Entretien avec Georges Corm : Le peuple libanais contre sa « bancocratie »

Entretien avec Georges Corm : Le peuple libanais contre sa « bancocratie »

Georges Corm, est économiste de profession, spécialiste du Moyen-Orient et de la Méditerranée, consultant auprès d’organismes internationaux et d’institutions financières. Il a été ministre des finances du Liban durant les années 1999 – 2000.

Depuis 2001, il est professeur à l’Université Saint Joseph de Beyrouth où il enseigne la « gestion financière de l’État » et la « coopération économique internationale » dans le cursus de sciences politiques.

R/ Comment le Liban est touché par l’épidémie de Covid-19 ? 

Au Liban, nous avons un excellent ministre de la santé, lui-même pharmacien de profession qui a très bien organisé la gestion de l’épidémie où les personnes atteintes de la maladie sont soignées dans un hôpital gouvernemental situé à Beyrouth avec un personnel très dévoué et compétent. Certains hôpitaux privés ont été accrédités aussi pour recevoir des malades. Les Libanais à l’extérieur du Liban qui sont rentrés avant la fermeture de l’aéroport ont été mis en quarantaine dans un hôtel à Beyrouth et confinés à leur chambre pour deux semaines.

R/ Comment expliquer la crise économique grave que traverse le pays ? 

C’est une longue histoire, mais pour faire court, c’est le résultat de trente ans du pillage du pays par l’ancien premier ministre assassiné, Rafic Hariri, patronné et couvert par Jacques Chirac et l’Arabie saoudite. Un système monétaire absurde avait été mis en place ayant favorisé une forte dollarisation de l’économie (70%) où l’on pouvait facilement emprunter des dollars à 6% ou 7% et les placer en bons du trésor en livres libanaises à des taux qui ont atteint jusqu’à 40% en 1995. Tout ceci avec un taux de change fixe ! Cela a été la curée et l’origine d’une dette odieuse qui a atteint l’équivalent de 150% du PIB en septembre 2019, lorsqu’un nouveau premier ministre issu du milieu universitaire a suspendu le paiement de la dette qualifiée d’odieuse.

Ce schéma d’une pyramide Bonzi à la mode de l’escroc Madoff a bien marché. Il a été alimenté par l’épargne de beaucoup d’émigrés libanais ayant de la famille au Liban, jusqu’au moment où il a fallu se réveiller par l’effondrement complet du système bancaire dont la banque centrale libanaise avec à sa tête depuis 1991 le même gouverneur a été totalement responsable.

Par ailleurs, Rafic Hariri durant son mandat avait signé des accords de libre échange en pagaille avec les pays arabes dont la plupart subventionnent lourdement leurs exportations ce qui n’est pas le cas au Liban. Les taux de croissance de l’économie libanaise ont été ridiculement bas pour un pays sortant en 1991 d’une longue guerre civile de 15 ans. Bouffonnerie suprême, la première mesure prise par M. Hariri père à l’issue de la guerre fut de baisser de façon drastique le taux progressif de l’impôt sur le revenu qui atteignait 43% dans les années 1970 pour en faire un impôt « progressif » allant de de 2% à 10% !

De plus, le Liban est une « bancocratie » de type maffieux avec des relations incestueuses entre les banques et les dirigeants communautaires du pays.

R/ Quelles sont les origines de la contestation sociale qui refait surface actuellement ? 

La politique économique menée ces trente dernières années sous la conduite de Rafic Hariri puis de son fils Saad est responsable de l’aggravation du taux de pauvreté au Liban, de plus il y a eu l’afflux de réfugiés syriens qui acceptent de travailler à de très bas salaires et donc font perdre leurs emplois aux salariés libanais. L’Union européenne et les Etats-Unis ont interdit tout contact du gouvernement libanais avec le gouvernement syrien pour le retour des réfugiés dans les zones de la Syrie où il n’y a plus d’opérations militaires. Il y a quelques retours qui se font volontairement, aidés par le Hezbollah qui comme on le sait est très présent en Syrie.

Enfin, le confinement imposé par l’épidémie de Corona a arrêté la plupart des activités économiques, faisant perdre leur emploi à de très nombreux salariés. On estime aujourd’hui que plus de 50% de la population libanaise vit au-dessous du seuil de pauvreté.

R/ Existe t-il une possibilité de sortie de crise ? Un mouvement révolutionnaire pourrait être une alternative ? 

Nous avons connu avant l’apparition du virus et le confinement un formidable mouvement d’émancipation du système communautaire animé par les classes moyennes essentiellement. Ce mouvement s’est concrétisé par l’occupation durant deux mois du centre de la capitale, transformé en lieu de débats libres. L’apparition du Covid 19 a évidemment entraîné le confinement de la population.

Actuellement, nous avons un nouveau premier ministre parfaitement intègre issu de l’Université américaine et qui semble décidé à chasser « les marchands du temple », aussi tous les corrompus de la république se sont ligués contre lui.

Cela va être une longue bataille, mais il faut espérer qu’elle sera gagnée.

R/ Nous vous remercions sincèrement pour vos réponses.

A lire :

La Nouvelle Question d’Orient, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2017, 250 p.

Source: Lire l'article complet de Rébellion

À propos de l'auteur Rébellion

Rébellion est un bimestriel de diffusion d’idées politiques et métapolitiques d’orientation socialiste révolutionnaire.Fondée en 2002, la revue Rébellion est la voix d’une alternative au système. Essentiellement axée sur les sujets de fond, la revue est un espace de débats et d’échanges pour les véritables opposants et dissidents. Elle ouvre ses colonnes à des personnalités marquantes du monde des idées comme Alain de Benoist, David L’Epée, Charles Robin, Pierre de Brague, Thibault Isabel, Lucien Cerise … Rébellion se veut également un espace « contre-culturel » au sens large (arts, littérature, musique, graphisme).

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