David L’Epée : L’heure de sortir du ghetto

David L’Epée : L’heure de sortir du ghetto

Conférence prononcée à Lyon le 10 novembre 2017 à l’invitation du Cercle Anthinéa et repris dans le numéro 83 de la revue Rébellion ( Juin 2018) . Ce texte est d’une grande actualité pour la “sortie” du confinement.

Jusqu’à présent, la plupart de mes interventions publiques ont porté sur des questions relatives à l’histoire des idées et à ce qu’on appelle couramment la science politique. Mon propos de ce soir sera un peu différent et pourra être vu, superficiellement, comme relevant de ce qu’on désigne, dans la « culture d’entreprise », sous la terme de coaching. J’espère ne pas tomber dans les travers de ces méthodes propres à une certaine ingénierie sociale ni dans la vacuité qu’elles recèlent la plupart du temps. Mais puisque nous allons beaucoup parler ici de message et de médium, il n’est pas inutile de s’inspirer, sur certains points, du monde de l’entreprise et notamment des petits entrepreneurs et indépendants, le marketing étant souvent dans la sphère du commerce l’équivalent de la communication dans la sphère du politique.

Certains, connaissant mes positions politiques (socialisme et républicanisme national), s’étonneront peut-être de me voir venir dispenser quelques conseils à un cercle lyonnais appartenant à l’Action française, notoirement royaliste. J’aurais trois réponses à leur faire. J’ai tout d’abord pour principe d’ouvrir le dialogue avec tout le monde à partir du moment où ce dialogue peut avoir lieu sur une base courtoise et constructive, ce qui est le cas, je le sais par expérience, avec l’Action française, dont la section provençale m’avait déjà invité en mars dernier à participer à une table ronde. L’accueil avait été très sympathique et la confrontation des opinions très enrichissante1. Par ailleurs Maurras lui-même écrivait que durant certaines périodes de crise, la question du régime était secondaire, qu’elle devait passer à l’arrière-plan de façon à rendre possible certaines alliances sur des problématiques plus urgentes. Or, force m’est de constater que face à un certain nombre de périls communs (mondialisation, capitalisme, immigration, crise sociale), les enfants de Robespierre et ceux à la fleur de lys peuvent marcher ensemble car ils ont bien souvent les mêmes ennemis. Et pour finir, vous et moi sommes confrontés à une même allergie du système en place à notre encontre et aux mêmes épithètes mensongères (tournant généralement autour des étiquettes d’extrême droite, parfois d’extrême gauche). Pourtant, votre royalisme et mon socialisme ont comme point commun d’échapper au clivage gauche-droite. En effet, le royalisme est historiquement antérieur à ce clivage (puisque ce dernier est inauguré par la Révolution française, soit le moment où la monarchie est évacuée) et le socialisme, lui, est politiquement et sociologiquement extérieur à ce même clivage, pour des raisons qui ont trait aux luttes ouvrières et sur lesquelles je me suis déjà souvent exprimé2.

Si les étals des supermarchés (et parfois même des libraires) croulent aujourd’hui sous les rayons d’une nouvelle littérature dite de « développement personnel », on parle en revanche beaucoup moins, en ces temps d’individualisme, de développement collectif. Or c’est de cela dont je vais vous entretenir ce soir. Si mon expérience du marketing et de la communication, sur le plan professionnel, m’a bien appris une chose, c’est que ce domaine d’activité ne nécessitait ni d’avoir fait de hautes études dans je ne sais quelle école de commerce (que je n’ai d’ailleurs pas faites) ni de compétences particulières. Il se trouve que le milieu de la publicité, comme celui de l’agit-pop dans les sphères politiques de tous bords, est plein de gens sans diplômes, de lettrés, de philosophes, d’aventuriers, de roublards et d’individus dont le profil pourrait étonner au premier abord. Le fait est que l’art de communiquer repose sur des talents qui ne doivent pas grand chose aux hautes écoles : le bon sens, le feeling, l’imagination, l’esprit d’initiative.

Sortir du ghetto : qu’est-ce à dire ? Il s’agit de briser le cordon sanitaire derrière lequel le pouvoir voudrait nous maintenir pour nous disqualifier et rendre notre parole inaudible. Et ce travail d’affranchissement dépend en grande partie de notre capacité à communiquer avec le grand public.

Décrypter la langue de l’ennemi

Pour pouvoir communiquer ses idées et proposer une alternative au langage dominant, il faut commencer par comprendre ce langage, c’est-à-dire par le traduire. La propagande en vigueur recourt à une novlangue très codifiée et il importe de savoir ce que signifient réellement les mots utilisés et de ne pas se fier uniquement à leurs connotations et aux appréciations positives ou négatives qu’ils véhiculent. « Dans les époques exigeant la tromperie et favorisant l’erreur, disait Bertolt Brecht, le penseur s’efforce de rectifier ce qu’il lit et ce qu’il entend. Phrase après phrase, il substitue la vérité à la contre-vérité. »3 Un plan social dans une entreprise est-il aussi social que le terme le laisse entendre ? Pourquoi l’acronyme GPA (« gestation pour autrui ») évoque-t-il une idée d’altruisme plutôt que de marchandisation ? Pourquoi parle-t-on plus volontiers dans la presse d’IVG (« interruption volontaire de grossesse ») que d’avortement et pourquoi les Femen ont-elles demandé à ce que l’appellation de « pro-vie » soit remplacée par celle d’ « anti-choix » ? Cette manipulation des mots se retrouve à la fois dans la désignation de l’autre comme dans l’autodésignation, qui est souvent la confiscation d’une idée ou d’un principe : on sait que les « socialistes » du parti à la rose n’ont plus de socialiste que le nom et on sait que les « républicains » revendiquent une identité politique qui devrait échoir à l’ensemble des partis en présence dans la France d’aujourd’hui4. Comprendre l’ennemi, c’est décrypter sa novlangue, c’est mettre à jour la distorsion de sens à laquelle il se livre lorsqu’il choisit ses mots.

Dans son livre Langage et idéologie5, le philosophe Olivier Reboul explique que la propagande recourt souvent à des mots-choc, des mots qui sidèrent le public, qui le médusent et lui retirent toute capacité de réaction ou même de réflexion rationnelle. Selon l’essayiste Laurent Fidès, la peur entrainée par certains de ces mots-choc conditionne à la longue certains réflexes et ces réflexes demeurent et finissent par se normaliser, même après l’atténuation ou l’extinction du sentiment de peur qui les avait originellement inspirés. « On voit ici fonctionner un processus d’intimidation à double détente, écrit-il. Dans un premier temps, c’est la peur qui contraint au silence, puis la règle du silence acquiert sa propre autorité et passe pour être normale. On ne s’exprimera plus sur certains sujets non pas à cause de menaces potentielles, mais par conviction que ces sujets n’ont pas à être abordés sous un angle critique et que ceux qui s’aventurent dans cette voie sont des individus malintentionnés et peu fréquentables. »6

Les mots ne sont pas innocents et ils le sont d’autant moins dans une communication qui associe à chacun d’eux une connotation positive ou négative en fonction de leur degré de conformité à l’idéologie dominante. Pour prendre un exemple exotique (ce qui, comme on l’a bien compris de Montesquieu à Bourdieu, est un excellent moyen de se « décadrer » pour mieux jeter un regard critique sur notre propre société), je citerais celui de la propagande nord-coréenne, fort différente de la nôtre et certainement moins subtile, mais chez laquelle on peut retrouver des procédés de manipulation de la langue étonnamment proches de ceux qui sont à l’œuvre sous nos latitudes. Comme observateur de la société nord-coréenne, Philippe Grangereau remarque : « A tout ce qui compte, est automatiquement attaché un jugement de valeur ; ce qui bien entendu réduit d’autant le champ d’expression de la pensée. Un esprit sain voudrait-il se rebeller qu’il ne trouverait qu’avec difficulté les mots pour s’exprimer. »7 Les mots ne sont pas que de simples véhicules du sens : dans bien des cas le sens, sa réalité même, est conditionnée par l’existence du mot.

La novlangue ne fonctionne en effet pas seulement sur la base d’un « grand remplacement linguistique » (la substitution de certains mots par d’autres dans l’intérêt de l’idéologie dominante) mais aussi par la disparition pure et simple de certains mots. Sans vouloir rouvrir la vieille querelle du nominalisme, le fait est que la plupart des linguistes s’accordent à penser que chez l’être humain, les concepts qui cessent d’être nommés cessent, à terme, d’exister comme concepts. Je ne parle pas bien sûr des objets du monde sensible, qui peuvent continuer d’avoir une existence en soi même si nous ne parlons plus d’eux, mais des idées, de ce qui relève de l’abstraction. La richesse ou la pauvreté de telle ou telle langue relativement à tel ou tel concept en dit en général beaucoup sur la mentalité d’un peuple. Rappelons-nous, par exemple, le nombre de termes désignant des formes et des nuances différentes de l’amour chez les anciens Grecs. Michel Maffesoli disait qu’ « une idéologie s’achève quand elle n’a plus les mots pour décrire le réel » et « quand un mot ne désigne plus rien de probant, il devient incantatoire »8. C’est particulièrement vrai pour des mots comme liberté dont Rousseau nous disait que s’il était trop prononcé, trop invoqué, trop affiché dans une cité, c’est qu’il y avait tout lieu de penser que cette cité vivait sous un régime de tyrannie. Cette leçon ne pourrait-elle pas être appliquée à la France actuelle, dont les politiques et les médias n’ont que les mots de démocratie et de vivre-ensemble à la bouche ? L’omniprésence de ces mots incantatoires dans la novlange semble en effet inversement proportionnelle à leur réalité au quotidien.

