Lors de la conférence de presse du 18 avril du président américain Donald Trump sur la pandémie de coronavirus, le Dr Deborah Birx, coordinatrice de la réponse américaine à l’épidémie, a critiqué les données rapportées par la Chine sur le Covid-19. Elle l’a fait en montrant un graphique avec les données des pays suivants. (J’ai mis à jour le graphique avec les données [1]du New York Times* du 19 avril, mais les deux ensembles de données ne diffèrent que de façon négligeable).
Mortalité, nombre de décès pour 100 000 habitants :
Belgique : 49,8
Espagne : 43.8
Italie : 39,2
France : 29,4
Royaume-Uni : 24,2
Pays-Bas : 21,4
USA : 10,9
Iran : 6.3
Allemagne : 5,2
Chine : 0,3
Le Dr Birx a qualifié les faibles chiffres de la Chine d’ « irréalistes » en disant : « J’ai mis la Chine là-dessus pour que vous puissiez voir à quel point cela peut être fondamentalement irréaliste. C’était après que Trump ait pointé les chiffres de la Chine et interrompu Birx pour lui demander : « Excusez-moi. Est-ce que quelqu’un croit vraiment ces nombres ? Est-ce que quelqu’un croit vraiment ce chiffre ? » (Transcription ici ; voir minute 37:08 et suivantes).
L’argument que Birx et Trump avançaient était clair. Les chiffres de la Chine étaient très loin derrière celui des autres, quelque chose comme dix fois inférieurs. Par conséquent, le rapport de la Chine était mensonger.
Mais dans son graphique, Birx a omis les données provenant des pays d’Asie de l’Est et des environs, qui ont été applaudis par les médias américains pour leurs performances, et dont les données sont incontestables en Occident. Voici quelques données pertinentes omises par Birx, reprises du New York Times du même jour, le 19 avril, avec la Chine à nouveau incluse à titre de comparaison.
Décès pour 100 000 habitants : **
Corée du Sud : 0,5
Japon : 0,5
Australie : 0.3
Chine : 0,3
Singapour : 0,2
Taïwan : <0.1
Hong Kong : <0.1
Le nombre des Chinois correspond à celui des pays voisins. L’exercice de Birx est en fait un exemple classique de mensonge par omission, une demi-vérité étant un mensonge pur et simple.
Soit le Dr Birx était au courant de ces données et les a délibérément cachées, soit elle n’en était pas consciente et elle est incompétente. Aucune de ces deux conclusions n’est très réconfortante. Trump est critiquable à la fois pour d’être précipité pour insulter la Chine, et pour avoir toléré quelqu’un comme Birx dans la direction de la réponse du gouvernement à la pandémie.
Ces données montrent clairement que les pays d’Asie de l’Est et l’Australie ont obtenu de meilleurs résultats que les États-Unis et l’Europe. Pourquoi en est-il ainsi ? Deux catégories d’explications se dégagent. Premièrement, les différentes souches du virus peuvent différer en termes de létalité. Il n’y a pas de preuve de cela, mais des tests de laboratoire peuvent le laisser imaginer.
Une deuxième raison expliquant les meilleures performances des pays d’Asie de l’Est et de l’Australie est qu’ils ont prêté attention à ce que faisait la Chine, peut-être parce qu’ils sont voisins et mieux informés de ce qui se passe en Chine. Beaucoup de nouvelles sur la Chine ne sont tout simplement pas rapportées par les médias grand public aux États-Unis et parmi les « alliés » des États-Unis.
Dans ce cas, cependant, l’inquiétude concernant une pandémie en développement dans le pays d’à côté peut avoir fait passer les nouvelles de Chine par-dessus le blocus de l’information. Ces pays ont pu constater que la Chine avait accumulé une expérience considérable sur le virus et qu’elle parvenait, au prix de nombreuses vies et souffrances, à enrayer sa propagation. En conséquence, ils ont suivi l’exemple de la Chine à bien des égards.
Mais quelle qu’en soit la raison, les données de la Chine correspondent à celles de nombre de ses voisins. C’est là le point essentiel. En fin de compte, ces nombres ne nous donnent aucune raison de douter de la déclaration de la Chine. Et la correspondance entre les données publiées par la Chine et d’autres données régionales corrobore le fait que la Chine a déclaré avec précision les décès dus au Covid-19.
