MEXIQUE – La spolation financière: les paysans, «associés» du Train Maya

MEXIQUE – La spolation financière: les paysans, «associés» du Train Maya

Le projet baptisé « Projet de développement Train Maya », principal projet d’infrastructures de l’actuel gouvernement fédéral mexicain (Présidence de la République, 2019) annonce que, pour la première fois, les terres des paysans ne seront pas expropriées pour mener à bien un projet de « développement », contrairement à ce qui s’est produit à d’autres moments de l’histoire ; que ne seront pas élaborés de projets (barrages, centrales hydroélectriques, exploitations minières, routes, ponts aéroports, entre autres) sans respecter la propriété sociale. À ce sujet, un des premiers documents, qui présentait le Train Maya de façon très générale, indique que « dans le cas des construction des stations, les propriétaires individuels ou communautaires pourront céder leurs terrains et devenir des associés du développement local » (FONATUR, 2019). Mais pourquoi cette affirmation est-elle importante ?

En accord avec le Registre agraire national, dans les États où il est prévu de mettre en place le Projet de développement du Train Maya, une moyenne de 52% de la propriété de la terre est de la propriété sociale ; même si dans quelques états, comme le Quintana Roo, cette propriété atteint plus de 60%. Ce qui signifie que plus de la superficie ne correspond ni à la propriété privée ni à la propriété publique mais à un type de propriété qui date de l’époque préhispanique et que le Mexique a institutionnalisée après la Révolution mexicaine : les ejidos (propriété collective) et communautés agraires (noyaux agraires). Ce régime de propriété, constitué de 5 375 ejidos est fondamentalement géré par des paysans indiens. En ce sens, il s’agit non seulement de régime de propriété mais d’un mode de vie, le mode de vie paysan, où prédomine la milpa, « un système agricole traditionnel de polyculture …la culture principale étant le maïs, et de diverses espèces de haricots, de courges, de piment, de tomates et bien d’autres cultures, selon la région, d’après la CONABIO (Commission nationale pour la connaissance et l’usage de la biodiversité). Un certain nombre de recherches rapportent qu’on peut trouver jusqu’à 50 espèces différentes, destinées à l’alimentation et qui sont inhérentes à un mode de vie.

Dans la péninsule du Yucatán subsistent des cosmovisions particulières, émanant de 3,6 millions d’Indiens de 23 peuples originels. C’est pour cette raison, et non par hasard, que dans les régions de la péninsule du Yucatán et de la Caraïbe mexicaine existe une des plus importantes richesses biologiques du pays et du monde (25 Zones naturelles protégées, de plus de 8,6 millions d’hectares), et que ces peuples, en accord avec leurs cosmovisions et leur mode vie lié au cosmos, ont maintenu une relation plus harmonieuse avec la nature dont ils font partie et qu’ils conçoivent comme un sujet vivant doté d’un cœur.

Sur ces terres, en les recouvrant littéralement, on se propose de construire les stations du Train Maya. Mais le projet du Train Maya envisage non seulement la création de stations mais aussi la création de nouvelles villes touristiques et, pour les habitants locaux, des pôles de développement et des parcs agro-industriels. Au total ce serait 22 stations et 18 pôles de développement et de parcs agro-industriels. Cela supposera que soient construits sur les ejidos, des hôtels, des restaurants, des boutiques, des bars, des centres de divertissement touristique, des bureaux et des logements.

Dans l’optique gouvernementale il semble que, pour la première fois, les terres des ejidos ne seront pas expropriées. Dans le gouvernement de la dénommée Quatrième Transformation, on propose aux propriétaires de propriété sociale de ne pas vendre leurs terres et de s’inclure, en tant qu’associés, dans le projet intitulé Projet de développement Train Maya. À ce propos, un des correspondants territoriaux du Train Maya, Pablo Careaga, représentant du Fonds national du développement du tourisme (FONATUR, pour Fondo Nacional de Fomento al Turismo), rapporte ce qui est dit aux membres des ejidos : « Nous te proposons une alternative. Ta terre, tu la cèdes au Consortium FIBRA Tren Maya. Que te donne en échange le consortium ? Il te donne des actions dans l’entreprise, tu deviens un associé de l’entreprise. Au même titre que les autres associés. Ta terre sera nécessaire pour les pôles de développement ». En d’autres termes, ce fonctionnaire dit : « … les membres des ejidos apportent leur capital sous forme de terre. La terre appartiendra aux associés du projet, aux propriétaires de la terre et à ceux qui investissent de l’argent pour développer les villes ».