Retourner le stigmate : une mauvaise stratégie

Au cours des polémiques et des combats qui ont émaillé l’histoire, de nombreux mots injurieux utilisés par le pouvoir pour désigner et disqualifier ses opposants ou ceux qu’il voulait faire taire ont été récupérés dans un deuxième temps par lesdits opposants qui s’en sont faits, par le biais de l’ironie ou du deuxième degré, un étendard. Ça a été le cas pour les sans-culottes, désignés ainsi par les aristocrates et la haute bourgeoisie : cette insulte, expression d’un mépris de classe et d’une certaine morgue des dominants, a été récupérée et revendiquée par ceux-là même qui en étaient l’objet, l’injure devenant alors fierté. Dans un registre linguistique très proche, c’est aussi ce qui est arrivé lorsque l’ex-compagne de François Hollande a dévoilé dans son livre que l’ancien président de la République, dans l’intimité, traitait les pauvres de « sans-dents »9 : l’expression, à travers les manifestations de rue, l’agitation syndicale, les réseaux sociaux et le monde associatif, est vite devenue un leitmotiv, une affirmation identitaire de la France précaire en lutte contre la France bourgeoise. On appelle cette opération sémantique le retournement du stigmate.

La linguiste Josiane Boutet explique ainsi le procédé : « Il s’agit de s’approprier des désignations considérées comme injurieuses, dégradantes ou humiliantes par lesquelles les autres nous nomment, et ce faisant d’en changer la valeur sociale. Retourner le stigmate est une opération sémantique proprement politique à laquelle se livrent des groupes minoritaires ou dominés. Elle consiste en une réappropriation de termes injurieux ou disqualifiants. Les noms péjoratifs par lesquels une société donnée désigne un groupe sont repris et modifiés par le groupe lui-même, ils sont exhibés comme emblèmes identitaires et ce faisant leur charge péjorative ou humiliante est transformée en son contraire. »10 Je complèterais cette définition par l’explication du philosophe Stéphane Haber : « Des termes à l’origine destinés à insulter, à stigmatiser, à discriminer des populations et des corps vulnérables, peuvent être repris par des porte-parole de ces mêmes populations pour devenir alors les mots-symboles de l’affirmation d’une fierté nouvelle. »11 Ce retournement passe, écrit-il, par « la fierté d’être ce que d’autres veulent agressivement que l’on soit »12.

Le retournement du stigmate, c’est ce que faisait Robespierre lorsqu’il s’exclamait, pour provoquer ses ennemis : « Nous sommes les sans-culottes et la canaille ! »13 Canaille : le même mot, péjoratif dans le langage courant, se retrouvera brandi comme un drapeau lors de la Commune de Paris dans une chanson intitulée L’Eveil de la classe ouvrière. Laissez-moi vous en citer le premier couplet :

Dans la vieille cité française

Existe une race de fer

Dont l’âme comme une fournaise

A de son feu bronzé la chair

Tous ses fils naissent sur la paille

Pour palais ils n’ont qu’un taudis

C’est la canaille…

Eh bien j’en suis !

L’insulte de classe devenait alors cri fédérateur. Durant la Commune toujours, les Versaillais avaient coutume d’appeler pétroleuses les femmes qui participaient au mouvement révolutionnaire et qu’on suspectait de se comporter en incendiaires, mettant le feu aux bâtiments. Il s’agissait, on le sait aujourd’hui, d’une rumeur infondée, sorte d’actualisation d’un autre stigmate portant sur les femmes révolutionnaires, celui des sinistres tricoteuses de la Terreur14. Or, décidant de retourner ce stigmate à leur profit, des féministes vont créer un journal qu’elles intituleront Les Pétroleuses, un journal fondé en… 1974 ! L’audace révolutionnaire a tout de même ses limites…

Un cas d’école : l’exemple féministe

C’est à dessein que je vous parle ici des féministes car elles sont, à l’époque moderne, parmi celles qui ont le plus recouru à ce procédé rhétorique. Judith Butler, une des premières doctrinaires de la théorie du genre, qui a beaucoup écrit sur le thème du langage (on lui doit notamment sa fameuse théorie des performatifs inspirée des travaux du philosophe John Austin), recommande à ses lecteurs ce retournement du stigmate : « Reprendre le nom que l’on vous donne, ce n’est pas se soumettre à une autorité préexistante, écrit-elle, car le nom est déjà ainsi arraché au contexte qu’il avait auparavant, et prend place dans un travail de définition de soi. Le mot injurieux devient instrument de résistance au sein d’un redéploiement qui détruit le territoire dans lequel il opérait auparavant. »15 Une de ses épigones françaises, Marie-Hélène Bourcier, propose d’aller plus loin encore en privilégiant à dessein pour s’autodésigner les mots les plus orduriers et les plus insultants, c’est ce qu’elle appelle le dirty talking16. Il s’agit de se définir soi-même comme freaks, de se réapproprier de façon positive des mots aussi mal connotés que « sale », « déviant », « abject ». Le hic, bien sûr, c’est que Mme Bourcier, comme maître de conférence à l’Université Lille III, n’est en aucun cas une « dominée » et que ce n’est plus le bourgeois qu’il s’agit de choquer par ses outrances verbales mais bien le populo…

Le retournement du stigmate est un grand classique du féminisme contemporain, depuis le manifeste des « 343 Salopes » contre l’avortement jusqu’à l’association les Chiennes de garde en passant par la très élégante Slutwalk (la « marche des salopes », manifestation contre le harcèlement sexuel). Un procédé qu’on retrouve jusqu’à Sciences Po, avec le Groupement d’action et de réflexion contre l’environnement sexiste, qui donne le bel acronyme G.A.R.C.E.S. et dont les membres se définissent sur leur site web comme « hystériques, mal baisées, émasculatrices ». Autant d’exemples où, comme l’écrivait Josiane Boutet dans la définition citée plus haut, « la charge péjorative ou humiliante des termes injurieux ou disqualifiants est transformée en son contraire ».

Néanmoins, on ne peut pas dire que la méthode ait porté ses fruits. Ce que le féminisme a obtenu comme avancées dans la société moderne, ce n’est pas de cette manière qu’il l’a conquis, et si on se moque peut-être un peu moins aujourd’hui de ces stigmas revendiqués comme emblèmes, ce n’est pas parce qu’ils sont devenus moins risibles qu’hier mais parce que s’en moquer tombe désormais sous le coup de la loi… En bref, ce que le féminisme a gagné dans la guerre culturelle qu’il mène depuis des décennies, il l’a davantage gagné par le haut (l’Etat, les lois, les médias, l’idéologie dominante) que par le bas (l’opinion publique, les mœurs des gens ordinaires) ; aussi, ses victoires doivent beaucoup à ses réseaux et finalement assez peu à sa communication à destination des masses. Autrement dit, non seulement rien ne prouve que ce retournement du stigmate ait été d’une grande aide dans la progression des idées féministes, mais tout laisse au contraire à penser que ça été un des talons d’Achille de sa propagande.

Il n’y pas que les féministes d’ailleurs, bien d’autres communautés s’y sont cassé les dents. Est-ce parce que certains homosexuels ont décidé de s’affirmer « pédés » que le mot a cessé d’être une insulte ? Certes non, il l’est plus que jamais et il mène rapidement au tribunal celui qui s’en serait servi à mauvais escient ! Du fait que les noirs aiment parfois s’interpeller amicalement entre eux en se donnant du « nègre » ou du « négro », ces mots auraient-ils perdu leur charge discriminante et raciste ? Absolument pas ! C’est même tout le contraire qui est en train de se passer : non seulement ces mots-là demeurent condamnables sur le plan du droit mais le simple mot « noir », d’une neutralité pourtant difficile à contester, est en passe d’être banni du langage ordinaire au profit de sa traduction anglaise17.

Si le retournement du stigmate a échoué avec eux, qu’est-ce qui vous fait croire que cela pourrait réussir avec vous, qui sentez bien plus le souffre que toutes les autres communautés susmentionnées ? D’autant qu’une difficulté supplémentaire se pose : si eux sont confrontés à des insultes, vous l’êtes également mais à cette différence près que les insultes dont on vous gratifie n’ont a priori aucun rapport avec ce que vous êtes. Vous êtes royalistes et nationalistes, mais on vous traite de « fachos ». Quel est le rapport ?18 Il n’y en a aucun bien sûr, et peut-être que si vous étiez des fascistes, vous pourriez vous résoudre à accepter cette étiquette, mais comme vous ne l’êtes pas, vous n’avez aucune raison de le faire. En effet, s’il est désagréable d’être diabolisé pour ce qu’on est, ça l’est plus encore d’être diabolisé pour ce qu’on n’est pas ! Pourtant, à force d’être rangés à tort et contre leur gré dans cette catégorie infamante, confrontés à cette violence verbale et conceptuelle qui leur est faite, bien des patriotes sincères se résolvent à la longue, par découragement ou par dérision, à s’accommoder de l’injure, à se l’approprier. Cela me rappelle, dans un tout autre contexte, une chanson de la Fonky Family, le groupe de rap marseillais des années 90, on y entendait le rappeur Don Choa clamer : « Ne nous prends pas pour des fouteurs de merde ou on le deviendra vite ! »19 Il faisait vraisemblablement référence à la stigmatisation des jeunes de banlieue, souvent vus comme des voyous, et il proposait de combattre ce stigmate en le retournant : à force d’être traités de voyous, nous allons réellement le devenir et vous aurez enfin de vraies raisons d’avoir peur de nous ! Beaucoup de patriotes, soumis aux mensonges et aux insultes des médias à leur encontre, n’ont-ils pas tendance à réagir exactement de la même manière que ce rappeur ?

