par Leslie Varenne.
« Le coronavirus tue en deux semaines, la faim en une » : c’est l’une des nombreuses expressions en cours dans le Sahel. Les mesures prises par les États pour endiguer le virus créent de nouvelles crises se superposant à celles déjà existantes. Ou comment ajouter de la misère aux misères.
Cette analyse a été publiée dans le journal en ligne Sputnik.
Une pétition signée par des intellectuels africains appelle l’Afrique à « inventer » ses propres modèles pour faire face au Covid-19. Or, pour l’instant, les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest n’ont pas fait preuve d’originalité et se sont contentés de copier les mesures prises par les Européens, alors même que celles-ci connaissent des succès divers et très mitigés. Certes, les gouvernements ont tropicalisé leurs dispositions, la plupart des marchés ne sont pas totalement fermés, certains restent ouverts le matin, les confinements sont partiels et assortis d’une réduction de la mobilité et d’un couvre-feu. Il n’est pas aberrant de s’interroger sur l’efficacité d’un confinement à mi-temps. Quant à l’utilité d’un couvre-feu, alors que tout le monde investit la rue avant l’heure dite, elle semble répondre à d’autres considérations que celle de lutter contre le coronavirus.
Il faut se rendre à l’évidence, le confinement est absurde en Afrique plus encore que nulle part ailleurs, il ne peut être respecté que par les élites et une partie de la classe moyenne. Le continent n’a pas d’autre choix que de parier sur l’immunité collective –facilitée par la jeunesse de sa population– en mettant à l’abri les anciens et les personnes à risque ce qui, compte tenu de la culture et de la solidarité familiale, se fait déjà spontanément. C’est d’ailleurs une des grandes leçons de cette épidémie mondiale : les peuples d’ici, de là-bas et d’ailleurs sont infiniment plus intelligents et plus sages que leurs dirigeants.
De Charybde en Scylla
Si l’efficience de ces mesures n’est donc pas prouvée, leur corolaire est, lui, connu. Il réduit, voire rend impossible, l’économie informelle. Ce sont donc les plus pauvres, ceux qui vivent au jour le jour, les vendeuses du marché, les chauffeurs de taxi, etc. qui s’apprêtent à passer de la pauvreté à la misère. Dans le Sahel, cette situation est encore plus délétère puisqu’elle s’ajoute aux nombreuses difficultés liées à la crise sécuritaire.
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
Aux mesures précitées s’ajoute également la fermeture des frontières, qui perturbe fortement les transports routiers tant au niveau national qu’interrégional. Cela entraîne une diminution du flux de marchandises, notamment des produits agricoles, des semences et des engrais indispensables lors de la période de soudure de juin à août 2020.
Pour évoquer cette situation, les ministres de l’Agriculture de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), du Tchad et de la Mauritanie se sont réunis en vidéo-conférence le 31 mars. Lors de ces échanges, personne n’a remis en cause les dispositions prises par les États, pourtant, le Commissaire en charge de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources en eau de la Cedeao, Sékou Sangare, a reconnu leurs impacts négatifs d’ores et déjà tangibles :
« Hausses des prix des denrées de première nécessité, faible accès aux vivres des personnes vulnérables, chute drastique de la commercialisation des produits maraîchers périssables, renchérissement du transport, difficile accès aux semences, engrais, raréfaction et cherté de main-d’œuvre agricole », énumère-t-il.
Les conséquences sont donc douloureuses et cela aussi, Sékou Sangaré le reconnaît. Selon ses estimations, sans la crise sanitaire, 17 millions de personnes de la région auraient été touchées par une crise alimentaire et nutritionnelle lors de la période de soudure. Avec le Covid-19, ce sont « au mieux plus de 50 millions de personnes » qui seront impactées si « des mesures vigoureuses, pragmatiques et coordonnées ne sont pas mises en œuvre dans la région ». Une nouvelle fois, ce seront les pays enclavés du Sahel, Mali, Burkina-Faso, Niger qui paieront le plus lourd tribut.
Pour être juste, la totalité de ces chiffres impressionnants n’est pas à mettre au compte des mesures prises par les États d’Afrique de l’Ouest qui subissent aussi la crise économique mondiale avec la réduction des exportations de riz venant d’Asie et d’autres céréales en provenance du Brésil et de la Russie. Car pour se prémunir des pénuries, certains pays ont déjà évoqué des quotas d’exportation, voire des interdictions.
Une pluie de milliards
Pour atténuer les effets économiques et sociaux des mesures qu’ils ont prises, les chefs d’État du Sahel francophone rivalisent d’initiatives. Ils promettent à leurs concitoyens des aides comme la réduction ou l’annulation de factures d’eau et d’électricité. À cet exercice-là, c’est Ibrahim Boubakar Keïta qui tient la corde : 500 milliards de CFA pour les mesures sociales ; 100 milliards pour les plus vulnérables ; le Président malien renonce à trois mois de salaire et son Premier ministre à deux… Le chef de l’État crée ainsi des attentes considérables dans une population qui n’en sera que plus déçue si jamais cet argent se perdait dans les limbes et qu’elle n’en voyait pas la couleur…
Qu’à cela ne tienne, si l’Afrique n’est pas sauvée par ses dirigeants, elle le sera par l’aide internationale. Antonio Guterrez a déclaré, lors d’une interview sur France 24, qu’il souhaitait mobiliser 6.000 milliards de dollars à destination des pays du Sud et que le FMI avait la capacité de prêter 1.000 milliards de dollars ! Et ce, au moment où les plus gros bailleurs enregistrent des chutes de leur PIB et voient se pointer une récession à deux chiffres. Le secrétaire général des Nations unies serait-il dopé à l’économie virtuelle ?
La France, elle, a promis 1,2 milliard d’euros, mais seuls 150 millions se présentent sous forme de dons, le reste est constitué de prêts aux pays ou aux banques. Lors de son allocution télévisée du 13 mars, dans un élan lyrique, Emmanuel Macron a aussi demandé que l’Europe annule les dettes des pays africains que les pays de l’UE détiennent. Cependant les dettes d’État à État ne représentent qu’une petite partie du problème, ces créances étant majoritairement détenues par des privés.
L’Union Européenne a annoncé qu’elle donnerait 15 milliards d’euros, toutefois ce n’est qu’une réorientation des fonds vers la lutte contre le Covid-19. Dans le même ordre d’idées, avec l’Union Africaine, la France veut apporter une assistance sanitaire de 500 millions d’euros pour acheter des gants, des masques, des respirateurs, mais cet argent sera pris dans les caisses du fonds Sida. Ou comment déshabiller Pierre pour habiller Jacques ? Avec le risque de détourner ou de monopoliser tous les fonds utiles à d’autres impérieuses nécessités –pour rappel le paludisme tue plus de 400 000 personnes par an, soit beaucoup plus que le Covid-19- alors que la catastrophe prédite n’arrive toujours pas, le virus poursuivant en Afrique sa lente ascension…
Mais qu’importe l’efficacité des mesures sanitaires et la réalité des mesures financières pourvu qu’il y ait l’ivresse de la communication. Les chefs d’État sahéliens jouent la carte Covid en espérant capter la manne internationale et sécuriser leur pouvoir grâce aux mesures liberticides que le virus leur offre sur un plateau. Les dirigeants des pays occidentaux, eux, déploient une énergie considérable pour essayer de démontrer que même atteints, ils continuent de compter, qu’ils restent aux avant-postes et ne laissent pas la Chine déployer seule sa Route de la Soie sanitaire.
source : https://www.iveris.eu
Source: Lire l'article complet de Réseau International