De cette façon, la participation qui leur est proposée est d’apporter leurs terres à un consortium, « disposition selon laquelle le testateur laisse son bien ou une partie de son bien à la disposition, à la bonne foi de quelqu’un qui, dans un cas et un moment précis, le transmettra à une autre personne ou l’investira de la façon qu’on lui indiquera ». C’est un consortium qui dépend du marché financier qui, à nous, l’immense majorité des Mexicains, nous est étranger, car seuls « 35 mexicains sur 10 000 investissent en bourse, à la différence des États-Unis ou 60 citoyens sur 100 participent à ce marché » (El Economista, 2018).

La configuration proposée est le Consortium d’infrastructures et de biens immobiliers (FIBRAS), un instrument financier qui sera coté en bourse comme n’importe quelle action de la Bourse mexicaine des valeurs (ou Bourse institutionnelle des valeurs, nouvelle au Mexique), sur le marché des capitaux, ce qui suppose risques et processus spéculatifs. Selon la Bourse mexicaine de valeurs », les FIBRAS sont des supports pour l’acquisition et/ou la construction de biens immobiliers qui sont destinés à la location ou à l’acquisition de droits à percevoir des revenus provenant des biens en question ».

Par conséquent, pour être des « associés » du Train Maya la première chose que doivent faire les membres des ejidos, selon le Fonds national de développement du tourisme, est de confier leur terre au consortium, convertir leur propriété en action boursière par l’intermédiaire de la FIBRA Train Maya que le gouvernement fédéral a proposé de créer. Le consortium se chargera de placer les actions boursières sur le marché des capitaux par l’intermédiaire d’une bourse où les investisseurs se présenteront pour les acheter. Les rendements générés seront distribués aux associés du consortium. Pablo Careaga précise que « n’importe qui peut être un associé du projet ». C’est une démocratisation authentique du capital. La démocratie permet que chacun ait une voix et un vote sur un projet. Des capitaux privés, pour générer des bénéfices publics ». Néanmoins, comme nous l’avons vu, cette « démocratie » au Mexique n’est pas partagée par tous mais bien réservée à une minorité.

Cet instrument financier, les FIBRAS, apparaît aux États-Unis dans la décennie des années 60 du XXe siècle (connu comme Real Estate Investment Trust), bien qu’il ait eu des antécédents dès la fin du XIXe siècle. Il avait pour objectif d’être un support d’investissement immobilier basé sur le concept de consortium avec offre publique » (RANKIA, 2020). Au Mexique, cet instrument a à peine 9 ans de fonctionnement et on a donc relativement peu d’expérience à son sujet. Les FIBRAS, qui sont cotées à la Bourse mexicaine de valeurs, sont essentiellement investies dans le secteur de l’hôtellerie, du logement, de corporations, d’écoles, de constructions de bars-restaurants et de parcs industriels. Une de leurs caractéristiques est que toutes ont été destinées à la propriété privée.

Il semblerait, qu’il n’existe pas au monde d’expérience qui propose une FIBRA sur la propriété sociale qui, au Mexique, correspond en partie aux ejidos. À ce sujet, Humberto Calzada, de la communauté financière Rankia Mexique, indique que « sur la participation sociale, il n’existe pas d’expérience préalable. Il existe effectivement une participation de l’initiative privée et d’investisseurs dans des projets du gouvernement, mais pas de cette nature. En ce sens le gouvernement mexicain innoverait à l’échelle mondiale et latino-américaine, en offrant en bourse les terres des ejidos ». Une question se pose à ce sujet. Pour participer à l’investissement immobilier dans les stations, les villes et les pôles de développement, les ejidosdevraient-ils d’abord passer en pleine propriété. C’est à dire devraient-ils passer de régime de propriété sociale à propriété privée afin de pouvoir participer au consortium. C’est l’un des grands rêves du libéralisme : privatiser la propriété sociale !

En accord avec le Fonds national de développement du tourisme, l’entité du gouvernement responsable du Projet de développement Train Maya, les membres des ejidos conserveront leur propriété sociale car ils apporteront uniquement leurs terres au consortium et recevront en échange leurs rendements respectifs en accord avec le fonctionnement de la FIBRA précédemment indiqué. Néanmoins je souligne que, sur ces terres, seront construites les infrastructures nécessaires : stations, villes, pôles de développement, et parcs industriels, pour lesquels il n’y aura pas de retour en arrière possible. C’est-à-dire que la terre une fois confiée au consortium ce sera irréversible, sauf si les membres des ejidos achetaient la totalité des actions en bourse. En outre, la Loi de l’impôt sur le revenu établit que ces actions dans le consortium sont irrévocables.

