par Richard Labévière.
En cette période de crise, on revient souvent à des questions de communication, d’une communication souvent mal ficelée. Évidemment, lorsqu’on use et abuse de la rhétorique guerrière, il ne faut pas s’étonner de provoquer de grandes peurs et paniques irrationnelles – typiques des temps de guerre. Et c’est bien ce qui se passe actuellement à propos de notre porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle et de son Groupe aéronaval (GAN), dont un grand nombre de marins sont atteints par le Covid-19. Celui-ci s’est précédemment attaqué à des médecins, des policiers, des députés, des chauffeurs routiers, des caissières de supermarché, des maires, au prince Albert de Monaco, au Premier ministre britannique Boris Johnson… Certains militaires des armées de Terre et de l’Air aussi ont été contaminés. On ne voit pas pourquoi les marins feraient exception ?
Donc, nous ayant répété qu’on était en guerre, il n’est pas étonnant de voir les médias français s’alarmer lorsque le fleuron de notre Marine nationale – bâtiment à propulsion nucléaire et porteur de notre dissuasion nucléaire – est mis subitement à l’arrêt. Cela dit, il y a l’art et la manière. Exemple délirant, La Provence du jeudi 16 avril titre sur trois colonnes à la une : « Panique à bord du Charles-de-Gaulle ». « C’est très exagéré », écrivait Mark Twain au New York Times, qui avait annoncé sa mort par erreur ! Vérification faite : aucune panique à bord du Charles, mais des mesures prises dans l’urgence et deux commissions d’enquête lancées : l’une médicale, l’autre administrative.
Les faits
Avant de proférer tel ou tel jugement ou anathème, il vaut mieux toujours revenir aux faits. C’est ce qu’a fait très judicieusement Le Télégramme de Brest dans son édition du 18 avril dernier en interrogeant l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de notre Marine nationale. Extraits :
1 081 marins sont positifs au Covid-19. Dès le 6 avril, des familles de marins brestois du Charles de Gaulle avaient manifesté leur inquiétude. Que leur dites-vous ?
Amiral Prazuck : Je comprends leur inquiétude, comme celle de tous les Français touchés. Je leur dis que, dès le 7 avril, lorsqu’il apparaît que la situation évolue très rapidement à bord du porte-avions, la décision est prise quasi instantanément de le faire rentrer. Des rumeurs ont fait état de débats internes. Ce n’est pas du tout le cas. De surcroît, nous envoyons à bord des médecins pour tester les 60 cas les plus remarqués par le service médical. 50 se révèlent alors positifs.
Combien la Marine nationale déplore-t-elle de contaminés au total ?
Amiral Prazuck : 1 226 sont soit positifs, soit considérés comme tel sur décision médicale. Vous soulevez là un point important : oui, le Charles de Gaulle est un cas à part. Il était accompagné d’autres bateaux, qui ont aussi fait escale à Brest, sans quasiment aucune conséquence. La frégate La Motte-Piquet ne compte aucun contaminé. Sur le pétrolier ravitailleur La Somme, nous avons isolé 60 marins parce qu’ils auraient pu croiser des contaminés. Ils sont isolés au Centre d’instruction navale de Brest pour encore quelques jours. À Toulon, sur la frégate Chevalier Paul, qui a suivi exactement le même parcours que le porte-avions, une vingtaine de marins sont positifs, soit 10 % de l’équipage. C’est beaucoup, mais cela n’a rien à voir avec les plus de 50 % contaminés du Charles de Gaulle.
Il y a donc un sujet Charles de Gaulle…
Amiral Prazuck : absolument. C’est probablement lié à la densité de population à bord, au fait qu’environ mille personnes vivent dans des chambres de 10. Cette promiscuité se retrouve dans le service, qui exige en permanence des mouvements de personnels sur le pont, entre la passerelle et les ponts inférieurs.
Comprenez-vous que la mise hors des combats en 10 jours du fleuron de notre Marine inquiète sur l’état de notre Défense ?
Amiral Prazuck : Moi aussi, je suis inquiet ! Comme je pense que le pays l’est en constatant la pression que cette crise inédite exerce sur tous les secteurs de notre société. La Défense n’y échappe pas.
Que s’est-il passé durant l’escale de Brest ?
Le Charles de Gaulle accoste à Brest le 15 mars dernier, le dimanche du premier tour des élections municipales. À ce moment-là, le Finistère est toujours l’un des départements de France les moins touchés avec seulement une trentaine de cas positifs. Le GAN doit être ravitaillé et les membres d’équipage – dont le tiers vit dans le Finistère – peuvent souffler un peu. Le Pacha délivre les consignes classiques et lorsque les permissionnaires regagnent le bord, l’éventualité d’une infection est bien prise en compte. Un protocole est adopté pour 14 jours : la suppression des rassemblements du matin, la fermeture de carrés. Chaque marin remplit un questionnaire sur ses activités du week-end. 350 profils à risques sont identifiés et suivis médicalement deux fois par jour. Le 22 mars, un doute pèse sur un marin, mais son scanner des poumons ne révèle rien. À la fin des 14 jours, les autorités assouplissent donc ce dispositif qui pèse sur l’efficacité du service.
