Il existe une grave crise sanitaire qui doit être dûment résolue. Et c’est une priorité absolue.
Mais il y a une autre dimension importante qui doit être prise en compte.
Des millions de personnes ont perdu leur emploi et les économies qu’elles avaient faites tout au long de leur vie. Dans les pays en développement, la pauvreté et le désespoir règnent.
Alors que le verrouillage est présenté auprès de la population comme étant le seul moyen de résoudre une crise mondiale de santé publique, ses conséquences économiques et sociales dévastatrices sont ignorées au passage.
La vérité tacite est que le nouveau coronavirus fournit un prétexte aux puissants intérêts financiers et aux politiciens corrompus pour précipiter le monde entier dans une spirale de chômage de masse, de faillite et d’extrême pauvreté.
C’est là le portrait réel de ce qui se passe. La pauvreté est mondiale. Alors que des famines éclatent dans les pays du Tiers-Monde, plus près de chez nous, dans le pays le plus riche du monde,
« Des millions d’Américains désespérés attendent dans de longues files d’attente pour recevoir l’aumône »
« Des files d’attente de plusieurs kilomètres se sont formées dans les banques alimentaires et les bureaux de chômage à travers les États-Unis au cours de la semaine dernière ».
De longues files d’attente ont continué à se former devant les banques alimentaires et les bureaux de chômage dans des dizaines de villes au cours du week-end, alors que la pandémie de coronavirus touche durement les familles, laissant beaucoup d’entre elles dans l’incertitude quant à la date de leur prochain chèque de paie.
Sur la photo : des centaines de personnes attendent de recevoir des repas à la Bowery Mission de New York, lundi
En Inde :
« La nourriture disparaît, …. dans les bidonvilles, trop effrayés pour sortir, pour rentrer chez eux à pied ou piégés dans les rues de répression,
En Inde, il y a eu 106 décès dus à des coronavirus à ce jour, pour mettre les choses en perspective 3 000 enfants indiens meurent de faim chaque jour ».
De Mumbai à New York. C’est la « Mondialisation de la pauvreté ».
La production est au point mort.
La famine en Asie et en Afrique. La famine aux États-Unis.
Tous les pays sont désormais des pays du Tiers-Monde. C’est la « Tiers-Monde » des pays dits « développés » à hauts revenus.
La faim se développe à Mumbai : les travailleurs pauvres font maintenant la queue pour obtenir de la nourriture gratuite
Trois semaines après le verrouillage national, les organisations et les personnes qui fournissent des repas gratuits à Mumbai sont unanimes : la faim dans la capitale financière a fortement augmenté et continue de croître.
Et que se passe-t-il en Italie ?
Les gens sont à court de nourriture. Des rapports confirment que la mafia, plutôt que le gouvernement, « gagne l’appui des populations en distribuant gratuitement de la nourriture aux familles pauvres en quarantaine qui n’ont plus d’argent ». (The Guardian)
Cette crise combine la peur et la panique concernant la COVID-19 avec un processus sophistiqué de manipulation économique.
Examinons d’abord les impacts concernant les pays en développement.
Les pays en développement. La « médecine économique » du FMI et la mondialisation de la pauvreté
La crise du coronavirus fait-elle partie d’un programme macro-économique plus large ?
Tout d’abord, un peu d’histoire.
J’ai passé plus de dix ans à effectuer des recherches sur le terrain concernant les impacts des réformes économiques du FMI et de la Banque mondiale en Afrique, en Asie, en Amérique latine, en Europe de l’Est et dans les Balkans.
Depuis le début des années 1980, une « médecine économique » a été imposée aux pays en développement endettés dans le cadre de ce que l’on appelait le « programme d’ajustement structurel » (PAS).
De 1992 à 1995, j’ai entrepris des études sur le terrain en Inde, au Bangladesh et au Vietnam et je suis retourné en Amérique latine pour terminer mon étude sur le Brésil. Dans tous les pays que j’ai visités, y compris le Kenya, le Nigeria, l’Égypte, le Maroc et les Philippines, j’ai observé le même schéma de manipulation économique et d’ingérence politique de la part des institutions basées à Washington. En Inde, conséquence directe des réformes du FMI, des millions de personnes ont été poussées à la famine. Au Vietnam – qui compte parmi les économies productrices de riz les plus prospères du monde – des famines ont éclaté dans le pays, conséquence directe de la levée du contrôle des prix et de la déréglementation du marché des céréales. (Préface de la deuxième édition de la Mondialisation de la pauvreté, 2003)
L’hégémonie du dollar a été imposée. Avec l’augmentation de la dette libellée en dollars, l’ensemble du système monétaire national a finalement été « dollarisé » dans la plupart des pays en développement.