Ça commence généralement par une forme d’ironie pratiquée dans l’entre-soi, parmi les camarades, par la pratique d’un humour lourdingue et puéril à base de « fachos », de « bête immonde au ventre fécond », d’idées « nauséabondes », de « zeurlesplussombres » (que celui qui n’a jamais entendu ou lu ces expressions pesantes me jette la première pierre !). Cette communauté de l’injure subie (devenue injure assumée) fonctionne comme un clin d’œil fédérateur, elle crée une fraternité des réprouvés et c’est en cela que le mécanisme psychologique à l’œuvre est pervers : il vous donne l’impression de maîtriser la situation, de rire des attaques qui vous sont faites, d’en désamorcer la charge calomniatrice. Or, en réagissant de cette manière, vous ne vous affranchissez de rien, bien au contraire, vous rentrez dans la case où le pouvoir cherche à vous enfermer, vous acceptez docilement son étiquette, vous tombez dans le piège qu’il vous tend. Stéphane Haber, que je citais plus haut, a tort de prôner « la fierté d’être ce que d’autres veulent agressivement que l’on soit » : il n’y a aucun fierté à se mentir à soi-même et aux autres, et il y en a encore moins à se laisser imposer le langage de l’ennemi. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est donc d’éviter à tout prix de devenir la caricature de vous-mêmes ou, pire encore, la caricature de ce qu’ils voudraient que vous soyez.

Contre le culte de la clandestinité

Plus jeune, j’ai beaucoup fréquenté les milieux militants de la gauche radicale, notamment certains milieux anarchistes. Il existe encore, dans ma région, des groupes anarchistes qui communiquent au travers de journaux muraux collés sur les murs des villes, mode de faire qui paraît un peu anachronique mais qui a le mérite de ramener le débat politique au niveau de la rue et de faire un certain bras d’honneur à la modernité et à ses dérives technologiques. Malheureusement, la forme du journal mural, avec ses gros blocs de textes en petits caractères, retient très peu l’attention des passants, contrairement aux affiches illustrées ou aux slogans. Je fais partie de la minorité des quidams curieux à qui il arrive de s’arrêter cinq minutes face à un mur pour lire un de ces journaux – ce que les Chinois, qui en avaient fait un vecteur des idées révolutionnaires, appelaient un dazibao – mais je me rends bien compte que nous sommes très peu nombreux à faire cet effort de lecture et d’attention. Je suis souvent en désaccord avec le message de ces affiches mais je dois reconnaître qu’on y lit parfois des textes théoriques intelligents et qui procèdent d’une vraie réflexion. Seulement, la plupart du temps, ils paraissent à titre anonyme ou sont signés du nom d’un obscur collectif ou d’un pseudonyme fantaisiste puisant dans la contre-culture, dans l’humour ou dans le panthéon révolutionnaire. Impossible, en fait, de savoir qui parle.

Le même problème se pose dans de nombreuses manifestations de l’extrême gauche. Les militants, anticipant la répression policière et pensant ainsi protéger leurs arrières, ont l’habitude de se camoufler le visage derrière des foulards, voire, lors des actions plus violentes, de se cagouler. J’ai fréquenté à plusieurs reprises les groupes d’émeutiers qu’on appelle les black blocks et qui mettent un point d’honneur à se masquer pour éviter les poursuites. Ils ne jurent, comme leur inspirateur Bakounine, que par la « propagande par les faits », théorie qui fonde le terrorisme anarchiste et qui a été aussi revendiquée par certains groupes durant les années de plomb. Mais le fait est en qu’en matière de propagande l’effet produit est déplorable : au-delà de l’usage de la violence émeutière (qui est en soi problématique), les défilés de hooligans encagoulés ne génèrent pas sur le public un sentiment de sympathie ou d’adhésion mais au contraire de peur et de désapprobation. Ces jeunes gens sont fiers de « choquer le bourgeois », mais ce n’est pas que le bourgeois qui est choqué, c’est le peuple, c’est l’opinion publique dans sa quasi totalité. On ne séduit pas par la terreur.

La cagoule, outre la peur qu’elle inspire, pose un autre problème (qui nous ramène à mon exemple des journaux muraux), c’est celui de l’anonymat. Un cagoulard n’est personne, il n’est pas un individu identifiable, il est celui qui se fond dans la masse des manifestants ou des émeutiers, tout comme n’est personne le militant qui signe un texte au nom d’un quelconque groupuscule plus ou moins secret. Il est à noter d’ailleurs que les agitateurs de gauche radicale s’exagèrent beaucoup les risques qu’ils encourent, risques qui justifient selon eux de cacher leur visage et de ne jamais rien revendiquer en leur nom. Il est vrai qu’un casseur risquera d’être interpelé par la police, c’est dans l’ordre des choses (et il le sera non pas pour un motif directement politique mais pour déprédation de biens publics), mais il n’est pas vrai pour autant que l’agitation gauchiste menace à ce point l’Etat ou le grand capital que ceux-ci doivent en venir à procéder à des arrestations, à trainer les gens devant les tribunaux ou à prononcer la dissolution de telle ou telle organisation politique. Non, ça ce serait plutôt le sort réservé à l’agitation nationaliste, et vous le savez mieux que moi…20

La psychologie de ces militants est assez simple : ils justifient leur culte de l’anonymat par les dangers qu’ils croient courir, croyance erronée qui, sincère ou non, les conforte dans la posture morale des révolutionnaires qu’ils pensent être. En bref, ils se persuadent d’être des dissidents, ce qui leur permet à la fois de se croire dans un vrai rapport d’opposition au système (alors qu’ils ne sont jamais que l’extrême gauche du capital) et de continuer à sa cacher derrière des pseudonymes ou des cagoules. Il faut bien comprendre qu’au-delà de ces justifications bancales auxquelles les plus intelligents d’entre eux ne croient pas eux-mêmes, c’est tout un folklore de la clandestinité qui s’exerce dans ces franges de la gauche radicale, un folklore de maquisards, de résistants, qui rappelle des heures héroïques de l’histoire mais qui n’a pas grand chose à voir avec ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Et comme toujours lorsqu’un folklore est déconnecté du réel, il vire au fétichisme. Leurs glorieux ancêtres (ou plus exactement les ancêtres qu’ils s’attribuent indument) faisaient la guerre et la révolution ; eux jouent à la guerre et à la révolution.

Un nom, un visage, une voix

Tous n’ont pas sombré dans un tel degré de mystification bien sûr, et il existe, notamment parmi les anarchistes, des groupes et des gens plus sérieux et plus réellement révolutionnaires. Mais eux aussi, bien souvent, sacrifient au culte de l’anonymat et à l’effacement de l’individu derrière le collectif. Pensez par exemple au Comité Invisible, auteur de quelques pamphlets pas inintéressants comme L’Insurrection qui vient. Ce groupe avait développé une réflexion qui méritait qu’on s’y intéresse mais le fait est qu’en dehors des milieux curieux, les gens ordinaires n’ont commencé à en entendre parler que lorsque la police a diligenté une enquête sur Julien Coupat, animateur de ce fameux Comité invisible. Et pourquoi donc a-t-il fallu cette affaire pour faire connaître ce groupe d’activistes et leurs idées ? Tout simplement parce que pour qu’une idée porte, il faut qu’elle soit incarnée par un nom, un visage et une voix.

Il en a été de même dans le passé pour les situationnistes. Critiquant le culte de la personnalité qu’ils voyaient chez les communistes et qu’ils interprétaient comme une manifestation particulièrement aliénante de la société du spectacle (leur bête noire, faut-il le rappeler), ils avaient résolu de conjurer cette dérive en sacralisant le collectif. Ironie du sort : le principal animateur du mouvement, Guy Debord, était non seulement un fieffé individualiste mais un personnage connu pour son caractère bien trempé et son égocentrisme forcené. Et aujourd’hui, pourquoi se souvient-on encore, plus ou moins vaguement, de l’Internationale situationniste et de ses travaux ? Grâce à la figure d’un homme : Guy Debord. Un nom, un visage et une voix.

La critique situationniste, un peu passée de mode, continue pourtant d’agiter certains cercles et d’être prêchée par certains auteurs. Le plus connu d’entre eux actuellement est sans doute Francis Cousin, personnage bien plus agréable que Debord mais qui, comme lui, prétend s’effacer derrière son discours. Un discours dont il ne cesse de répéter qu’il n’est pas de lui, parce que lui n’a rien inventé et que tout a déjà été dit bien mieux, il y a bien longtemps et par d’autres. Eh bien n’en déplaise à M. Cousin, si les idées qu’il professe rencontrent aujourd’hui un certain succès parmi le public, et notamment parmi la jeunesse, c’est bien par son truchement à lui, comme personne particulière ! Parce que Francis Cousin, c’est un nom, un visage et une voix.

Cette nécessité d’incarner une idée pour la faire connaître n’est certes pas nouvelle mais elle a pris une acuité particulière dans la période que nous traversons, et ce pour des raisons liées à la technologie. L’ère d’internet, et plus exactement de l’internet participatif et du web 2.0, n’est plus celle des journaux muraux. Le débat d’idées actuel passe en grande partie désormais par des supports tels que les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming. Dans un cas comme dans l’autre, les émetteurs, les locuteurs, les débatteurs sont amenés à s’exprimer en leur nom propre, à titre individuel et bien souvent en s’affichant physiquement. Une plateforme de streaming comme YouTube regorge de vidéos politiques réalisées par des militants prenant la parole face caméra pour défendre leurs convictions. Pour eux, incarner rime avec assumer. Leurs idées plaisent ou ne plaisent pas mais beaucoup d’entre elles sont entendues, comprises, méditées, et cela parce qu’elles sont portées par des noms, des visages et des voix.

Cette culture de la prise de parole a bien sûr aussi sa face sombre : comme le craignaient les situationnistes, elle peut encourager le narcissisme, la vanité du « moi je », le culte de la personnalité. Mais dans la masse de toutes ces énergies le jugement de l’opinion a tôt fait de trier le bon grain de l’ivraie et on constate la plupart du temps un phénomène d’autorégulation. Il y a, dans cette communication numérique, lorsqu’on en a retranché les aléas les plus parasitaires (censure, monétarisation, algorithmes manipulés, etc.), une certaine logique à la fois démocratique et populiste, le second terme n’étant jamais qu’une spécificité du premier. La meilleure idée du monde, si elle n’est pas incarnée, se perdra dans le flux des bavardages en ligne.