À l’évidence, ces mesures n’ont pas suffi. Le virage se propage non seulement à bord du porte-avions, mais aussi sur les autres bâtiments du GAN. Avec la propagation du Covid-19 commencent à circuler de fausses rumeurs, relayées par une presse trop pressée, qui ne vérifie pas, ni ne recoupe ses affirmations. Exemple : en quittant Brest pour la mer du Nord, le Pacha du Charles aurait demandé l’annulation de la mission, ce que la chaîne de commandement aurait refusé. Faux, archifaux !
Le 7 avril dernier, lorsque l’ampleur de la contagion est prise en compte, le Pacha rend immédiatement compte et la décision d’interrompre la mission est immédiate ! Le Charles regagne alors Toulon, où s’engage son bionettoyage qui devrait être achevé d’ici la fin du mois d’avril. Et le journaliste du Télégramme de Brest conclut son entretien-vérité par la question essentielle qu’aucun autre média, semble-t-il, n’a posée : pour assurer la résilience du GAN, faudra-t-il un deuxième porte-avions ? Sans surprise et très logiquement le chef d’état-major de la Marine nationale botte en touche : « à chaque jour suffit sa peine ! ». En effet, la réponse à cette interrogation stratégique de fond revient au pouvoir politique : au président de la République, à la ministre de la Défense et à leurs conseillers.
Mais la question reste d’autant plus pertinente que l’avenir du Charles (le bâtiment arrivera en fin de mission à l’horizon 2038), pour être envisagé dans de bonnes conditions, dépend d’une décision « politique » devant être arrêtée précisément cette année 2020. En effet, la construction d’un porte-avions nucléaire se gère sur une quinzaine d’années. Même l’excellente Nathalie Guibert du Monde s’est limitée à des éléments chronologiques improbables, sans aborder cette question pourtant cruciale pour notre défense. Pour de plus amples détails, nous nous permettons de renvoyer au chapitre trois – « Deux porte-avions, sinon rien ! » – de notre dernier ouvrage : Reconquérir par la mer – La France face à la nouvelle géopolitique des océans[1].
Media-par-terre
Le traitement le plus surréaliste de la contagion de nos marins provient de Mediapart, ce qui n’est guère une surprise pour un organe qui s’est spécialisé dans « le journalisme de délation ». Fidèle à sa méthode – trotskisme militant ébouriffé -, le blog se doit de traiter l’information, chaque information – même la plus banale – comme une affaire d’État qu’il faut monter en mayonnaise à coup de prétendus scoops et témoignages exclusifs. À la manière de BFM-TV, qui s’auto-cite quinze fois par minute, l’article – que Mediapart consacre au Charles -, cite Mediapart une dizaine de fois, pas moins !
Ainsi, Mediapart a pu interviewer – en exclusivité s’il vous plaît ! – le jardinier du secrétaire de l’une des belles-sœurs de l’un des marins du Charles-de-Gaulle. Mediapart a aussi eu accès à des documents tous aussi exclusifs – qu’on peut, néanmoins librement consulter sur le site du ministère des Armées. Et ainsi de suite, sur la ritournelle du « on nous cache tout, on ne nous dit rien ! ». Époustouflant, désopilant, proprement inutile ! Les mots y manquent…
Là encore, pour de plus amples explications concernant ce drôle de blog, nous nous permettons encore de renvoyer à notre article « L’idéologie de Mediapart », publié le 17 août 2014 par prochetmoyen-orient.ch. Patron du blog, Edwy Plenel – qui avait déjà mis par terre le quotidien Le Monde, avec l’aide de ses complices Alain Minc et Jean-Marie Colombani – n’en continue pas moins à donner des leçons de morale et de méthode à l’ensemble de la profession, à redresser tous les torts en matière de pénurie de masques, de tolérance religieuse, d’aide à son ami Tarek Ramadan et tout ce qui est susceptible d’augmenter l’audience de son pauvre blog.
En matière de défense et de sécurité de notre pays, l’information mérite mieux, beaucoup mieux que ce media-par-terre, animé par une double volonté éditoriale : faire monter l’audience pour la publicité et d’autres facilités commerciales et fiscales ; régler des comptes idéologiques et personnels à l’encontre de toutes personnes ayant l’insolence de ne pas louer l’infaillibilité planétaire du sieur Plenel.
En attendant que les masques de la médiasphère finissent par tomber afin de mieux différencier les charlatans avec les nombreux journalistes qui continuent à faire courageusement leur métier, nous souhaitons un prompt rétablissement à tous nos marins, médecins, personnels soignants, gendarmes, policiers et tous autres héros qui assurent le fonctionnement, et la reprise du fonctionnement de la vie économique, sociale et culturelle de notre pays.
Nous souhaitons aussi bonne mer et bonnes missions aux équipages des porte-hélicoptères amphibies Mistral, Dixmude et Tonnerre qui participent aussi à la mobilisation nationale pour lutter contre la pandémie.
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[1] Richard Labévière : Reconquérir par la mer – La France face à la nouvelle géopolitique des océans. Editions Temporis, février 2020. Voir également prochetmoyen-orient.ch, 3 février 2020.
source : http://prochetmoyen-orient.ch
Source: Lire l'article complet de Réseau International