Des mesures d’austérité massives ont conduit à l’effondrement des salaires réels. Des programmes de privatisation de grande envergure ont été imposés. Ces réformes économiques meurtrières – appliquées au nom des créanciers – ont invariablement provoqué l’effondrement économique, la pauvreté et le chômage de masse.
Au Nigeria, à partir des années 1980, l’ensemble du système de santé publique a été démantelé. Les hôpitaux publics ont été poussés à la faillite. Les médecins avec lesquels je me suis entretenu ont décrit le célèbre et cruel programme d’ajustement structurel (PAS) avec une touche d’humour :
“We’ve been sapped by the SAP” (« nous avons été sapés par le PAS »), disaient-ils, nos hôpitaux ont littéralement été détruits grâce au FMI-Banque mondiale.
De l’ajustement structurel à l’ajustement mondial
Aujourd’hui, le mécanisme de déclenchement de la pauvreté et de l’effondrement économique est fondamentalement différent et de plus en plus sophistiqué.
La crise économique actuelle de 2020 (qui s’inscrit dans la logique de la pandémie COVID-19) est sans précédent dans l’histoire du monde.
Le FMI et la Banque mondiale n’ont pas besoin de négocier un prêt d’ajustement structurel avec les gouvernements nationaux.
Ce qui s’est produit dans le cadre de la crise COVID-19 est un « ajustement mondial » dans la structure de l’économie mondiale. D’un seul coup, cet ajustement mondial (AM) déclenche un processus mondial de faillite, de chômage, de pauvreté et de désespoir total.
Pour en savoir plus : Un sauvetage de la population mondiale pour le krach financier à venir (en anglais)
Comment est-il mise en œuvre ? Le verrouillage est présenté aux gouvernements nationaux comme la seule solution pour résoudre la pandémie COVID-19. Il devient un consensus politique, indépendamment des conséquences économiques et sociales dévastatrices.
Les gouvernements nationaux sont contraints de s’y conformer.
La fermeture partielle ou complète d’une économie nationale est déclenchée par l’application des « directives de l’OMS » relatives au verrouillage, ainsi qu’aux restrictions en matière de commerce, d’immigration et de transport, etc.
De puissantes institutions financières et des groupes de pression comme Wall Street, Big Pharma, le Forum économique mondial (WEF) et la Fondation Bill et Melinda Gates ont participé à l’élaboration des actions de l’OMS concernant la pandémie COVID-19.
Le verrouillage de la circulation et la réduction des échanges commerciaux et des voyages aériens ont préparé le terrain. Cette fermeture des économies nationales a été entreprise dans le monde entier à partir du mois de mars, touchant simultanément un grand nombre de pays dans toutes les grandes régions du monde. C’est un événement sans précédent dans l’histoire du monde.
Cette opération de fermeture affecte les lignes de production et d’approvisionnement en biens et services, les activités d’investissement, les exportations et les importations, le commerce de gros et de détail, les dépenses de consommation, la fermeture d’écoles, de collèges et d’universités, d’instituts de recherche, etc.
À son tour, elle entraîne presque immédiatement un chômage de masse, des faillites de petites et moyennes entreprises, un effondrement du pouvoir d’achat, une pauvreté et une famine généralisées.
Quel est l’objectif sous-jacent de cette restructuration de l’économie mondiale ? Quelles en sont les conséquences? Cui Bono? (« A qui profite-t-il ? »)
- Une importante concentration de richesses,
- la déstabilisation des petites et moyennes entreprises dans tous les grands secteurs de l’activité économique, y compris l’économie des services, l’agriculture et l’industrie manufacturière.
- la dérogation aux droits des travailleurs. Elle déstabilise le marchés du travail.
- Elle comprime les salaires (et les coûts du travail) dans les pays dits « développés » à revenu élevé ainsi que dans les pays en développement appauvris.
Il va sans dire que cette opération d’ajustement mondial (AM) est bien plus préjudiciable que le programme d’ajustement structurel (PAS) du FMI et de la Banque mondiale imposés aux pays.
C’est du néolibéralisme au énième degré.
D’un seul coup (au cours des derniers mois), la crise COVID-19 a contribué à appauvrir une grande partie de la population mondiale.
Et devinez qui vient à la rescousse ? Le FMI et la Banque mondiale :
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a reconnu avec désinvolture que l’économie mondiale est au point mort, sans s’attaquer aux causes de l’effondrement économique.
« L’OMS est là pour protéger la santé des populations, le FMI est là pour protéger la santé de l’économie mondiale », déclare Mme Georgieva.
