La Hongrie de Viktor Orbán est-elle un exemple d’alternative pour l’Europe Centrale ?

La Hongrie de Viktor Orbán est-elle un exemple d’alternative pour l’Europe Centrale ?

La Hongrie de Viktor Orbán est-elle un exemple d’alternative pour l’Europe Centrale ? La question mérite d’être posée.

Pays à identité forte, fier de l’héritage culturel le plus brillant d’Europe Centrale, la Hongrie est surement celui des pays de la région où la dimension tragique de l’histoire est la plus présente dans l’esprit de son peuple.

Sur un fond de nationalisme hongrois né du traumatisme de la perte des 3/4 de son territoire suite à la chute de l’Autriche-Hongrie (aux termes du traité de Trianon de 1919), Viktor Orbán réalise une synthèse entre un conservatisme authentique et les aspirations à la souveraineté populaire qu’on observe actuellement un peu partout en Europe. Après la désastreuse expérience de la thérapie de choc réalisée au début des années 2000 par les « sociaux-démocrates » issus pour partie des cercles dissidents de l’ancienne élite communiste, Orbán représente une sorte de populisme socio-patriotique : il a rendu à l’État le contrôle de la protection sociale (renationalisation les assurances sociales) et au capital hongrois la maîtrise d’une partie du système bancaire, défendu l’agriculture locale en interdisant les ventes de terres agraires aux étrangers (en Roumanie, plus de 60% des meilleures terres agraires sont dans des mains étrangères), et protège le capital local contre le capital transnational. D’où, évidemment, la violence des critiques de Bruxelles…

Profitant de sa fermeté lors de la crise des migrants, ses adversaires comptent sur l’aide étrangère pour déjouer son programme national-conservateur. Leurs manifestations, organisées, promues et financées par les ONG de la galaxie Soros, constituent régulièrement de petites tentatives de Maïdan, qui jusqu’à présent ont toutes échouées. Bénéficiant d’un réel soutien populaire et mettant en place une alliance des pays d’Europe Centrale contre les ingérences de l’Union Européenne, le gouvernement de Viktor Orbán est aujourd’hui à la croisée des chemins.

Nous avions demandé; dans le numéro 82 de Rébellion ( avril 2018) , à Modeste Schwartz, traducteur et écrivain français vivant entre Budapest et Cluj, son point de vue sur l’histoire et la situation hongroise actuelle.

R/ comment définir l’identité spécifique du peuple hongrois ?

Depuis que la forte personnalité politique de V. Orbán a projeté la Hongrie au premier plan de l’actualité européenne, on assiste à la formation d’une « magyariade » (sur le modèle de « l’espagnolade » du XIXe siècle), c’est-à-dire à la fabrication et diffusion de légendes, qui permettent par exemple de poursuivre certains des débats faussés qui empoisonnent la société française, mais en faisant semblant de parler d’un autre pays, lointain et exotique. Ainsi, l’antiracisme bêlant et manipulé semble, en France, s’être mis d’accord avec ce qu’il y a de plus bête dans le culte de l’identité pour considérer que la Hongrie est une Sparte ethniciste, racialement homogène et ouvertement raciste. Il n’en est rien. Située en plein milieu de l’Europe, elle présente une diversité génétique énorme, une grande diversité culturelle et des mécanismes d’assimilation citoyenne bien rôdés. Quand on parle des effets du Traité de Trianon, on fait parfois semblant de croire que, dans les régions qu’elle a conservées, la Hongrie était ethniquement homogène. Il suffit d’ouvrir un annuaire téléphonique de Budapest pour se convaincre de son erreur : allemands, slaves, juifs, italiens… les patronymes spécifiquement hongrois (interprétables dans la langue même, comme le français « Meunier » fait penser à « moulin ») y sont en minorité ! Comme en France, une grande partie des hongrois d’aujourd’hui n’ont pas quatre grand-parents dont le hongrois aurait été la langue maternelle. Comparée, notamment, à tous ses voisins, la Hongrie est donc plutôt une république, caractérisée par un patriotisme citoyen, qui a su intégrer de nombreuses minorités et continue à le faire. Les hongrois sont aussi ceux des centre-européens qui émigrent le moins pour des raisons économiques, essentiellement parce les infrastructures (notamment éducationnelles, hospitalières, etc.) fonctionnent mieux chez eux qu’en Roumanie, Slovaquie etc. (et peut-être même mieux, aujourd’hui, que dans certains pays d’Europe du Sud ruinés par la prédation financière). C’est donc – si l’on fait abstraction de la langue, d’un type relativement inhabituel dans le contexte européen – simplement un pays du monde relativement fonctionnel et relativement normal, et donc conscient de son intérêt collectif, désireux d’avoir un avenir et de le choisir lui-même. Vu depuis la France « Charlie », un tel état de fait peut sembler « réactionnaire », mais, objectivement, cela devrait plutôt nous inciter à nous poser des questions sur le déclin français que sur la « spécificité hongroise ».

R/ La Hongrie est un pays marqué par l’histoire et particulièrement par les tragédies du XXe siècle. Comment l’identité hongroise a-t-elle intégré les drames du dernier siècle ?

Là encore, on s’exagère « l’étrangeté » hongroise. Comparés au Polonais ou au Roumains (pour ne rien dire des peuples du Caucase, ou des Russes…), les Hongrois ne sont pas particulièrement obsédés par le passé. Ils se situent dans la moyenne anthropologique européenne (de l’Atlantique à l’Oural), encore dominée numériquement par des peuples qui honorent leurs morts et savent que la mémoire est une garantie d’avenir. C’est plutôt la France qui fait figure d’exception, avec son « devoir de mémoire » greffé sur une habitude d’oubli et transformé en psychodrame d’auto-culpabilisation semeuse de zizanie. Le cliché des « hongrois traumatisés » est né pendant la guerre froide et, encore plus, dans les années 1990, pendant la « grande braderie à l’Est », à une époque où les pays post-communistes glissaient en roue libre sur la pente de la désindustrialisation/dénatalité/dépopulation, où tout le monde cherchait à se barrer à l’Ouest (ou au moins à décrocher telle ou telle bourse occidentale d’un an ou deux), et où un bon moyen (ou supposé tel) d’y arriver était d’adopter un discours de victime qui vient d’entrevoir un sauveur. Les occidentaux étant (en dehors de certains professionnels) un peu naïfs, ces jérémiades conventionnelles ont souvent été prises pour argent comptant.

R/ L’épisode de l’insurrection du Budapest en 1956 contre l’occupation soviétique est-il un événement marquant dans la mémoire contemporaine hongroise ?

Oui. Autant il est d’usage de s’exagérer l’importance du « trauma de Trianon » (qu’aucun hongrois encore en vie n’a personnellement vécu), autant on sous-estime parfois celle de 56, seul épisode réellement chaud de la guerre froide sur le sol européen, tuerie effroyable dont beaucoup de témoins sont encore parmi nous. Ceux qui, à l’Ouest, évoquent ce drame le font généralement avec des arrières pensées russophobes, et ont par conséquent tendance à oublier dans leur récit quelques détails (dont les hongrois, en revanche, ont bien conscience), et notamment que :

  1. La crise de 56 a d’abord été une guerre civile, l’URSS n’intervenant qu’au bout d’un certain temps pour reprendre la situation en main ; elle a débuté par un mouvement réformiste au sein même du PC hongrois, et beaucoup de ceux qui sont arrivés au pouvoir après le massacre (souvent au prix d’une participation honteuse aux opérations de répression, pour montrer patte blanche) étaient à l’origine… des réformateurs.
  2. L’intervention soviétique (et donc le massacre) aurait pu être évitée si des agents d’influence occidentaux n’avaient pas encouragé les hongrois à une attitude jusqu’au-boutiste en leur laissant espérer une intervention militaire de l’OTAN volant à leur secours (laquelle était cependant exclue d’entrée de jeu, aux termes de l’accord de Yalta). Les hongrois ont été envoyés au casse-pipe pour ternir l’image internationale de l’URSS (et beaucoup s’en sont rendu compte par la suite).
  3. Les relations entre troupes (« d’occupation ») soviétiques stationnées en Hongrie (plus pour défendre la frontière occidentale du Pacte de Varsovie que pour contrôler le pays) et population locale étaient si bonnes (caractérisées, notamment, par de nombreux mariages mixtes) que lorsque Moscou s’est résigné à l’idée d’une répression « musclée », la première précaution a été de rappeler lesdites troupes en URSS, pour envoyer « à leur place » (mais plus avec la même mission…) des troupes sibériennes.

On peut donc tirer de l’événement des leçons erronées (celles de la russophobie et de l’antisoviétisme d’inspiration trotskyste/néo-con), mais aussi des leçons justes, que les technocrates de Bruxelles feraient bien de ruminer un peu : même en situation d’infériorité numérique extrême, les hongrois ne se laissent pas violer sans résistance. L’armée rouge, bien qu’équipée de tanks contre des manifestants qui n’avaient que les armes confisquées à la police hongroise, a laissé pas mal de soldat sur le terrain. Avis aux amateurs !