Le piège de la justification

Il ne faut avoir, à l’égard de ses idées, ni honte ni fausse pudeur. Vous n’avez pas à vous excuser d’être ce que vous êtes, de penser ce que vous pensez, et c’est pourquoi il importe, pour reprendre la formule de Laurent Fidès dont je parlais plus haut, de déconstruire le discours intimidant. Vous ne pourrez jamais convaincre personne si vous commencez par vous excuser. Pourquoi est-ce que l’homme accoudé au zinc de son bar PMU et qui trouve qu’il y a trop d’immigrés en France (pardonnez-moi la caricature grossière) commence-t-il toujours ses récriminations par « je ne suis pas raciste mais… » ? Pourquoi la jeune fille indignée par les inégalités salariales entre hommes et femmes se sent-elle obligée de commencer son argumentaire par « je ne suis pas féministe mais… »21 ? On connaît la réponse : parce que certaines étiquettes peuvent véhiculer une connotation négative selon l’interlocuteur et que c’est une manière d’en désamorcer la charge explosive, de tourner autour du pot, de dire les choses sans les dire. Mais c’est leur problème, pas le vôtre. Car si vous, vous commencez une phrase par « je ne suis pas patriote mais… » – eh bien je ne sais pas comment vous la finirez !

Si vous êtes sûrs de votre bon droit, vous n’avez pas à vous justifier. L’injonction plus ou moins implicite à vous justifier avant toute prise de parole est un piège, elle vise à détourner l’attention loin des problèmes que vous souhaitez aborder et à vous faire perdre du temps (à plus forte raison lorsque vous êtes invités à vous exprimer dans un média et que votre temps de parole est limité). Certaines précautions oratoires vous desservent plus qu’elles ne vous blanchissent. Je me souviens à ce propos d’un entretien que j’avais eu avec une journaliste suisse alémanique il y a quelques années, alors que j’étais en charge de la section locale d’un mouvement populiste actif dans ma région. Je vous retranscris un passage de notre dialogue, qui me semble être un cas d’école :

Moi – Oui, en effet, je suis patriote.

Elle – Mais on est bien d’accord, vous n’êtes pas raciste ?

Moi – Non, je ne le suis pas. Mais… pourquoi me posez-vous cette question ?

Elle – Eh bien à partir du moment où vous vous proclamez patriote, je pense qu’il est important de le préciser, non ?

Moi – Si je vous avais dit que j’étais homosexuel, m’auriez-vous demandé de bien vouloir vous confirmer, préalablement à toute discussion, que je n’avais aucun penchant pour la pédophilie ?

Elle – Mais ça n’a aucun rapport ! Les homosexuels n’ont rien à voir avec les pédophiles !

Moi – Eh bien voilà.

L’injonction à se justifier avant toutes choses est aussi un piège pour une autre raison, parce qu’elle cache en général une tentative d’inversion accusatoire. Il vous est sans doute tous arrivé, sur les réseaux sociaux, de relayer par exemple un fait divers impliquant des réfugiés, pour en informer vos followers ou pour les alerter sur la dégradation des conditions de sécurité en France – dégradation causée en grande partie, on le sait, par le déferlement migratoire. Immanquablement, pour peu que vous n’ayez pas dans vos contacts que des gens de votre bord, vous aurez droit à certains commentaires qui, au lieu de considérer directement les faits, tenteront de décentrer l’attention en interrogeant votre choix de partager cette information plutôt qu’une autre. Ils laisseront peut-être entendre que ce choix est dicté par des a priori xénophobes ou hostiles aux réfugiés (alors que nous savons bien que cette hostilité, pour autant qu’on puisse appeler ça ainsi, est évidemment la conséquence et non la cause de ces faits divers). Vous vous retrouverez alors dans la position inconfortable de celui qui, annonçant une mauvaise nouvelle, doit s’en justifier comme s’il était la cause du mal – appelons ça le complexe de Cassandre si vous voulez. Lorsqu’on lui montre la lune l’imbécile regarde le doigt, et lorsqu’on lui montre les méfaits de voyous immigrés, le gauchiste accuse le messager. Si vous tombez dans ce piège, si vous ne recadrez pas tout de suite le débat sur le sujet de cette information (le fait divers et les interprétations qui peuvent en être faites), vous vous retrouverez dans la situation morale du criminel alors que vous étiez venu pour dénoncer le crime. Si vous ne le faites pas, vous aurez laissé votre contradicteur, qu’on peut à bon droit dans ce cas de figure qualifier de troll (pour reprendre un vocable bien connu du lexique d’internet), remporter plusieurs petites victoires rhétoriques : il aura détourné l’attention de vos followers loin des vrais problèmes, il aura fait porter la suspicion sur vous et il vous aura fait perdre votre temps.

Incarner et assumer

Croire que faire des concessions au système que vous combattez vous permettra de bénéficier de sa part d’une oreille attentive et bienveillante est une erreur. Au jeu du conformisme, la surenchère n’a pas de fin, vous ne serez jamais assez assimilé, jamais assez docile, jamais assez châtré. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder les petites cabales qui agitent le landerneau médiatique ces derniers mois : Elisabeth Badinter se fait traiter de « féministe blanche » par les partisanes de l’intersectionnalité et de l’afro-féminisme, Aymeric Caron est tancé pour ses sympathies pro-palestiniennes, Cyril Hanouna est accusé d’homophobie, Nicolas Bedos est suspecté des plus noirs desseins car il a osé désapprouver l’opération Balance ton porc. Quant au summum du débat contradictoire sur un tableau télé, il semble se résumer à prise de bec entre Christine Angot et Alexis Corbière… Voyez-vous un seul opposant réel dans cette galerie des nouveaux pestiférés ? Non, ce sont des gens qui ont, chacun à leur manière, ou collaboré avec le pouvoir ou partagé et promu les mots d’ordre de la pensée dominante. Et malgré ce conformisme exemplaire, malgré cette servilité remarquable, ils peuvent tomber d’un jour à l’autre en disgrâce pour déviationnisme, pour une virgule en trop, parce qu’ils n’ont pas fait leur génuflexion au bon moment, parce qu’ils n’ont pas courbé l’échine au degré suffisant, qu’ils n’ont pas applaudi assez fort ou qu’ils l’ont fait à contretemps. Vous avez beau faire partie du premier cercle des courtisans, vous n’êtes pas à l’abri pour autant, ce qui est la preuve que tout effort d’intégration en ce sens serait, en plus d’être un déshonneur, un effort absolument vain.

Bien au contraire, il ne faut jamais rien céder sur le fond. C’est votre constance et non votre mimétisme à géométrie variable qui vous vaudra une crédibilité, à la fois chez vos partisans et chez vos adversaires22. Assumer, incarner, porter vos idéaux sur vous, c’est donner envie aux autres, aux indécis, de vous ressembler. Une certaine extrême gauche et une certaine extrême droite, en optant pour des postures de marginaux, semblent ne pas avoir compris cela. L’homme ordinaire ne souhaite s’identifier ni à un crasseux braillard ni à un blouson noir vociférant. La marginalité évoque la mise au ban de la société, elle n’appelle pas à une quelconque forme de victoire ou de succès car tout en elle, au plan politique (il peut en aller autrement dans d’autres sphères, comme celle de la bohème artistique par exemple), respire l’échec. Espérer la réussite d’un idéal, d’un projet collectif, nécessite de commencer par se donner les moyens, à son niveau, de réussir individuellement à faire quelque chose, à remplir certains de ses objectifs. Penser qu’on renforce sa légitimité révolutionnaire en se complaisant dans les marges relève d’un romantisme de l’échec qui ne devrait pas avoir sa place dans le combat politique. Opter pour la posture morale du martyr bâillonné par le système plutôt que pour celle du combattant, c’est préférer le salut de son âme au salut de son peuple – encore que l’enfer, dit-on, soit pavé de bonnes intentions. On ne se bat pas pour l’honneur, ou du moins pas seulement, on se bat pour vaincre. Un révolutionnaire réduit à l’impuissance par la répression pourra toujours se dire, pour se consoler, que si on le fait taire c’est bien parce qu’il dérange (et il n’aura peut-être pas tort) mais on a alors envie de lui répondre qu’à partir du moment où il se tait il ne dérange plus personne… Les prisonniers politiques et les morts font de bons héros à leur cause mais ce ne sont pas eux qui prennent les citadelles d’assaut.

Ne pas répondre aux défis des provocateurs

Il importe, dans les combats qui sont les vôtres, de savoir hiérarchiser les priorités ou, comme le disait Mao Zedong, de savoir distinguer les contradictions principales des contradictions secondaires. Soyez pragmatiques, ne vous trompez pas d’ennemi et ne perdez pas votre temps à répondre à des provocations dont le seul objectif est de vous détourner de votre tâche. J’ai vu sur internet qu’une de vos manifestations à Marseille avait récemment été troublée par un de ces groupuscules qui s’auto-désignent comme « antifascistes ». Le journaliste indépendant Vincent Lapierre, qui a filmé l’événement, a bien su montrer, en baladant sa caméra dans le quartier, que les gens de l’Action Française avaient conservé leur calme et n’avaient eu aucune peine à lui exposer leurs arguments, quand leurs opposants s’étaient contentés de beugler des slogans et de lancer des projectiles. Leur agressivité se présentait comme un signe de faiblesse, en tout cas de faiblesse argumentative. S’ils étaient sûrs de leurs convictions, ils ne se comporteraient pas de cette manière. Ces agitateurs cherchaient vraisemblablement l’affrontement et vous auriez eu tort de leur donner ce qu’ils désiraient. Vous n’aviez pas affaire à l’ennemi, vous n’aviez pas affaire au pouvoir mais seulement à une poignée de marginaux réclamant désespérément un peu d’attention de votre part. Vous n’avez pas à leur donner de l’attention, vous n’avez pas le temps pour ça et, comme le dit le proverbe persan, l’aigle ne chasse pas les mouches.