Comment compte-t-elle « protéger l’économie mondiale » ?
Au détriment de l’économie nationale ?
Quelle est sa « solution magique » ?
« Nous comptons sur une capacité de prêt globale de 1 000 milliards de dollars.« (FMI M-D Georgieva, conférence de presse début mars)
À première vue, cela semble « généreux », beaucoup d’argent. Mais en fin de compte, c’est ce qu’on pourrait appeler de l’ »argent fictif », ce qui signifie :
« Nous vous prêterons l’argent et avec l’argent que nous vous prêterons, vous nous rembourserez » (paraphrase).
Conférence de presse conjointe sur la Covid-19 par le directeur général du FMI et le président du groupe de la Banque mondiale
Washington, D.C.
4 mars 2020
L’objectif ultime est de faire monter en flèche la dette extérieure (libellée en dollars).
Le FMI est explicite. Dans l’un de ses guichets de prêt, le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (Catastrophe Containment and Relief Trust), qui s’applique aux pandémies, est généreux,
« accorde des subventions pour l’allègement de la dette à nos membres les plus pauvres et les plus vulnérables ».
Déclaration absurde : il est là pour renflouer les caisses des créanciers, l’argent est affecté au service de la dette.
« Pour les pays à faible revenu et pour les pays émergents à revenu intermédiaire, nous avons … jusqu’à 50 milliards de dollars qui ne nécessitent pas un programme complet du FMI. »
Aucune condition sur la façon dont vous dépensez l’argent. Mais cet argent augmente le stock de la dette et nécessite un remboursement.
Les pays sont déjà dans une camisole de force. Et l’objectif est qu’ils se conforment aux exigences des créanciers.
C’est la solution néolibérale appliquée au niveau mondial : Pas de véritable reprise économique, plus de pauvreté et de chômage dans le monde. La « solution » devient la « cause ». Elle initie un nouveau processus d’endettement. Elle contribue à une escalade de la dette.
Plus vous prêtez, plus vous poussez les pays en développement à se conformer aux règles politiques. Et c’est finalement l’objectif de l’empire américain en faillite.
La vérité non dite est que ce trillion de dollars ++ des institutions de Bretton Woods est destiné à faire augmenter la dette extérieure.
Lors de récents développements, les ministres des finances du G20 ont décidé de « mettre en attente » le remboursement des obligations de service de la dette des pays les plus pauvres du monde.
L’annulation de la dette n’a pas été envisagée. Bien au contraire. La stratégie consiste à accumuler la dette.
Il est important que les gouvernements des pays en développement prennent fermement position contre l’ »opération de sauvetage » du FMI et de la Banque mondiale.
La crise mondiale de la dette dans les pays développés
Une crise fiscale sans précédent se déroule à tous les niveaux de gouvernement. Avec des niveaux de chômage élevés, les recettes fiscales entrantes dans les pays développés sont presque au point mort. Au cours des deux derniers mois, les gouvernements nationaux se sont de plus en plus endettés.
À leur tour, les gouvernements occidentaux ainsi que les partis politiques sont de plus en plus sous le contrôle des créanciers, qui en fin de compte mènent la barque.
Tous les niveaux de gouvernement ont été précipités dans un étranglement de la dette. La dette ne peut être remboursée. Aux États-Unis, le déficit fédéral « a augmenté de 26 % pour atteindre 984 milliards de dollars pour l’exercice 2019, soit le plus haut niveau en 7 ans ». Et ce n’est que le début.
Dans les pays occidentaux, une expansion colossale de la dette publique a eu lieu. Elle est utilisée pour financer les « sauvetages », les « aides » aux entreprises ainsi que les « filets de sécurité sociale » aux chômeurs.
La logique des plans de sauvetage est à certains égards similaire à celle de la crise économique de 2008, mais à une échelle beaucoup plus grande. Ironiquement, en 2008, les banques américaines étaient à la fois les créanciers du gouvernement fédéral américain et les heureux bénéficiaires : l’opération de sauvetage a été financée par les banques dans le but de « renflouer les banques ». Cela semble contradictoire ?
La privatisation de l’État
Cette crise finira par précipiter la privatisation de l’État. De plus en plus, les gouvernements nationaux seront sous la coupe du Big Money.
Criblé par l’accumulation des dettes, ce qui est en jeu est l’éventuelle privatisation de facto de toute la structure de l’État, dans différents pays, à tous les niveaux de gouvernement, sous la surveillance de puissants intérêts financiers. La fiction de « gouvernements souverains » servant les intérêts des électeurs sera néanmoins maintenue.