R/ L’effondrement du bloc soviétique a-t-il été aussi chaotique que dans le reste de l’Europe de l’Est ? Qui furent les gagnants de cette période ?

En gros, oui. A l’Est de Vienne, personne n’a réellement échappé à la catastrophe des années Eltsine, même si la Hongrie s’en est relativement mieux sortie alors que la Russie ou la Roumanie. Et comme partout ailleurs, les gagnants de la grande braderie ont été d’anciens nomenclaturistes opportunément convertis (en l’espace de 24h) aux dogmes de « l’économie de marché » (mais aussi à ses pratiques, y compris les plus discutables moralement). C’est ce genre de « golden boy post-communiste » qui a, pour l’essentiel, régné sur la Hongrie de 1990 à 2010 – au début, à travers des hommes de paille qui professaient encore (dans le vide) de vagues convictions socialistes, puis, de plus en plus, directement : processus qui culmina avec la nomination au poste de premier ministre de F. Gyurcsány, jeune oligarque libéral-libertaire qui a, dans les années 2000, réussi une OPA amicale sur le Parti Socialiste Hongrois (greffe qui, cependant, n’a pas vraiment pris, à en juger par son éviction ultérieure). Un Macron avant la lettre, en somme. C’est cette gestion oligarchique que les peuples d’Europe centrale tentent à l’heure actuelle de supprimer par un retour à la souveraineté politique qui peut prendre des formes culturellement « de droite » (notamment en Hongrie, où les oligarques pro-occidentaux sont restés déclarativement « de gauche » – alors même que le Parti des Travailleurs, véritable héritier du PC hongrois, soutient discrètement Orbán…) ou des formes de « centre gauche » (comme en Serbie et Roumanie, où la fronde anti-Bruxelles, anti-privatisation et anti-dissolution des nations semble plutôt venir de partis « sociaux-démocrates » ayant hérité leurs structures des anciens partis uniques). Les observateurs occidentaux superficiels ont tendance à se focaliser sur ces différences de pure forme (parce qu’elles leur rappellent leurs débats internes – les seuls qui les intéressent vraiment), et donc à rater (de façon programmatique, sinon toujours prémédité) l’essentiel.

R/ L’évolution de Viktor Orbán est-elle la conséquence de cette époque trouble ? Comment est-il passé du libéralisme à un conservatisme populaire ?

En étudiant de plus près son parcours, comme je l’ai fait récemment (après des années d’antipathie mal informée, puis de sympathie tout aussi mal documentée), on se rend compte qu’en réalité il n’a jamais été réellement libéral. Tout au plus « paléo-libéral », c’est-à-dire favorable à la démocratie bourgeoise et à la propriété privée d’au moins une partie des biens de production (et a fortiori des biens de consommation), mais sans adhésion aux dogmes antinationaux de la religion mondialiste, sans éloge de l’individualisme post-moderne nihiliste (V. Orbán dit lui-même devoir sa formation morale à un jeu d’équipe : le football) et sans darwinisme social. A moins de supposer cela, on s’explique mal pourquoi il a, au début des années 1990, refusé la fusion de son parti FIDESZ (à l’époque une organisation de jeunesse hâtivement transformée en parti lors des premières élections pluralistes) avec le SZDSZ (parti libéral aujourd’hui presque éteint, mais qui était à l’époque une force majeure, et semblait alors devoir arriver au pouvoir rapidement et pour longtemps), en dépit de pressions énormes de ses pairs et lieutenants (qui voulaient bien entendu arriver « aux affaires » le plus vite possible). Jusqu’à la fin des années 2000, certes, les aspects patriotes et sociaux de sa ligne politique restent en sourdine, pour des raisons, à mon avis, pragmatiques : l’électorat des couches populaires (qui lui est aujourd’hui acquis) était alors encore fidèle au PS hongrois en cours de dégénérescence libérale-libertaire, et le mythe occidental (de « l’intégration euro-atlantique » qui ne peut qu’apporter bonheur et prospérité à tous) était encore trop ancré dans les mentalités centre-européennes pour qu’une option souverainiste (même modérée) puisse, par des moyens démocratiques, espérer avoir gain de cause.

R/ Comment définir sa ligne politique ?

