Pendant que la France investit dans l’IRCAM, fait la promotion du rap et maintient l’enseignement de la musique en déshérence, le Venezuela a développé depuis 40 ans un apprentissage original de la musique classique pour les classes populaires remarqué dans le monde entier. Culturel et social, cet apprentissage collectif commence très tôt et veut permettre aux enfants d’intégrer très vite un orchestre pour pouvoir se produire en public.
La musique est mise au service du plus faible, du plus démuni et lui offre les moyens d’atteindre les plus belles ambitions et de concrétiser de multiples projets de vie. L’orchestre devient un moyen d’éducation d’une grande efficacité. Depuis sa création, les pédagogies se sont affinées et adaptées à tous les âges, de la petite enfance aux jeunes adultes pour aboutir à des réalisations artistiques éblouissantes, au plus haut niveau qualitatif. Évidemment très exigeant, ce programme demande d’y consacrer 10 heures minimum par semaine.
Le projet est né dans un garage de Caracas en 1975, conduit par l’économiste et pianiste José Antonio Abreu. Il est sous la tutelle du ministère des Services sociaux et non celui de la Culture. Le financement est entièrement pris en charge par le gouvernement. Pays de 29 millions d’habitants, le Venezuela veut former 1 million d’enfants par El Sistema en 2020. La musique classique n’est plus réservée à une élite, elle devient une activité populaire à l’instar des concours de beauté ou du football.
Le programme a obtenu le soutien de grands chefs d’orchestres et artistes lyriques (Claudio Abbado, Simon Rattle, Daniel Barenboim, John Williams, Placido Domingo, Montserrat Caballé, Teresa Berganza, etc.). Il a des détracteurs comme le musicologue britannique Geoffrey Baker (El Sistema : Orchestrating Venezuela’s Youth, aux Presses universitaires d’Oxford, 2014). Mais l’audience du projet à l’international, le soutien de grands musiciens de toutes nationalités ainsi que d’instances internationales témoignent de la pertinence et de l’efficacité de la méthode.
« Dès qu’un enfant apprend à jouer d’un instrument, il n’est plus pauvre, il évolue et se dirige vers un niveau professionnel, et deviendra plus tard un véritable citoyen. Il va sans dire que la musique est la meilleure prévention contre tout ce qui peut dégrader la vie d’un enfant. » (José Antonio Abreu, fondateur d’El Sistema, Ted Prize en février 2009)
Pour apprécier l’ampleur du programme engagé, on peut visionner les deux vidéos qui suivent.
Tout d’abord un excellent reportage qui remonte à 2008, mais reste d’actualité et décrit un idéal pour beaucoup de musiciens.
On est très loin de ce qui se fait en France avec des tentatives ponctuelles dans les banlieues où certains musiciens français se donnent bonne conscience. On remarque qu’il s’agit de grande musique européenne et non de rap ou de « musique contemporaine ». Il s’agit bien de musique vivante, c’est-à-dire d’instrument naturels et non de musique amplifiée ou artificielle. La musique est un outil d’entretien des liens collectifs. La consommation individuelle de musique morte (enregistrée) corrode ces liens collectifs. Les musiciens apprécieront le bon équilibre des différentes disciplines instrumentales (notamment les instruments si rares en France : bassons, hautbois, cors, contrebasses à cordes…).
La musique rend compte de l’état d’une société. Ce programme mis en place au Venezuela peut être rapproché de l’enseignement populaire de la musique mis au point par Wilhem au XIXe siècle en France. C’était l’époque de la mise au point de l’orchestre de plein air par l’armée française qui permit le formidable développement des kiosques à musique, l’époque où Paris devenait la « ville lumière » et la musique française, et européenne, faisait l’admiration du monde entier. Apprendre un instrument de musique impose un grand engagement personnel. Mettre en œuvre un programme pour l’ensemble d’une population traduit un niveau d’exigence politique que l’on peine à trouver dans la vieille Europe et particulièrement en France, mais il existe un projet d’adaptation d’El Sistema : http://www.elsistema-france.org/
Silvestrik (animateur de l’émission Front musical sur ERFM)
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation