazon de la ville de New York, ainsi que plus de 10 000 employés d’Instacart partout aux États-Unis, sont sortis symboliquement de leur lieu de travail.

Des employés de Whole Foods ont organisé une journée nationale d’absence pour cause de maladie le 31 mars, et plus de 800 travailleurs ne se sont pas présentés à leur quart de travail dans une usine de transformation de viande du Colorado parce que des cas de coronavirus avaient été déclarés parmi les salariés.

Des employés d’entretien de Pittsburgh et des chauffeurs d’autobus de Détroit ont aussi déclenché des grèves sauvages.

« Ces travailleurs ont été exploités sans vergogne depuis si longtemps par ces entreprises alors qu’ils accomplissent un travail généralement invisible, mais extrêmement   important », a déclaré Stephen Brier, historien du travail et professeur à la CUNY School of Labor and Urban Studies.

« Tout d’un coup, ils sont déclarés travailleurs essentiels pendant une pandémie, ce qui leur donne un pouvoir de négociation incroyable s’ils s’organisent collectivement. »

 

Un ensemble de demandes

La coalition des travailleurs va rendre public un ensemble de demandes. Parmi celles-ci, une compensation pour tous les congés sans solde que les employés ont dû prendre; une prime de risque, ou des congés de maladie payés pour toute la durée de la pandémie; de l’équipement de protection et des produits de nettoyage fournis par l’employeur et disponibles en tout temps; et l’exigence d’une transparence totale de la part des entreprises sur le nombre de cas de Covid-19 recensés dans les milieux de travail.

« Les organisateurs ont choisi le 1er mai, Journée internationale des travailleurs et travailleuses, pour signifier aux ouvriers et ouvrières de partout que collectivement ils peuvent affronter ces entreprises mastodontes », a déclaré Christian Smalls, un des principaux organisateurs de la grève.

Le 30 mars, monsieur Smalls a été congédié par Amazon, quelques heures à peine après qu’il eut pris la tête d’un débrayage dans un entrepôt situé à Staten Island dans l’État de New York pour dénoncer la façon dont Amazon fait face à la pandémie.

Selon Amazon, monsieur Smalls a été congédié pour ne pas avoir respecté la quarantaine imposée par l’entreprise.

Sa mise à pied a galvanisé des travailleurs de première ligne partout au pays et depuis, ceux-ci lui ont envoyé des douzaines de messages chaque jour lui demandant de les conseiller dans l’organisation de grèves visant à protester contre leurs conditions de travail. Smalls a uni ses forces à des groupes de défense des droits des travailleurs tels que les Amazonians United, Target Workers Unite, Whole Workers, et le Gig Workers Collective, entre autres.

Au cours des dernières semaines, la coalition a eu recours à Zoom et à des applications de messagerie codée, comme Telegram et Signal, pour organiser la grève.

Le révérend Jesse Jackson, figure de proue du mouvement de défense des droits civiques depuis des décennies, a pris part à une rencontre sur Zoom et a assuré les organisateurs qu’ils pouvaient compter sur le soutien de son réseau, le Rainbow Push Network. « Je suis à vos côtés dans votre bataille », a-t-il affirmé aux participants de la rencontre.

 

Un mouvement très large

The Intercept, a pu parler à une vingtaine d’organisateurs provenant d’une demi-douzaine d’États, ce qui démontre à quel point le mouvement de grève est étendu.

Des employés de Whole Foods à Boston, aux travailleurs autonomes qui font la livraison pour Instacart à Silicon Valley, en passant par les organisateurs travaillant dans des entrepôts d’Amazon au Kentucky et au Michigan, leurs récits et leurs revendications variaient, mais composaient ensemble le portrait d’entreprises négligentes envers des employés qui sont maintenant considérés essentiels – tout comme les médecins, les infirmières et les ambulanciers – pendant cette pandémie qui force la majorité de la nation états-unienne à rester enfermée chez elle.

« Tous ces travailleurs sont en train de s’unir et de construire un rapport de force », affirme Vanessa Bain, employée d’Instacart et cofondatrice de Gig Workers Collective (collectif des travailleurs aux petits boulots), qui compte plus de 17 000 membres et qui défend les droits de ces travailleurs vulnérables. « Le but de May Day n’est pas seulement de mener une action symbolique ponctuelle, mais également de mettre sur pied de véritables et vastes réseaux de pouvoir ouvrier qui réunissent des gens œuvrant dans de nombreux secteurs d’activité. »

 

Des entreprises qui n’en font pas assez

L’entreprise qui a été la cible des critiques les plus soutenues depuis le début de la crise est sans nul doute Amazon, dont le grand patron, Jeff Bezos, a vu sa fortune personnelle s’accroître de 24 milliards $ depuis le début de cette pandémie.