Je pense qu’on peut le définir comme un démocrate-chrétien à l’ancienne, ce qui constitue bien entendu un scandale inédit dans une UE désormais dominée par la forme dogmatico-totalitaire du libéralisme libertaire dur. Là encore, c’est plutôt l’évolution mutante des gauches occidentales, devenues les plus sûres alliées du grand capital transnational, qu’il faudrait interroger ; c’est cette évolution qui explique qu’on voie une Le Pen faire campagne en France sur un programme objectivement gaullien et social-démocrate, et que V. Orbàn, qui se serait fondu dans le paysage politique ouest-européen des années 1960, soit aujourd’hui présenté par la presse à gages comme un dangereux extrémiste…

Rappelons qu’il est issu d’un milieu rural et prolétarien sans liens familiaux avec le « légitimisme » hongrois d’avant-guerre, et d’une couche sociale qui a dû au communisme l’accès à l’éducation et à des conditions de vie modernes. C’est son grand avantage sur les grands bourgeois qui monopolisent la « gauche » hongroise : lui sait comment pense et réagit le hongrois moyen. Et c’est aussi probablement la source principale du bon sens avec lequel il évite à la fois le piège libéral et l’impasse d’un ethnicisme rabique (à l’ukrainienne) – l’un et l’autre plutôt faits pour séduire intellectuels, artistes et oisifs que pour rassurer le père de famille qui bosse. Rappelons au passage que V. Orbàn, à la différence de la grande majorité des leaders de l’UE, est un père de famille nombreuse et un chrétien (calviniste) pratiquant.

Cependant, comme tout grand homme d’Etat, V. Orbán est avant tout un réaliste, d’un pragmatisme allant souvent (de l’aveu même de son très enthousiaste biographe polonais I. Janke) jusqu’au cynisme. Il veut le bien de son pays à tout prix, et croit sincèrement (et pour l’instant, à mon humble avis, à raison) qu’il est le plus à même de veiller sur sa destinée. Ainsi, face à la crise migratoire, il n’a pas hésité à « dépasser sur sa droite » son principal concurrent politique, le Jobbik de G. Vona (pourtant plus proche historiquement de thèses ethnicistes que le FIDESZ de V. Orbán), entre autres parce qu’il savait que les réactions hystériquement magyarophobes de toutes les pseudo-gauches immigrationnistes de l’UE ne feraient que renforcer autour de sa personne la cohésion politique du peuple hongrois. Pourtant, il aurait aussi pu s’économiser ce bras de fer dangereux, en créant comme la Serbie un corridor permettant à l’Allemagne de recevoir à travers la Hongrie tous ces « réfugiés » qu’elle appelle de ses vœux par la bouche d’A. Merkel (et qui seraient moins de 1% à vouloir s’attarder dans des pays post-communistes à aides sociales anémiques comme la Hongrie). Je pense qu’il a choisi l’affrontement parce qu’il savait que de toute façon les dictateurs en herbe qui gouvernent actuellement l’UE ne comptent pas tolérer à long terme son souverainisme (pourtant modéré), donc il préfère les affronter le plus vite possible et sur un terrain qui l’avantage (étant donné que le refus de l’immigration de masse unit toute l’Europe post-communiste autour du projet Visegrad, plus efficacement que ne l’aurait fait, par exemple, une campagne sur l’inégalité salariale Est-Ouest au sein de l’UE). V. Orbán, c’est aussi ça : un modéré, un prudent, qui sait se garder de toute impulsivité (il préfère passer ses nerfs sur le terrain de foot de son village natal), mais qui, une fois le combat reconnu nécessaire et/ou inévitable, ne montrera pas son dos à l’ennemi. Encore une fois : avis aux amateurs !

R/ La popularité de Viktor Orbán est une réalité dans les classes populaires. Quelles sont les mesures qui lui apporte ce soutien ?

En renationalisant une partie des infrastructures, le FIDESZ a mis le prolétariat hongrois à l’abri des pratiques vampiriques de beaucoup de grands groupes occidentaux (de l’énergie, de la banque, des tickets-repas…), qui se servent sans vergogne sur le portefeuille étriqué des européens de l’Est, et chantent les vertus de l’économie de marché tout en exploitant des marchés captifs, en situation de monopole. Si vous voulez comprendre pourquoi Sarkozy le déteste tellement, posez la question à Sodexho.