Les « antifascistes » tentent de constituer une contre-culture, qu’ils associent, à tort ou à raison, à une certaine forme d’extrême gauche, et ils aimeraient vous considérer comme une contre-culture opposée à la leur afin de se trouver un adversaire identifiable et une raison d’exister comme groupe belliqueux. Leur logique, tout à fait artificielle et déconnectée des problèmes réels du quotidien, est celle d’une guerre des clans. Il faut refuser cette guerre-là, parce qu’elle est régie par la loi du talion et qu’elle mène à une escalade sans fin, et il faut la refuser surtout parce que vous ne vous êtes pas donnés pour objectif de jouer à ça mais d’intervenir sur la société. Si vous êtes attaqués au coin d’une rue, bien sûr, vous pourrez difficilement ignorer vos assaillants et faire comme s’ils n’existaient pas, vous seriez bien obligés de vous défendre et vous serez légitimés à le faire. Mais ces altercations, vous ne devez pas les souhaiter, vous ne devez pas chercher à les provoquer et vous devez même tout faire pour les éviter. Lorsqu’un marmot vous tire par la manche avec insistance pour vous emmener je ne sais où, là où ne vous voulez pas aller, il vaut mieux l’ignorer, c’est le meilleur moyen de le renvoyer, de guerre lasse, à son bac à sable.

Vous m’objecterez peut-être ce que disait Julien Freund, à savoir qu’on ne choisit pas l’ennemi lorsque celui-ci nous désigne comme tel, qu’on devient son ennemi malgré nous s’il nous a choisi pour jouer ce rôle. Je vous répondrais que ça dépend beaucoup du rapport de force. Si l’Etat décide de vous dissoudre comme ligue factieuse, il vous désigne par là même comme ennemi et vous force à accepter ce rapport d’inimitié, à vous déclarer vous-mêmes comme ennemis de l’Etat car si vous ne le faites pas, vous vous contentez de subir sa répression sans pouvoir réagir. Il en va de même pour tout pouvoir coercitif qui vous agresserait, qu’il s’agisse d’un pouvoir public (comme l’Etat) ou privé (comme certaines émanations du capital). En ce sens-là Julien Freund a raison. Mais il n’en va pas de même pour ces groupuscules qui vous provoquent : le fait que vous répondiez ou non à leurs provocations, que vous acceptiez le défi qu’ils vous tendent, ne changera rien ni à votre existence en tant que groupe ni à votre action militante (si ce n’est que cela vous fera perdre un temps précieux et détournera votre attention des affaires sérieuses), aussi non seulement rien ne vous oblige à accepter ce rapport d’inimitié qu’ils tentent de vous imposer, mais en plus tout vous incite à le refuser et à passer outre.

Rappelez-vous la boutade de Mastroianni dans le film Une Journée particulière d’Ettore Scola : « Ce n’est pas le locataire du sixième qui est antifasciste, c’est le fascisme qui est anti-locataire du sixième ». Il en va de même pour vous : vous avez en face de vous (ou plutôt dans les marges) des gens qui se disent vos ennemis, mais le fait est que ce sont eux qui sont anti-vous et non pas vous qui êtes anti-eux. Dans un rapport de forces tel que celui qui vous oppose à ces groupuscules (un rapport de force non coercitif), les choses n’ont souvent que l’importance qu’on leur donne. Je ne nie pas l’existence de ces groupuscules, pas plus que je ne nie la réalité de la haine qu’ils vous vouent, mais ce n’est pas parce qu’une chose est réelle qu’elle est importante, on peut tout à fait – et c’est leur cas – être à la fois réel et insignifiant. Autrement dit, vous les empêchez peut-être de dormir la nuit mais l’inverse n’est pas vrai car vous avez bien d’autres choses à penser (et à faire je suppose !) de vos nuits. Le fait est qu’ils n’existent pas sans vous mais que vous existez très bien sans eux.

Vertus et faiblesses du romantisme historique

Mais ne nous leurrons pas, s’il existe, pour des groupes tels que le vôtre, un problème de diabolisation, la responsabilité n’en revient pas uniquement aux autres (les adversaires, les autorités, les médias, etc.), vous y avez aussi votre part. Vous constituez, je le vois bien en regardant l’assistance qui se trouve devant moi, un mouvement où la jeunesse occupe une place importante. La plupart du temps, et quelle que soit la sensibilité politique (à part peut-être chez les libéraux), l’engagement des jeunes est guidé par un intérêt pour l’histoire, pour les luttes du passé, qui confine souvent au romantisme historique. Ce romantisme n’est pas critiquable en soi, il est la preuve que la motivation des jeunes militants est de l’ordre de l’idéal et non de l’opportunisme ou des calculs intéressés ; et nous avons plus que jamais besoin d’idéal pour transformer ce pays et pour le remettre entre les mains d’une génération que nous espérons plus droite et plus incorruptible que les précédentes. Lorsque, vers l’âge de quinze ou seize ans, je me suis engagé dans mes premiers combats, c’est la tête pleine des romans de Jules Vallès, des discours de Robespierre, de la mémoire de la Commune, des martyrs de la Résistance et de la guerre d’Espagne. J’ai bien sûr affiné mes positions depuis et rectifié certaines erreurs mais je n’ai pas fondamentalement changé et il me plait de croire que ces grands ancêtres marchent toujours à mes côtés. J’imagine que vos références à vous étaient un peu différentes des miennes, que c’est avec au cœur le souvenir de Jeanne d’Arc, de Charles Martel, de La Rochejaquelein, du colonel de la Rocque ou du jeune Henri Lagrange, que vous avez décidé, adolescents, de rejoindre l’Action française. Les références – et même parfois le côté des barricades – diffèrent mais on peut parler dans les deux cas d’idéal et de romantisme historique.

Ce romantisme est sain en soi mais il peut devenir une faiblesse s’il confine à la naïveté, s’il pousse au fanatisme ou s’il vous emprisonne dans l’histoire. Je conçois bien qu’il n’est pas dans la nature d’un mouvement royaliste de faire table rase du passé, et ce n’est pas à cela que je vous invite, mais j’attire votre attention sur le fait que plus une idée est ancienne et plus elle a forcément les mains sales (pour autant qu’une idée puisse avoir des mains). Le temps, tout comme le pouvoir ou les responsabilités, ne laisse aucune vertu intacte. Quelle est la différence fondamentale entre la Révolution française et la Commune ? La première a généré la Terreur, la seconde n’a vécu que peu de temps et est morte à l’état d’innocence. Aussi la seconde est-elle aujourd’hui, pour les révolutionnaires de notre temps, beaucoup plus aisée à revendiquer que la première : personne n’est à l’aise lorsque son adversaire peut à tout moment lui reprocher la responsabilité d’un génocide… Ayant milité dans les milieux marxistes-léninistes, je n’oublie pas qu’à chaque avancée sociale que nous proposions (salaire minimum, caisse maladie publique, augmentation des retraites, revendications syndicales, etc.), nous trouvions immanquablement en face de nous un fâcheux pour nous rappeler les goulags soviétiques. La conscience historique, la mémoire longue, sont bonnes lorsqu’elles servent d’élan (reculer pour courir plus loin), d’inspiration spirituelle ou de légitimation, mais elles sont néfastes lorsqu’elles se transforment en boulets qui nous enchaînent, qui nous ramènent en arrière, qui nous rappellent à chaque instant les crimes des anciens. Ce sont ces boulets qui jouent contre vous et favorisent votre diabolisation.

J’ai fait également allusion aux rapports qui peuvent exister entre idéalisme et fanatisme. Ce rapport est avéré : les cyniques ne font pas de bons kamikazes ni de bons terroristes, on préférera toujours pour ça faire appel aux idéalistes, ce que les attentats islamistes nous rappellent tous les jours. Il importe donc, pour conjurer cette dérive (qui, en plus d’être mortifère, met en danger l’existence même de votre mouvement), d’être très attentif au recrutement de vos militants. L’affaire du projet supposé d’attentat contre Jean-Luc Mélenchon, attribué à un individu soupçonné d’avoir fréquenté votre milieu, et de la réaction politique qui s’en est suivie (menace de dissolution de l’Action française), devrait vous inciter à me donner raison sur ce point. Les mouvements populistes sont plus exposés que les autres à ce risque car ils prospèrent en partie sur ce que j’appellerais une sociologie du ras-le-bol, une révolte sourde et latente dans laquelle les indignations se mêlent souvent à certaines frustrations sociales. Cette tension est renforcée par le fait que la base humaine de ces mouvements est souvent plus masculine que dans les partis établis, et on sait que, pour des raisons qui tiennent moins au genre qu’au sexe, les hommes sont toujours proportionnellement plus présents que les femmes aux extrêmes (pas au sens des extrêmes politiques mais des extrêmes psychologiques).

Ayant été actif dans des mouvements de ce type, j’ai souvent été amené à devoir doucher certains enthousiasmes, modérer certaines colères et écarter des profils trop instables et potentiellement dangereux. Les partis du système, qui recrutent parmi la bourgeoisie et parmi des classes de la population plutôt acquises au statu quo, n’ont pas ce problème et on imagine mal une affaire d’attentat liée à un cadre du PS ou des Républicains… Ce qui n’empêche pas ces partis de se livrer épisodiquement à des violences ou à des incivilités comme on l’a vu récemment avec la mise en cause d’élus d’En Marche dans diverses agressions (ratonnade d’un adversaire, morsure contre un chauffeur de taxi, etc.). Face à ce risque, il serait prudent d’être à la fois le plus ouvert possible aux gens ordinaires tout en restant plus sélectif à l’égard des éléments radicaux.