Le premier niveau de gouvernement à privatiser sera les municipalités (dont beaucoup sont déjà partiellement ou totalement privatisées, comme Détroit en 2013). Les milliardaires américains seront incités à racheter une ville entière.
Plusieurs grandes villes sont déjà au bord de la faillite. (Ce n’est pas nouveau).
La ville de Vancouver est-elle prête à être privatisée ? « Le maire de Vancouver a déjà indiqué qu’il craignait la faillite de sa ville. » (Le Devoir, 15 avril 2020)
Dans les grandes villes américaines, les gens sont tout simplement incapables de payer leurs impôts : La dette de la ville de New York pour l’année fiscale 2019 s’élève à 91,56 milliards de dollars (FY 2019), soit une augmentation de 132% depuis l’année fiscale 2000. En retour, les dettes personnelles ont explosé dans toute l’Amérique.
« Les ménages américains ont collectivement environ 1 000 milliards de dollars de dettes de cartes de crédit. » Aucune mesure n’est prise aux États-Unis pour réduire les taux d’intérêt sur les dettes de cartes de crédit.
Le nouvel ordre mondial ?
Le verrouillage appauvrit à la fois les pays développés et les pays en développement et détruit littéralement les économies nationales.
Il déstabilise l’ensemble du paysage économique. Il sape les institutions sociales, notamment les écoles et les universités. Il conduit les petites et moyennes entreprises à la faillite.
Quel genre de monde nous attend ?
Un « nouvel ordre mondial » diabolique en devenir, comme le suggère Henry Kissinger? (Avis de la WSJ, 3 avril 2020) :
« La pandémie de coronavirus va changer à jamais l’ordre mondial ».
Rappelez-vous la déclaration historique de Kissinger en 1974 : « Le dépeuplement devrait être la priorité absolue de la politique étrangère américaine à l’égard du Tiers-Monde ». (Mémorandum du Conseil national de sécurité de 1974)
Les implications politiques sont considérables.
Quel type de gouvernement aurons-nous au lendemain de la crise ?
Remarques de conclusion
Il y a beaucoup de malentendus concernant la nature de cette crise.
Plusieurs intellectuels progressistes disent aujourd’hui que cette crise constitue une défaite du néolibéralisme. « Elle ouvre un nouveau départ ».
Certains y voient un « tournant potentiel », qui ouvre une opportunité de « construire le socialisme » ou de « restaurer la social-démocratie » dans le sillage du verrouillage.
Les preuves confirment amplement que le néolibéralisme n’a pas été vaincu. Bien au contraire.
Le capitalisme mondial a consolidé son emprise. La peur et la panique l’emportent. L’État est en train d’être privatisé. La tendance est aux formes de gouvernement autoritaires.
Ce sont les problèmes auxquels nous devons faire face.
L’occasion historique de confronter les structures de pouvoir du capitalisme mondial, y compris l’appareil militaire des États-Unis et de l’OTAN, reste à être établie fermement à la suite du verrouillage.
Michel Chossudovsky
Article original en anglais :
Towards A New World Order? The Global Debt Crisis and the Privatization of the State
Traduit par Maya pour Mondialisation.ca
La mondialisation de la pauvreté et le nouvel ordre mondial
La première édition de La mondialisation de la pauvreté, de Michel Chossudovsky, publiée en 1998 et traduite en 13 langues, a eu un succès retentissant à travers le monde, permettant à des centaines de milliers de gens de comprendre l’ampleur des conséquences de la mondialisation marchande sur les individus et les sociétés, au Nord comme au Sud. Son auteur propose aujourd’hui une seconde édition mise à jour, augmentée de quelque 150 pages et enrichie de recherches et d’analyses additionnelles, ce qui en fait un ouvrage de brûlante actualité.
Michel Chossudovsky fait le point sur la situation économique et sociale, dégradée jusqu’à l’effondrement par les politiques des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, dans les pays africains, les pays d’Amérique latine, les pays du Sud-Est asiatique ainsi que dans l’ex-Union soviétique et les Balkans. Il n’oublie pas d’actualiser son analyse de la crise financière en Occident et de la guerre économique qui frappe ses sociétés.
L’auteur inclut en outre des chapitres entièrement nouveaux sur la manipulation des données réelles de la pauvreté mondiale, sur les conséquences des politiques de la Banque mondiale sur les droits des femmes, ainsi que sur la ruine de l’économie paysanne en Éthiopie, la destruction économique de l’Albanie et la recolonisation de la Corée.
En collaboration avec les Éditions Écosociété, ce livre est maintenant disponible pour achat en ligne auprès du Centre de recherche sur la mondialisation (CRG)
Pour achetez ce livre :
LIVRE : Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial
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Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca