par Karine Bechet-Golovko.
Le monde ne peut être « après » comme il fut « avant » … L’on dirait presque – sinon, quel intérêt ? La volonté de créer « une nouvelle réalité », comme l’affirment les « progressistes », une réalité dans laquelle l’homme est contraint, effacé, ne signifie pas qu’elle pourra tenir longtemps après le déconfinement. Ce qui n’empêche pas de remarquer la volonté d’un changement comportemental profond. Masques et distance, la méfiance au lieu du contact, le virtuel (sain) contre le réel (contaminé), la règle de la suggestion et du modelage utilisée pour changer le comportement des patients semble largement inspirer ces « novateurs ». Le fanatisme est de retour et avec lui toujours le même fantasme de « l’homme nouveau ».
Les déclarations se suivent et se ressemblent, le déconfinement ne signifie pas le retour à la normale – la norme doit changer.
« Les mesures barrières et de distanciation physique et sociale seront toujours d’actualité au mois de mai, et sans doute au mois de juin et cet été et peut-être pour longtemps » prévient Jérôme Salomon
Confirmé par le Premier ministre :
Les Français ne retrouveront « pas tout de suite et probablement pas avant longtemps » leur « vie d’avant » la crise du coronavirus, a averti dimanche Edouard Philippe.
Autrement dit, le changement de comportement implique principalement sur le plan social, au-delà de la généralisation du télétravail lorsque cela est possible, de garder envers et contre tout une distance d’un mètre, ce qui implique de ne pas se serrer la main sans même parler de la traditionnelle bise française, et de porter un masque.
L’Allemagne s’y met : le port du masque sera obligatoire dans les 16 länder allemands à des dégrès différents, le Gouvernement fédéral l’avait fortement recommandé – mais seulement recommandé, les Lânder l’ont imposé. À Berlin, uniquement dans les transports, d’autres le prévoient pour les espaces publics, les commerces, etc. Certaines régions en Russie s’y sont déjà mises, avant même tout déconfinement. Dans la région de Sverdlovsk (Oural), le port du masque est obligatoire à compter du 1er mai dans les transports, les commerces et tout espace fermé, sous peine d’amende. D’autres entités fédérées se sont également engagées dans cette voie, mais elles sont très largement minoritaires – Sebastopole, les régions de Novossibirsk, Vladimir, Ivanovo, Kamtchatka, Khabarosvk et une partie de Kuzbass. La France hésite.
Mais le plus important est la distance sociale. Elle semble encore plus symbolique que sanitaire, car elle permet de détruire le lien social dans le prolongement de la virtualisation de la communication et donc de modifier également la sphère du réel. L’on peut se dire que ce n’est pas grave de ne pas se serrer la main, de ne pas se faire la bise. En principe, rien n’est jamais grave. Mais quel est le but ? L’homme est un prédateur pour l’homme, une source de danger, il faut s’en tenir éloigné. Et lorsque ce n’est pas possible, chers amis, les recommandations sont claires – tournez-vous le dos. Ce n’est pas anecdotique, ce n’est pas juste un moment, le temps que ça passe. Rappelez-vous, le virus ne passera pas ou pas de sitôt et de toute manière il y en aura toujours un autre. Ce doit être une nouvelle réalité, une nouvelle norme de comportement social. C’est en substance ce qu’affirme le ministre des Affaires étrangères britannique, Dominic Raab.
Cette nouvelle norme comportementale donne des résultats dépassant les limites de l’absurde lorsque l’on veut primitivement la mettre en pratique. Ainsi, en Russie, l’Agence de la consommation (qui est en première ligne dans la lutte contre le coronavirus …) a expliqué le scénario de reprise d’activité dans le secteur de la restauration. Lors de la première phase de déconfinement, les restaurants et les cafés ne pourront ouvrir qu’une partie de leur superficie (pourquoi, plus il y a d’espace, moins les gens sont proches …) de moins de 50m2 avec 5 tables, auxquelles ne pourront s’asseoir qu’une à deux personnes maximum. Pour ceux qui sortent en tête à tête avec leur smartphone, la soirée sera parfaite. Pour ceux qui cherchent une ambiance chaleureuse, cela semble compromis … Ensuite, l’on pourra passer à 10 tables, avec toujours un à deux couverts. Les autres attendront dans la rue ? Cela rappellera les grandes heures de la restauration soviétique. La démarche est effectivement très … novatrice. Quel est l’intérêt d’aller au restaurant dans ces conditions-là ?
Toute cette mise en scène ressemble à la mise en pratique des règles de suggestion et modelage du comportement. Pour obtenir le comportement désiré chez un patient, il faut procéder par étapes. Choisir au départ un comportement qui existe déjà dans le répertoire comportemental et qu’il est donc facile d’atteindre. En principe, les gens peuvent ponctuellement porter des masques, ne pas se faire la bise lorsqu’ils ont un rhume, ça n’est pas nouveau. Il n’y a donc rien de grave, lorsque ces mesures sont annoncées à l’égard des personnes considérées comme touchées par le coronavirus. Ensuite, il faut établir une séquence d’étapes comportementales pour conduire au comportement-cible : que tout le monde porte les masques et garde définitivement ses distances. Le contrôle dans les premières étapes est très fort (amende, discussion pédagogique par les policiers, application sur smartphones, etc) et va se réduire lorsque le nouveau comportement est devenu une norme. Parallèlement, il convient évidemment de motiver – le culte sanitaire est prêt.
Selon les différentes écoles de psychologie clinique, les techniques sont différentes, mais l’efficacité va dépendre du milieu externe et du milieu interne. L’immersion va aider à intensifier la modification du comportement (le confinement est parfait). L’individu ne doit pas se sentir seul dans cette situation, l’observation de l’autre va l’aider à produire « les bons gestes » – ces mesures doivent donc être générales. La persuasion verbale est ici fondamentale – le monopole du discours dans les médias remplira parfaitement cette fonction. L’important est de bien manier le dosage entre l’imposition (immersion) et la suggestion (observation et persuasion).
Enfin, n’oublions pas la récompense – le déconfinement, si vous vous tenez bien. Nous pouvons rappeler ici les paroles délicates de Jerôme Salomon déclarant que la réussite du confinement va conditionner le déconfinement, ou encore de la responsable de l’Agence russe de la consommation, Popova, expliquant avec morgue que les Russes pourront entrevoir le déconfinement à partir du 12 mai s’ils ne sortent pas pendant les fêtes. Manifestement, ne pas célébrer le 9 mai est fondamental, sur le plan sanitaire évidemment.
Ces progressistes ne sont pas les premiers à vouloir créer un « nouvel homme » pour un « nouveau monde ». En général, ça se termine mal – tôt ou tard. Ce qui n’empêche pas de régulièrement voir ressurgir le fanatisme, dont les formes peuvent varier, mais dont les effets destructeurs restent les mêmes. La question est finalement de savoir jusqu’où nous les laisserons aller avant que notre instinct de survie ne se réveille …
source : http://russiepolitics.blogspot.com
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