Agir plutôt que réagir

Le rapport de forces actuel, on l’a dit, ne vous est pas favorable dans la mesure où vous n’êtes pas au pouvoir et où vous avez le pouvoir contre vous. Comme la plupart de vos concitoyens, vous êtes donc, à l’égard des mesures qui vous sont imposées par les puissants, tenus de choisir entre le suivisme ou la réaction. Comme opposants, vous optez la plupart du temps pour la seconde option, mais en faisant cela, vous ne faites que choisir entre deux manières de s’adapter au discours dominant (répondre par oui ou par non à une question imposée et souvent biaisée), attitude qui ne révèle pas une très grande liberté de ton ni d’action. Vous connaissez tous l’histoire de ces oiseaux de basse-cour à qui on demande s’ils préfèrent être rôtis ou bouillis : un des oiseaux répond « mais nous ne voulons pas être mangés ! », ce à quoi l’homme lui réplique « ce n’est pas la question que nous vous avons posée ». Il en va ainsi lorsqu’on vous propose, lors d’élections, de choisir entre la gauche et la droite, ou lorsqu’on soumet au vote « démocratique » une proposition qui, dans son objet comme dans sa formulation, n’ouvre pas des possibles mais les ferme au contraire, orientant le débat dans le sens voulu par le système.

On peut bien se moquer des citoyens qui suivent aveuglement les directives de l’Etat et les traiter de moutons, il n’empêche que ceux qui s’y opposent de façon tout aussi systématique et, dirais-je, pavlovienne – en Suisse on les appelle les neinsager – ne valent guère mieux. Suivre ou réagir ne sont que deux manières de s’adapter à un cadre imposé, qui ne sortent jamais d’un certain conservatisme niais, à rebours des choix que devrait faire un véritable dissident : le choix de l’initiative, de l’innovation, de l’imagination. Ce sont ces choix qui permettent, même avec le pouvoir contre soi, de saisir la démocratie à rebrousse-poil et d’influer sur l’agenda politique plutôt que de s’y conformer. Nietzsche n’avait pas tort de dire que l’homme réactif est toujours l’homme du ressentiment, c’est-à-dire tout le contraire de l’homme libre. L’homme qui réagit (tout comme l’homme qui suit, dont il n’est que le miroir inversé) est l’homme de passion, au sens étymologique du terme : l’homme passif, l’homme du pathos (la douleur), de la pathologie, l’antithèse de l’homme d’action. Comme en grammaire, l’actif s’oppose au passif, ce qui fait s’oppose à ce qui subit, ce qui détermine s’oppose à ce qui est déterminé. Êtes-vous de ceux qui subissent ou de ceux qui entreprennent ? Êtes-vous des roseaux ou des chênes ?23 Êtes-vous de ceux qui répondent aux questions imposées ou de ceux qui préfèrent poser les bonnes questions ? Vous pouvez, comme Epictète, vous conditionner à vouloir ce qui arrive, mais vous pouvez aussi, comme Napoléon, faire en sorte qu’arrive ce que vous voulez. Le politique, vous vous en doutez, a plus à voir avec Napoléon qu’avec Epictète.

Ouvrir le dialogue avec tout le monde

J’ai utilisé le terme de populisme, qui n’est pas un gros mot et qui n’est pas tant un corpus d’idées qu’une manière de communiquer. Le populisme est au cœur de notre sujet puisque nous devisons ce soir de communication. Cette dernière peut se faire selon différentes interactions sociales : vous pouvez vous retrouver, comme c’est mon cas ce soir, à monologuer devant un public d’auditeurs silencieux, mais la plupart du temps, au quotidien, vous êtes amenés à exposer vos idées dans le cadre de conversations, de rapports inter-individuels horizontaux. Lors de ces conversations, vous vous adaptez tout naturellement à votre interlocuteur, à ce que vous savez de ses convictions, à son niveau de compréhension, à son caractère, à la nature de la relation que vous entretenez avec lui, de façon à pouvoir, sans risquer de le braquer ni de le perdre en route, faire passer votre message. En adaptant la forme sans transiger sur le fond, vous conjuguez la rigueur des principes et la souplesse propre à la communication. Le populisme ne fonctionne pas autrement.

Il est essentiel de discuter avec tout le monde, de ne pas rester cloisonné dans un entre-soi stérile. L’exemple de Socrate allant converser avec n’importe qui sur l’agora athénienne devrait nous parler, tout comme sa méthode, qui consistait moins à professer qu’à poser des questions à ses interlocuteurs et à les laisser, par le jeu de la dialectique, arriver eux-mêmes à leurs propres conclusions. Malheureusement une tendance spontanée au confort psychologique nous pousse souvent à débattre de politique avec des interlocuteurs déjà conquis et à passer nos idées sous silence face à des gens extérieurs à nos milieux. C’est une grave erreur car le rôle objectif de la conversation politique n’est pas de créer un sentiment d’autosatisfaction chez des interlocuteurs partageant les mêmes idées (même si ce type d’échanges peut favoriser les rapports de camaraderie) mais de convaincre ou du moins de faire réfléchir ceux qui ne sont pas encore acquis à vos idées. Dès lors, en dehors des individus agressifs ou intolérants qui refusent explicitement de débattre avec vous, vous pouvez considérer tout interlocuteur comme légitime : à vous d’être aimable, respectueux, et de faire preuve d’entregent pour susciter l’attention des gens de tous milieux avec qui vous êtes amenés à dialoguer. Un penseur comme Etienne Chouard me semble à cet égard être un exemple à suivre : il s’est toujours moqué des lignes de démarcation partisanes, des « cordons sanitaires », de savoir qui était fréquentable ou qui ne l’était pas, il a toujours fait l’effort d’ouvrir le dialogue avec tout le monde et n’a jamais refusé une tribune qu’on lui proposait, d’où qu’elle vienne. Certains lui ont évidemment beaucoup reproché cette ouverture « socratique », compromettante à leurs yeux, et dans une certaine mesure on le lui a fait payer, mais au final tout laisse à penser qu’à agir de la sorte, il a beaucoup plus gagné que perdu, ayant permis à ses idées de progresser dans l’opinion et de se diffuser largement.

Pour qu’un débat honnête et lieu, il faut se contraindre à une certaine rigueur intellectuelle et se comporter à l’égard de votre interlocuteur comme vous voudriez qu’il se comporte avec vous. Le philosophe Jean-Claude Michéa résume ainsi cette éthique du débat : « Ne jamais juger les idées d’un auteur sur les intentions diaboliques ou “nauséabondes” qu’on lui prête mais uniquement sur les thèses qu’il défend explicitement24 ; respecter en toute circonstance le principe de contradiction (dont le système “deux poids deux mesures” – disait Orwell – est la forme de négation idéologique la plus courante) ; reconnaître enfin l’existence des faits chaque fois qu’ils se manifestent sous nos yeux ou qu’ils ont été établis au terme d’une enquête aussi rationnelle et objective que possible. »25

Par rapport à la génération de nos parents, la jeunesse actuelle paraît plus dépolitisée (encore que ce soit en train de changer) mais on aurait tort de ne voir dans ce phénomène qu’une acculturation ou un des nombreux ravages de l’individualisme libéral. Les jeunes de la génération de nos parents étaient peut-être plus politisés, ils avaient peut-être un vernis de culture idéologique un peu plus épais que ceux d’aujourd’hui, mais ils étaient aussi plus obtus, plus sectaires, plus fermés au dialogue, et parfois même plus fanatisés par les idées qu’ils pensaient être les leurs (l’histoire du gauchisme post-68 en témoigne). Moins engagés, nos contemporains sont de ce fait moins alourdis de préjugés politiques, ils sont donc moins fermés a priori à un discours de l’altérité, voire de l’altérité radicale. Il règne de nos jours une sorte de pensée molle qui fait que beaucoup de nos semblables pensent par défaut, par imitation, mais sans que leurs idées soient forcément très enracinées dans leur esprit, faute d’une vraie conviction. La pensée molle a l’avantage d’être ouverte à tous les vents, d’être mobile, de pouvoir muter. Moins conditionnée par les affects que peut l’être la pensée politisée, elle est dès lors plus souple et plus facile à inspirer, à faire évoluer, à modeler. Ne pensant aux choses qu’en surface, les hommes et les femmes sujets à la pensée molle ne s’accrochent pas désespérément à leurs idées éphémères, ils ne se crispent pas et ils ont à l’égard des autres idées une attitude que j’appellerais de neutralité bienveillante. Neutralité car cette absence de convictions procède d’une certaine indifférence, bienveillance car les gens n’ont aucune raison de vous prendre en grippe tant que vous n’avez pas été désagréable avec eux.

Du bon usage des réseaux sociaux

Nous ne sommes bien sûr plus au temps de Socrate : les débats politiques se passent un peu moins sur l’agora et un peu plus sur internet. Les réseaux sociaux ont pour une grande part remplacé les interactions sociales de la place du village. Les règles de communication sont néanmoins à peu près les mêmes, au sens où il convient aussi, lorsque vous êtes devant votre ordinateur, d’argumenter honnêtement, de vous adapter à vos interlocuteurs et de ménager leur susceptibilité. Il existe toutefois quelques différences, liées au support et au caractère de médiation de ces réseaux sociaux. Pour illustrer ce point je vais faire une analogie. Lorsque vous avez suivi à la télévision le débat du deuxième tour des élections présidentielles et que vous avez écouté les arguments de Macron, avez-vous pensé que l’objectif du futur président était, en débattant comme il l’a fait, de convaincre sa rivale du bien fondé de son programme ? Avez-vous pensé que Macron aurait pu espérer ne serait-ce qu’une seconde qu’à l’issue du débat, Marine Le Pen lui serre chaleureusement la main et s’exclame : « C’est vous qui aviez raison depuis le début, vous m’avez ouvert les yeux ! » ? Une telle hypothèse paraitrait ridicule. Nous savons tous qu’en argumentant comme ils l’ont fait, les deux candidats ne cherchaient pas à se persuader l’un l’autre mais à convaincre ceux qui les regardaient, c’est-à-dire les Français. Ce n’est évidemment pas l’opinion de Marine Le Pen qui comptait aux yeux de Macron (et inversement) mais l’opinion des électeurs. Chacun d’entre vous, je pense, conviendra de ces évidences.