Si on considère que les membres des ejidos feront partie d’une société d’actionnaires, les entreprises immobilières, par exemple, seront celles qui bénéficieront de la plus forte rentabilité. C’est-à-dire que les membres de ejidos qui apporteront uniquementleurs terres bénéficieront (du moins si c’est le cas) d’une moindre rentabilité comparée à ceux qui construiront des biens immobiliers, représentant un coût et un investissement bien supérieurs.

Néanmoins, la rentabilité n’est pas totalement garantie. Un membre de RANKIA Mexique déclare que les FIBRAS sont un instrument sujet à des variations, qu’il existera toujours des risques, car une de ses caractéristiques est qu’il est un instrument hybride : une partie est à rentabilité fixe et l’autre à rentabilité variable (approximativement de 70%). La définition de la rentabilité variable précise que sa rentabilité n’est pas connue et n’est pas assurée : « elle se caractérise par le fait qu’elle ne garantit ni le remboursement du capital investi ni l’obtention de rendements », raison pour laquelle « quand l’investissement est à revenu variable nous courons le risque de perdre tout notre argent » (RANKIA). Il est important de préciser que cet investissement dépend de la situation économique générale qui, dans un futur proche, pour ce qui est du Mexique, n’est pas très prometteuse : « selon les courtages au niveau international, Standards & Poors’s, Fich, Moody’s sociétés de notation financière, et un certain nombre de banques comme J.P. Morgan, Goldman Sachs, leur sentiment est négatif concernant l’économie mexicaine, et le marché l’a reflété car l’annulation d’un projet comme celui de l’aéroport de Texcoco, a suscité la méfiance surtout chez l’investisseur national et étranger. Pour les mêmes raisons, le constructeur automobile BMV n’a pas pu rebondir » (Calzada 2010). À cela il faut ajouter que « les nouvelles émissions à revenu variable, n’ont pas eu vraiment de succès ». Dans le cas particulier des FIBRAS elles ont stagné au cours de l’année et demie écoulée, précisément en raison du comportement de l’économie mexicaine ; le scenario ne sera pas très différent pour l’année 2020 car on prévoit une croissance inférieure à 1%. Cela s’accentue avec la sortie du Mexique du top 10 des pays les plus attractifs pour investir. En conséquence, en termes réels les scenarios pour le revenu variable de cet instrument financier ne sont pas bons.

Donc la proposition des FIBRAS pourrait signifier un processus de dépouillement dû en outre au fait que les membres des ejidos ne pourront jamais récupérer leur terre (s’ils le voulaient) car sur elles se situeront des projets immobiliers – c’est ce que la loi établit – et la rentabilité n’est pas assurée, raison pour laquelle ils n’auraient peut-être d’autres options que la vente de leurs actions (certificats boursiers) qu’ils percevraient pour leurs terres.

Face à ce scénario, l’espoir d’un autre scénario découle du fait que dans la Loi agraire (loi de l’article 27 de la Constitution, article qui a institutionnalisé la répartition des terres au Mexique) il n’existe aucun élément qui dise que les membres des ejidospuissent céder leurs terres pour une FIBRA. Sur ce sujet, le Procureur agraire de la nation indique que « la loi établit que la cession de terres est destinée à des sociétés agricoles, d’élevage ou forestières et ne pourra faire l’objet de projets de développement industriel et urbain, car la loi ne le prévoit pas ». Néanmoins, il est possible que les membres de ejidos puissent passer à la pleine propriété et vendre leurs terres, ce qui reste encore à prouver. Qu’adviendra-t-il à la propriété sociale de ce Mexique des paysans indiens ?

Violeta R. Núñez Rodríguez

Sources consultées

Calzada, Humberto (2020). Entrevista a Humberto Calzada sobre los FIBRAS y la economía mexicana, integrante de RANKIA.
El Economista (2018). “Sólo 35 de cada 10,000 mexicano invierten en Bolsa”, El Economista, México.
Fondo Nacional de Fomento al Turismo (FONATUR) [Fonds national de développement du tourisme] (2019). Tren Maya, México, FONATUR.
RANKIA (2020a). “Información de REITs”, disponible à l’adresse https://www.rankia.com/informacion/reits, consultée le 26 janvier 2020.
RANKIA (2020b). “Información de renta variable”, disponible à l’adresse https://www.rankia.mx/informacion/renta-variable, consultée le 1er février 2020.

Source (espagnol) : article paru dans la revue América latina en movimiento, n° 547 – « Panamá en Tehuantepec : Colonización ferroviaria del sureste de México » [Panamá à Tehuantepec : Colonisation ferroviaire du sud-est du Mexique], co-édition ALAI-OLAG, février-mars 2020, p. 9-12.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Violeta R. Nuñez Rodríguez est enseignante chercheuse dans le Département de production économique de l’Université autonome métropolitaine, unité de Xochimilco.

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