Étant donné l’attention portée aux conférences de presse de Trump, j’ai pensé que la presse aurait sûrement remarqué cette manipulation évidente des données. J’ai vérifié le « fact-checking » de la conférence de presse par CNN, qui n’est pas ami de l’administration Trump. Il n’a pas été fait mention de ce mensonge par omission.
Ensuite, j’ai vérifié le Public Broadcasting Service, un pilier de probité et de respectabilité et qui n’est pas non plus ami de Trump. PBS fait un bref tour d’horizon en ligne de chaque conférence de presse de Trump avec les présentateurs Hari Sreenivasan et Zachary Green. Ils ont montré le graphique de Birx et ont noté les commentaires de Trump, mais n’ont pas relevé l’omission de données. Le lendemain, une vérification du NYT, autre ennemi juré de Trump, n’a montré aucune tromperie de Birx-Trump.
Comment expliquer cela ? On ne peut s’empêcher de penser que l’idée de la malfaisance chinoise en toutes choses est devenue si profondément ancrée dans le corps politique que contester les accusations portées contre la Chine est désormais hors de question. Aucune accusation, aussi infondée ou contraire à la réalité soit-elle, n’est trop impudente pour être rapportée sans réflexion. En fait, dire la vérité dans une telle situation peut même nuire à la carrière d’une « star » montante du journalisme.
Pourquoi devons-nous nous préoccuper de cette question ? Parce que l’expérience de la Chine avait beaucoup à nous apprendre. Et puisque la Chine sort maintenant de la récession causée par la pandémie, elle pourrait avoir plus à nous apprendre, alors que nous nous dirigeons aussi vers la reprise économique.
Par exemple, pour revenir à la normale, la Chine procède maintenant à des essais à grande échelle sur un territoire de la taille des États-Unis. Comment cela fonctionne-t-il et comment pourrait-il être amélioré ? Ignorer l’expérience de la Chine sans l’évaluer soigneusement à un moment comme celui-ci pourrait bien se transformer en autodestruction.
Mais il y a un danger encore plus grand ici. L’antagonisme entre la Chine et les États-Unis s’est accru depuis le « pivot » malavisé de l’ancien président Barack Obama contre la Chine, suivi de la guerre commerciale tout aussi malavisée de Trump. Aujourd’hui, Joe Biden, candidat démocrate à la présidence, est en lice pour prendre la tête des attaques contre la Chine.
La conférence de presse du 18 avril s’inscrit dans ce schéma, permettant à Trump de plastronner en arguant de sa fermeté à l’égard de la Chine, et d’échapper à une raclée des médias hostiles à la Chine pour ses louanges antérieures au président Xi Jinping et à la Chine pour leur réponse au Covid-19.
Prendre la voie de l’hostilité envers la Chine peut conduire à un affrontement entre deux géants économiques doublés de puissances nucléaires, ce qui pourrait conduire à une catastrophe pour l’humanité tout entière. Comme Henry Kissinger nous l’a rappelé il y a quelque temps, un conflit armé entre les deux géants pourrait apporter au monde entier le même niveau de dévastation que la Première Guerre mondiale avait causé en Europe. Et il est probable que ce soit une sous-estimation. Sortons de cette voie avant qu’il ne soit trop tard.
*Note de l’auteur : Les données sont extraites de ce site. Elles sont actualisées plusieurs fois par jour, de sorte que les les plus récentes y sont affichées. Maintenez la flèche de la souris sur le pays de votre choix et les décès pour 100 000 habitants apparaîtront.
Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Note
[1] Les données sont tirées de ce site : https://www.nytimes.com/interactive/2020/world/coronavirus-maps.html.
Les données sont actualisées plusieurs fois par jour, de sorte que les données les plus récentes y sont affichées.
** Note de la traduction : parmi les pays voisins immédiats de la Chine, on peut ajouter la Mongolie, qui borde la Chine au Nord : aucun décès à la date d’aujourd’hui.
Le Kazakhstan, 25 décès.
Le Kirghizistan, 8 décès.
L’Inde, 886 décès (sur plus d’un milliard d’habitants).
Le Myanmar (Birmanie), 5 décès.
Le Laos, aucun décès,
Etc… (Source)
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