En outre, l’appui du FIDESZ aux familles est une réalité : aides directes, prêts étudiants effacés à demi à compter du deuxième enfant, puis totalement à compter du troisième (V. Orbán, à titre personnel, en a cinq), garanties d’Etat pour faciliter l’obtention d’un crédit immobilier. Enfin, le FIDESZ a eu une politique d’infrastructure ambitieuse dont les bénéficiaires les plus reconnaissants sont naturellement aussi les petits employés qui, ne disposant pas de l’hélicoptère personnel des sponsors de la « gauche » hongroise, sont, à défaut de « multiculturalité » et de « droits LGBT », assez content d’avoir des autoroutes, des trains et des trams pour arriver à bon port. Même remarque s’agissant de l’interdiction des OGM, fort appréciée du consommateur à petit budget, qui n’a pas forcément de quoi « acheter bio » (avec les fameux labels UE et leur impact habituel sur le prix), mais sait qu’en achetant les produits labelisés « produit hongrois », il court moins de risque de laisser Big Ag (les multinationales de l’agro-alimentaire) l’empoisonner en douce. C’est ce type d’écologie sociale qu’un agent d’influence atlantiste comme D. Cohn-Bendit a été spécialement chargé d’éliminer en France, en s’assurant que les Verts deviennent, comme en Allemagne, une secte de féministes hystériques et un collectif de défense des sans-papiers où l’on parle de tout, sauf d’écologie.

R/ Souvent oubliée, la question des minorités hongroises hors des frontières du pays est-elle encore un sujet sensible ? Comment le gouvernement Orbán gère cet héritage historique ?

Précisons d’abord que c’est une question qui n’a été « oubliée » (plus exactement : occultée) qu’en Occident (Occident qui sait bien qu’il a lui-même créé ce sac de nœuds en trahissant ses propres principes wilsoniens au nom d’une Realpolitik qui ne se souciait alors que de punir la Hongrie, et de récompenser ses alliés locaux dans l’expédition punitive chargée de mettre fin au projet soviétique, qui s’était entre temps avéré être mauvais payeur…). A l’Est de Vienne, il plus difficile « d’oublier » que les hongrois de Transylvanie (région occidentale de la Roumanie), notamment, constituent la plus grande minorité ethnique de l’UE (plus d’un million de magyarophones sur le territoire roumain).

Cela dit, il faut aussi dédramatiser : la minorité la plus importante numériquement et territorialement est, comme je viens de le dire, celle de Roumanie, laquelle, historiquement, a aussi toujours été la mieux traitée (même pendant la phase la plus chauvine du national-communisme roumain, les hongrois de Roumanie conservaient pour la plupart la possibilité d’être éduqués en hongrois de la maternelle à l’université – ce dont nous savons bien qu’aucune minorité ethnique n’a jamais pu rêver en France, « pays des droits de l’homme »). La situation la plus grave, symétriquement, est celle des hongrois d’Ukraine, lesquels, comme toutes les autres communautés ethniques non-ukrainiennes du pays, viennent d’être privés de tous leurs droits culturels par la junte néo-bandériste (au pouvoir à Kiev avec… l’appui de ce même Occident qui pleure de si chaudes larmes sur les féministes barcelonaises malmenées par la Guardia Civil). Mais, du point de vue numérique, cette minorité hongroise est aussi l’une des plus petites.

Très intelligemment, le FIDESZ, dès son arrivée au pouvoir en 2010, a frappé un grand coup sur la table régionale en créant une procédure d’octroi accéléré de la citoyenneté hongroise aux citoyens de culture hongroise des états voisins (profitant de l’occasion : en Roumanie – pays de l’UE dont on pouvait craindre une opposition massive, le président Băsescu était justement lui-même, aux ordres de l’OTAN, en train de distribuer des passeports roumains aux roumains ethniques de République Moldave). Cette décision historique (et sa conséquence prévisible, qui est qu’aujourd’hui la plupart des hongrois des pays voisins ont la double citoyenneté) ont certes un coût potentiel (un risque) élevé : en cas de tensions ethniques dans un pays voisin, la Hongrie ne serait plus seulement moralement, mais aussi juridiquement obligée de prêter assistance à ses ressortissants domiciliés au-delà de ses frontières, ce qui permettrait notamment aux réseaux CIA d’organiser un nouveau Donbass (par exemple en Transylvanie orientale). En outre, les critiques hostiles au FIDESZ mettront bien entendu l’accent sur les motivations électorales dont il est, en effet, difficile d’imaginer qu’elles n’ont pas joué un rôle dans la prise de cette décision (auquel cas l’opération a d’ailleurs réussi : la grande majorité de ces « nouveaux citoyens » domiciliés hors de Hongrie votent pour le FIDESZ encore plus massivement que les hongrois de Hongrie). Mais une autre conséquence, potentiellement plus positive, est en train d’affleurer à la surface de l’histoire : en se posant définitivement comme le défenseur de l’unité ethnique du peuple hongrois (à la différence de la « ga

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