La semaine dernière, Amazon a annoncé que, le 30 mai, elle mettrait fin à la mesure temporaire qu’elle avait instaurée qui autorisait ses employés à prendre des congés sans solde d’une durée illimitée. En réponse à cette annonce, plus de 50 personnes travaillant dans un entrepôt en banlieue de Minneapolis ont débrayé pour protester contre cette mesure et pour dénoncer leurs conditions de travail.

En mars, Amazon avait fait part de son intention d’embaucher 100 000 personnes pour faire face à la demande croissante et pour pourvoir les postes laissés vacants par les nombreux salariés qui prenaient des congés sans solde par crainte d’être contaminés au travail. Ce mois-ci, l’entreprise a annoncé qu’elle comptait engager 75 000 autres personnes. De son côté, Instacart a procédé à l’embauche de 300 000 nouveaux commis au cours du seul mois de mars.

« Ce recrutement frénétique par Amazon et Instacart met en lumière qui sont les gagnants et les perdants dans cette pandémie, alors que les entreprises qui ne sont pas jugées essentielles par le gouvernement sont forcées de procéder à des licenciements massifs », déclare Stephen Brier.

Certains critiques objectent que l’occasion de « faire de l’argent » avec la crise ne vient pas sans risque. Mises sous pression par les protestations des travailleurs et de certains élus, les entreprises ont dû faire des concessions à leurs employés. Amazon, Walmart et Target ont accordé une augmentation de salaire de 2$ l’heure à leurs employés. Amazon fourni maintenant de l’équipement de protection à son personnel et s’implique davantage dans le nettoyage des espaces de travail, et Target oblige maintenant ses employés à porter un masque alors que depuis des semaines elle réprimandait ceux qui le faisaient.

The Intercept a communiqué avec les six entreprises visées par la grève du 1er mai. FedEx, Walmart et Whole Foods ont refusé de commenter. Instacart a déclaré qu’elle « se concentre particulièrement sur la santé et la sécurité de la communauté Instacart ». La compagnie Target a déclaré dans un communiqué qu’elle avait pris plusieurs mesures pour s’assurer de la sécurité de ses employés et de ses clients. Au sujet de la grève du Premier Mai, l’entreprise a déclaré « bien que nous les prenions au sérieux, ces préoccupations n’ont été soulevées que par une infime minorité. Nous avons plus de 340 000 employés de première ligne et la grande majorité d’entre eux se disent fiers du rôle qu’ils jouent en venant en aide aux familles d’un bout à l’autre du pays en cette période où elles en ont besoin ». 

 

Des témoignages accablants

Un employé d’Amazon à Staten Island, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles, est en congé sans solde depuis plus d’un mois. En raison de sa condition médicale, il dit que, pour lui, le fait de contracter le virus équivaudrait à une condamnation à mort. Lui et sa famille survivent grâce à leurs maigres économies et ils ont dû aller vivre chez un ami, car ils ne pouvaient plus payer leur loyer.

« Ils doivent fermer l’entrepôt et procéder à un nettoyage en profondeur pour que l’endroit devienne sécuritaire », a-t-il dit à The Intercept. « Si quelqu’un meurt, ils auront du sang sur les mains. »

Un employé d’Amazon à Détroit, qui prévoit se déclarer malade vendredi, a décrit l’entrepôt où, durant des semaines, aucune mesure pour permettre la distanciation sociale n’était prise, où il n’y avait pas de gants, pas de masques, ni de désinfectant pour les mains, et ce alors que la ville est devenue un point chaud de la pandémie.

Plusieurs collègues de ce travailleur ont confirmé à The Intercept, que ses déclarations étaient véridiques.

« Soit vous allez travailler, soit vous prenez un congé sans solde », affirme ce travailleur dont les problèmes de santé le rendent particulièrement vulnérable. « Si je saute un seul chèque de paye, je perds mon véhicule, je perds mon logement, je perds tout. »

Un employé de Whole Foods du sud de la Californie a passé des semaines à mobiliser ses collègues et à organiser la grève du 1er mai, alors que les cas de coronavirus dans les succursales étaient en augmentation. Selon ses dires, les gérants – même ceux qui sont sympathiques à leurs revendications – n’ont aucun pouvoir face au siège social de cette filiale d’Amazon.

« La grève, tout comme les jours d’absence pour maladie du mois dernier sont les seuls recours qu’ont les employés pour obtenir des concessions de la part de la compagnie », a déclaré ce travailleur. « Tant que leurs profits ne sont pas affectés, il ne se passe rien. »

Whole Workers, le regroupement qui défend les droits des salariés de Whole Foods, a compilé sa propre liste des cas de coronavirus confirmés chez les employés des magasins de l’entreprise et a fait parvenir ce document à The Intercept. Selon le groupe, il y a eu un total de 249 cas répartis dans au moins 131 magasins.

Adam Ryan, employé de Target dans le sud de la Virginie et porte-parole de Target Workers Unite, dit que la grève du Premier Mai constitue la première action collective menée par des employés de cette entreprise fondée il y a presque 60 ans.

Monsieur Ryan a déclaré « c’est à nous de nous battre pour nous-mêmes ».

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