Eh bien si vous admettez ce mode de communication lors d’un débat télévisé, pourquoi ne l’admettez-vous pas sur les réseaux sociaux ? C’est pourtant, toutes proportions gardées, le même mécanisme qui est à l’œuvre. Mettons-nous en situation : un adversaire politique vous prend à partie sur les réseaux sociaux, il vous attaque, vous pousse à vous défendre ou à contre-attaquer. Autant vous révéler tout de suite la fin de l’histoire : vous aurez beau argumenter comme un beau diable et mobiliser des trésors d’éloquence, il y a très peu de chances que votre adversaire se range à vos arguments et vous donne raison in fine. Et cela pour plusieurs raisons : parce qu’il est comme vous un militant convaincu de ses idées (il ne peut donc faire preuve de cette neutralité bienveillante qui est le propre de la pensée molle) ; parce qu’il se trouve avec vous dans un rapport conflictuel et polémologique qui lui interdit de ne rien céder, toute concession risquant d’apparaître comme un désaveu de ses propres idées ; parce que si, dans son for intérieur, il finissait par vous donner raison à la faveur d’une remise en question (c’est rare mais cela peut arriver), il conserverait ça pour lui et se garderait bien de l’avouer et de vous concéder ce plaisir, qui équivaudrait à votre triomphe et à son échec. On peut attendre des gens qu’ils évoluent dans leur conscience mais on ne peut pas attendre d’eux qu’ils acceptent de perdre la face – et cette typologie de l’adversaire, je le rappelle, est aussi la vôtre.

Cela pose alors une autre question : pourquoi avons-nous si peur, dans ces circonstances, de perdre la face ? Ne nous sommes-nous donc jamais trouvé en tête à tête avec quelqu’un qui, à force de raison, est parvenu à nous convaincre que nous avions tort et n’avons-nous pas alors, dans ce cas de figure, reconnu sans peine, et même avec une certaine reconnaissance, que c’est lui qui était dans le juste et nous qui nous trompions ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables, sur les réseaux sociaux, de faire preuve de la même humilité et de la même honnêteté intellectuelle ? Pour une raison très simple : une conversation sur les réseaux sociaux n’est pas un tête-à-tête, c’est un combat de boxe sur un ring cerné par une foule immense. Macron n’a pas préparé ses arguments en vue d’un entretien avec Marine Le Pen dans le secret d’un boudoir, et vous, vous ne vous adressez pas à une personne qui vous attaque, mais à cent ou mille personnes qui vous lisent et vous jugent.

Vous avez compris où je veux en venir : lorsque vous débattez sur les réseaux sociaux, ce n’est pas votre interlocuteur direct que vous cherchez à convaincre mais la masse silencieuse de ceux qui vous lisent et qui, peut-être, seront tentés de choisir leur camp. Cette masse silencieuse, c’est en grande partie celle – j’y reviens encore une fois – de la neutralité bienveillante. Vos lecteurs sont plus libres que votre interlocuteur car eux, n’ayant peut-être pas de conviction arrêtée et n’ayant pas participé au débat, n’auront aucune crainte de perdre la face le jour où ils s’exprimeront à leur tour ou choisiront leur camp. Personne ne pourra les accuser d’être des parjures puisqu’ils n’avaient rien à trahir. Ce sont donc eux qu’il s’agit de persuader, de séduire, à qui il s’agit de plaire, qu’il faut parvenir à mettre de votre côté.

Pour cela, la première règle est bien sûr de développer une argumentation claire et convaincante – de montrer sans ambigüité possible que c’est vous qui avez raison – mais cela ne suffit pas. Les interactions sociales ne sont pas faites que de raison pure, elles sont faites aussi d’affects, d’appréhensions plus spontanées, d’affinités diverses. Pour séduire ceux qui vous lisent il faut savoir y mettre les formes, vous rendre sympathiques à leurs yeux. Il ne faut pas hésiter pour cela à recourir à l’humour, à l’ironie (pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un moyen de noyer le poisson), qui sont des attitudes qui, tout en mettant les rieurs de votre côté, révèlent de votre part une distance, une maîtrise, qu’on associera volontiers à la maturité de vos idées. Car plus encore que l’humour, c’est l’image de calme et de solidité qui joueront en votre faveur. Vous avez sûrement tous été confrontés un jour ou l’autre sur les réseaux sociaux à un adversaire nerveux ou acariâtre qui finissait, faute de parvenir à vous déstabiliser, par s’étrangler de rage devant son clavier, multipliant alors les mots injurieux, les lettres majuscules et les points d’exclamation outrés. Si, en face, vous avez su rester calme, ne pas répondre aux insultes (si ce n’est par une légère boutade) et continuer à développer vos raisonnements, il y a fort à parier qu’aux yeux des lecteurs silencieux, c’est vous qui avez remporté le débat. Habituez-vous à fonctionner de cette manière, à rester serein, à sourire lorsque votre adversaire perd ses moyens, à ne jamais vous départir d’une certaine force tranquille, et vous verrez immanquablement augmenter le nombre de vos partisans.

Pour que ce type de communication soit efficace, il faut évidemment, comme dans la « vie réelle », qu’elle ait lieu dans un cadre ouvert et non dans l’entre-soi d’un ghetto. Alors qu’internet nous proposait à sa création une ouverture sans limite, les réseaux sociaux ont malheureusement souvent évolué dans le sens d’une certaine endogamie idéologique. C’est une tendance assez naturelle à l’homme qui, lorsqu’il a le choix, préfère se grouper sur un mode affinitaire que sur un mode arbitraire, c’est d’ailleurs le principe même de l’amitié et d’une grande part de la sociabilité ordinaire. Ce n’est néanmoins pas un principe à suivre si l’on veut parler au grand nombre et persuader de nouvelles personnes des bienfaits de nos idées. Je vous conseille, dans les paramètres de votre page Facebook ou Twitter, de garder un réseau ouvert, c’est-à-dire de choisir l’option qui permettra à tous les usagers, y compris à ceux qui ne figurent pas dans votre liste de contacts, de pouvoir vous lire. Pourquoi limiter volontairement votre audience si vous pensez avoir raison et si vous considérez qu’il serait profitable que vos idées se diffusent ? Garder un compte ouvert permet de faire un sort à cette endogamie idéologique, qui n’est pas une fatalité. Nous ne devons pas, en nous fermant à un certain public, restreindre notre liberté d’expression comme nous ne devons pas censurer celle des autres (sauf cas de « trollage » avéré), sans quoi nous tombons dans ce que Jean Bricmont appelle « le principe Hitler-Staline de la liberté d’expression »26 qui consiste à n’accorder cette liberté qu’à ceux qui pensent comme nous. Rappelez-vous que la liberté d’expression est à défendre pour au moins trois raisons : parce qu’elle est un bien en soi, parce qu’elle vous est profitable en tant que vous êtes des opposants au système en place, et parce que, mieux formés intellectuellement que la plupart de vos adversaires, cette liberté est votre arme par excellence quand la censure est par excellence l’arme de vos ennemis.

Plus qu’une stratégie : une éthique philosophique

Tout langage, on le sait, est une forme de manipulation. Vous n’échapperez pas à ça puisque cette manipulation est la condition même de la communication et que tout mot, comme médiation, contient une part d’arbitraire, mais vous êtes libres, dans votre rapport à la vérité, de limiter cette aliénation autant que faire se peut en privilégiant à chaque fois une rigoureuse honnêteté intellectuelle. Nous dénonçons la démagogie du stortytelling à l’américaine ou l’insidieuse programmation neuro-linguistique (PNL) bien connue des spécialistes de la publicité, de la propagande ou de l’ingénierie sociale, mais nous recourons nous aussi à ces méthodes qui sont vieilles comme le monde, souvent sans même le vouloir ni en avoir conscience, mus simplement par des réflexes rhétoriques acquis dans nos expériences militantes. « La contrainte du langage n’est pas autoritaire, écrit Laurent Fidès, elle consiste plutôt à orienter tendancieusement nos possibilités réelles d’expression et, par là, nos représentations. »27 Essayons alors au moins d’être meilleurs que les autres, de faire de ces méthodes non des instruments d’abrutissement mais d’affranchissement. Nombreux hélas sont ceux qui, en prêchant le bien, obtiennent un effet contraire à celui escompté. Ainsi de ces lanceurs d’alerte (et nous sommes en tous à notre niveau) qui, noyant leurs followers sous des flots de mauvaises nouvelles, ne parviennent qu’à les sidérer quand il faudrait les mobiliser. Pour cette raison-là (mais ce serait en soi le sujet d’une autre conférence), tout déclinisme comme tout nihilisme sont à bannir de l’action militante – et ce n’est pas vous, enfants de celui qui professait que « tout pessimisme en politique est une sottise » (Maurras), qui me contredirez !

A vrai dire, en terme d’éthique et d’efficacité du débat, le meilleur moyen de ne pas vous tromper est encore d’étudier vos adversaires comme des contre-exemples, des cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. La mauvaise foi, le ressentiment, les arguments d’autorité, le refus de débattre, l’agressivité : autant d’attitudes à rejeter définitivement. Vous avez en votre faveur la cohérence d’une pensée qui s’assume, qui ne se contredit pas elle-même, par opposition au discours dominant qui, confus ou carrément schizophrénique, procède de ce que George Orwell appelait dans son roman 1984 la « doublepensée ». Il lui adjoignait la notion de « stopcrime », qu’il présentait comme un mécanisme de pensée conditionné poussant les gens à s’interdire de développer ou de faire aboutir une idée si celle-ci devait entrer en contradiction avec le dogme autorisé. Sans vivre nous-mêmes dans l’univers totalitaire imaginé dans ce roman d’anticipation, nous connaissons tous certainement des gens qui, quoique convaincus de la vérité d’une chose, se contraignent à ne pas l’exprimer (ou pas trop fort) de peur de « faire le jeu » de quelqu’un d’autre, ce dont ils se sentiraient coupables. Laissons donc Orwell leur répondre : « L’argument selon lequel il ne faudrait pas dire certaines vérités car cela “ferait le jeu” de telle ou telle force sinistre est malhonnête en ce sens que les gens n’y ont recours que lorsque cela leur convient personnellement. Sous-jacent à cet argument, se retrouve habituellement le désir de faire de la propagande pour quelques intérêts partisans et de museler les critiques en les accusant d’être objectivement réactionnaires. » Ou, pour reprendre les termes de Pierre Manent, « le politiquement correct est la langue de gens qui tremblent à l’idée de ce qui pourrait arriver s’ils arrêtaient de se mentir »28. A un certain niveau de compréhension du monde, il se trouve que ce n’est pas votre discours qui est dissident, mais bien la réalité elle-même… D’où la panique et la confusion de ceux qui cherchent à vous faire taire.

L’heure, vous l’aurez compris, est plus que jamais à la métapolitique et au soft power. Jacques de Saint-Victor, spécialiste du populisme, écrivait il y a quelques années que « celui qui captera l’imagination populaire devra jouer à la fois de l’ultramoderne et de l’archaïque, le mélange de la mobilisation de rue et de l’agitation digitale, la Piazza29 et le Web »30. Sortir du ghetto ne pourra se faire qu’en adoptant une stratégie d’ouverture, un refus sans équivoque de la marginalité – et il s’agit plus que d’une simple stratégie car elle doit être pratiquée et vécue comme une éthique philosophique, comme un rapport au monde, comme quelque chose dont vous devez être intimement convaincus.

Si vous savez décrypter le langage de l’ennemi et ne pas vous laisser abuser par sa novlangue, si vous ne tombez pas dans certains pièges du militantisme d’hier (retournement du stigmate, culte de la clandestinité, radicalité de façade, etc.), si vous renoncez aux compromis inutiles et déshonorants, si vous refusez de répondre aux provocations mais acceptez de dialoguer avec tout le monde, si vous faites preuve en toute circonstance d’intégrité et d’honnêteté intellectuelle, si vous appréhendez l’idéal comme une force mobilisatrice et non comme un poids mort, si vous décidez d’assumer et d’incarner vos idées en mettant à leur service vos visages, vos noms et vos voix, vous aurez mis tous les atouts de votre côté et vous vous serez constitué un arsenal redoutable pour la conquête de l’opinion. Il ne dépend dès lors que de vous de sortir du ghetto dans lequel vos ennemis aimeraient vous voir reclus. Ne pas le faire alors que vous en avez les moyens, c’est vous instituer vous-mêmes comme vos propres geôliers.

David L’Epée

1 Le texte de cette causerie, intitulé Macron : la divine surprise, a été publié dans le n°79 de Rébellion (avril 2017)

2 Par exemple dans ma conférence Gauche et socialisme : le grand malentendu (21 mai 2016), disponible sur YouTube ainsi que dans le n°75 de Rébellion (été 2016)

3 Bertolt Brecht, Le rétablissement de la vérité, in. Ecrits sur la politique et la société, L’Arche éditeur, 1971

4 On retrouve le même type de confiscation sémantique dans l’autodésignation des deux grands partis américains.

5 Olivier Reboul, Langage et idéologie, Presses universitaires de France, 1980

6 Laurent Fidès, Face au discours intimidant : Essai sur le formatage des esprits à l’ère du mondialisme, Ed. du Toucan, 2014, p.266-267

7 Philippe Grangereau, Au Pays du grand mensonge, Le Serpent de Mer, 2001, p.54

8 Michel Maffesoli, entretien, Causeur n°14, juin 2014

9 Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment, Les Arènes, 2014

10 Josiane Boutet, Le Pouvoir des mots, La Dispute, 2016, p.111-112

11 Stéphane Haber, Critique de l’antinaturalisme : études sur Foucault, Butler, Habermas, Presses universitaires de France, 2006, p.112

12 Ibid, p.115

13 Maximilien Robespierre, devant la Convention nationale, 28 octobre 1792

14 Fanny Bugnon fait un sort à cette « légende urbaine » propagée par la bourgeoisie : « Liant mythe et histoire, femmes et désordre social, les pétroleuses n’ont à proprement parler pas existé : ni témoignages, ni condamnation de femmes incendiaires pendant la Semaine sanglante de mai 1871. “Légende” pour Louise Michel, d’autant que la justice militaire n’a condamné aucune des 1051 femmes poursuivies en conseil de guerre pour incendie. Il n’empêche, la participation active de femmes à l’insurrection de Paris a suffi à faire naître le mythe des femmes au “tempérament inflammable”. » (Les Amazones de la terreur : sur la violence politiques des femmes de la Fraction armée rouge à Action directe, Payot, 2015, p.132)

15 Judith Butler, Le pouvoir des mots : politique du performatif, Ed. Amsterdam, 2004, p.252

16 On notera qu’il n’y a pas que leurs ordres que les néo-féministes tendance queer vont chercher dans le monde anglo-saxon, c’est aussi le cas pour leur vocabulaire…

17 A ce propos, François de Negroni, dont on connaît la sympathie pour l’Afrique, écrit fort justement dans son dernier livre : « Dorénavant s’impose l’idiome black, dont les sonorités états-uniennes, le côté cool, moderne, bravache, sont supposées balayer les mauvaises connotations, renvoyer aux oubliettes de la mémoire la déportation, les crimes et ethnocides de l’impérialisme, et plaire aux “minorités visibles” des quartiers difficiles. […] Devenir black, c’est apprivoiser sa diversité : c’est la façon française d’être nègre, un autrui canalisé, amorti. Un look. Un langage. Un conformisme. Des clichés ravalés. Une identité assignée. Chichon, capuches et foot, sous les décibels de la pseudo-révolte intégratrice du rap. Autant dire une défaite implicite de la transmission, une destruction souterraine de la considération. Avec pour immuables corollaires, quoi qu’il en soit, la ségrégation, la ghettoïsation et quantité de Harlems sans désir qui sortent de terre. » (Incoercible, Materia Scritta, 2017, p.157-158)

18 Dans un entretien que m’avait accordé il y a quelques années l’historienne Marion Sigaut (entretien audio intitulé Marion Sigaut face aux nouveaux inquisiteurs et disponible sur YouTube), elle me racontait comment, censurée à l’Université d’Aix-en-Provence où elle devait donner une conférence, elle s’était retrouvée face à des militants « antifascistes » qui lui avaient expliqué qu’elle n’était pas la bienvenue car sur l’affiche de sa conférence figurait une fleur de lys et que c’était « un symbole fasciste »… Incroyable mais véridique !

19 Fonky Family, Tu nous connais (album Si Dieu veut, 1998)

20 Quelques jours avant la tenue de cette conférence, Jean-Luc Mélenchon, se croyant menacé par un attentat royaliste, avait demandé la fermeture du local de l’antenne marseillaise de l’Action française…

21 Formule qui, soi dit en passant, désespère les féministes de l’ancienne génération…

22 Les hommes ont en effet une tendance, assez saine, à respecter davantage leurs adversaires s’ils sont droits dans leurs bottes que s’ils ne cessent de retourner leur veste, et ce même si ce retournement de veste peut paraître, au gré des changements, jeter des ponts entre eux. Je me souviens à ce propos du désarroi d’un journaliste qui, à l’époque de la présidence Sarkozy, avait demandé à Jean-Marie Le Pen ce qu’il pensait d’Eric Besson, cadre du PS devenu sous un gouvernement de droite le grand chantre de l’identité nationale et de la critique (autorisée) de l’immigration. Ce journaliste s’attendait sans doute à entendre Le Pen se réjouir de cette évolution du personnage mais il avait au contraire répondu : « A la légion étrangère, des gens comme lui, c’est douze balles. » C’est ainsi : un adversaire sera toujours plus respecté qu’un traître, même si les idées trahies sont celles de l’adversaire…

23 Il va de soi que je ne souscris absolument pas à la morale de résignation et de courtisanerie de la fable de La Fontaine qui porte ce titre…

24 Impossible, en lisant cette phrase, de ne pas penser aux nombreux procès d’intention faits à l’humoriste Dieudonné par des journalistes postulant que lorsqu’il se définissait comme antisioniste, il fallait y voir un faux-nez cachant son antisémitisme. Or si Dieudonné a prononcé ce mot plutôt que l’autre, s’il parle d’antisionisme plutôt que d’antisémitisme, c’est peut-être tout simplement… parce que les mots ont un sens ! Partir du principe que les gens disent une chose en pensant à une autre rend caduc tout échange de points de vue (ce qui est peut-être le but visé).

25 Jean-Claude Michéa, préface à André Perrin, Scènes de la vie intellectuelle en France, L’Artilleur, 2016, p.13

26 Jean Bricmont, La République des Censeurs, L’Herne, 2014

27 Laurent Fidès, op. cit., p.108

28 Pierre Manent, cité dans Alain Finkielkraut, La Seule exactitude, Stock, 2015, p.233

29 Dans le lexique politique italien, la Piazza désigne le peuple, la rue, par opposition au Palazzo, qui désigne, selon le même type de métonymie spatiale, la classe politique, la caste au pouvoir (ce que nous appelons parfois en français le système ou en anglais l’establishment).

30 Jacques de Saint-Victor, Les Antipolitiques, Grasset, 2014, p.115

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Source: Lire l'article complet de Rébellion

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Rébellion est un bimestriel de diffusion d’idées politiques et métapolitiques d’orientation socialiste révolutionnaire.Fondée en 2002, la revue Rébellion est la voix d’une alternative au système. Essentiellement axée sur les sujets de fond, la revue est un espace de débats et d’échanges pour les véritables opposants et dissidents. Elle ouvre ses colonnes à des personnalités marquantes du monde des idées comme Alain de Benoist, David L’Epée, Charles Robin, Pierre de Brague, Thibault Isabel, Lucien Cerise … Rébellion se veut également un espace « contre-culturel » au sens large (arts, littérature, musique, graphisme).

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