Par Justin Mikulka – Le 11 mars 2020 – Source DeSmog
L’année dernière, les perspectives financières du marché nord-américain du gaz naturel étaient sombres, les investisseurs nerveux commençant à se retirer et les producteurs annonçant d’importantes réductions de dépenses et des licenciements.
Aujourd’hui, les défis auxquels l’industrie gazière est confrontée ici n’ont fait qu’empirer, même pour les exportations de GNL, son sauveur tant vanté.
Par exemple, il y a un an, Chesapeake Energy – l’un des principaux producteurs de gaz naturel aux États-Unis – montrait des signes de stress financier et son cours boursier était proche d’un plancher historique de 2,60 dollars. L’action vaut aujourd’hui moins de 0,20 $.
Le marché canadien du gaz naturel était en plus mauvaise posture que le marché américain et sa situation ne s’est pas améliorée. La semaine dernière, Berkshire Hathaway, propriété du magnat des affaires et investisseur Warren Buffett, a annoncé qu’il se retirait d’un accord pour investir 4 milliards de dollars dans une installation de gaz naturel liquéfié (GNL) au Québec, Canada.
« Ils ont pratiquement tous disparu, n’est-ce pas ? » Selon le Financial Times, c’est ce que Cameron Gingrich, directeur de la société de conseil en énergie Solomon Associates, a déclaré à propos des grands investisseurs dans le GNL canadien.
Certains investisseurs semblent s’être enfin réveillés à la réalité financière du gaz naturel et du GNL en Amérique du Nord. Et c’était avant le récent crash des marchés du pétrole et du gaz.
Retour aux fondamentaux de l’offre et de la demande
Le boom américain de la dernière décennie a tout simplement créé une vaste offre excédentaire sur le marché actuel du gaz. Avant le dernier krach financier de 2008, les prix du gaz naturel ont atteint un sommet de plus de 12 $/MMBtu (un million d’unités thermiques britanniques). C’était aussi juste avant que la production de gaz naturel par fracturation ne commence vraiment à inonder le marché.
Le prix actuel est maintenant inférieur à 2 $/MMBTU. Les producteurs de gaz naturel ont besoin d’un prix d’au moins 2,50 $ pour atteindre le seuil de rentabilité, selon Devin McDermott, analyste de Morgan Stanley, comme le rapporte le magazine spécialisé World Oil.
Un deuxième facteur à l’origine de l’offre excédentaire de gaz est que l’industrie pétrolière, distincte des spécialistes du gaz de fracturation comme Chesapeake, a également commencé à produire de grandes quantités de « gaz associé« , qui provient de puits de pétrole fracturés. Une telle quantité de ce gaz est maintenant produite que, dans la zone de schiste du Permien – le plus grand champ pétrolifère du pays -, le gaz a souvent un prix négatif. En d’autres termes, il n’a aucune valeur marchande.
Il s’agit d’un simple cas d’offre et de demande. L’Amérique du Nord produit trop de gaz naturel, et son prix sur le marché est nettement inférieur au coût de production.
Comme l’a rapporté World Oil en janvier, « Les prix ont brièvement chuté sous les 2 $/MMBtu vendredi [17 janvier] pour la première fois depuis 2016. À ce niveau, les producteurs américains ne gagnent tout simplement pas d’argent ».
Plus d’un mois plus tard, le prix est de 1,80 $/MMBtu.
Les exportations de GNL étaient censées sauver les producteurs de gaz nord-américains
Cependant, l’industrie avait un plan pour faire face à cette offre excédentaire : sur-refroidir le gaz naturel en GNL et l’exporter vers le reste du monde. En 2013, l’American Oil and Gas Reporter a salué les exportations de GNL comme la « lumière… au bout du tunnel » pour l’industrie américaine du gaz naturel, déjà en difficulté et en sur-approvisionnement.
Dans les années qui ont suivi, l’industrie a parié (et continue de parier) sur les exportations de GNL comme son sauveur. Mais ce plan a été compliqué par le fait que les États-Unis n’ont pas été les seuls à vouloir exporter du GNL. Des pays du monde entier comme l’Australie et le Qatar ont également inondé les marchés mondiaux de GNL.
Au Japon, qui est le plus gros acheteur de GNL, les prix ont maintenant atteint un niveau record à la baisse. Un autre cas simple d’offre excédentaire qui fait baisser les prix.
L’effondrement des prix du pétrole ajoute à l’incertitude pour le secteur américain du GNL
« Les nouveaux investissements majeurs en capital semblent largement hors de question ». – Katie Bays, analyste de l’énergie, co-fondatrice de la société de recherche et de conseil Sandhill Strategy. @energybays
Les sociétés américaines de GNL ne se sont pas bien comportées dans ce contexte. Tellurian est un acteur majeur dans le secteur de l’exportation de GNL aux États-Unis. Son action a perdu près de 75 % de sa valeur au cours de la semaine dernière et elle a licencié la moitié de ses effectifs.
« Nous voyons les projets américains en difficulté », a déclaré Carlos Torres Diaz, vice-président senior de Rystad Energy, à Bloomberg cette semaine.
Malgré ces conditions de marché, le ministère américain de l’énergie a approuvé quatre nouvelles installations d’exportation de GNL le mois dernier.
Les énergies renouvelables représentent une réelle menace pour le gaz naturel
Si les réalités économiques de l’industrie du gaz n’étaient pas assez mauvaises, l’industrie est également confrontée à la menace croissante de voir les énergies renouvelables devenir plus compétitives sur le plan économique. Les services publics choisissent de plus en plus l’éolien et le solaire pour la production d’électricité en fonction du coût.
Warren Buffett est également dans le secteur de la production d’électricité, et une autre de ses entreprises a récemment annoncé qu’elle utilisera l’énergie du plus grand projet solaire des États-Unis, actuellement proposé pour un terrain fédéral au Nevada. Le gaz étant pourtant à un prix bas record, Buffet a tout de même choisi le solaire car il est encore moins cher.
Pendant ce temps, la publication commerciale Utility Dive a rapporté cette semaine que 95 % des nouveaux projets d’énergie proposés en Nouvelle-Angleterre sont des combinaisons d’éoliennes, de panneaux solaires et de stockage (batteries). Gordon van Welie, PDG d’ISO New England (l’organisation qui supervise la production d’électricité dans la région) a déclaré que cette réalité « reflète un changement radical ». Selon M. van Welie, il y a cinq ans à peine, la majorité des nouveaux projets de production d’électricité en Nouvelle-Angleterre étaient basés sur le gaz naturel.
Article à lire absolument sur les risques généralisés que prennent les entreprises de services publics en utilisant le gaz naturel comme « combustible de transition ». L’avenir des énergies renouvelables est déjà là et nous ne pouvons pas construire un pont branlant qui menacerait à la fois notre environnement et notre économie.
– Carson Harkrader (@carsonrader) 4 mars 2020
L’économie de la production d’électricité favorise de plus en plus les énergies renouvelables par rapport au gaz naturel, et les preuves continuent de montrer que la production et la combustion du gaz naturel contribuent à la crise climatique, qui, selon une nouvelle étude des Nations unies, s’accélère alors que le monde reste « très loin du compte » pour atteindre les objectifs internationaux.
Malgré les tentatives de l’industrie de vendre le gaz comme solution au problème climatique et comme combustible « de base« , de nombreuses sources de données soulignent les failles de l’argument selon lequel le développement du gaz naturel contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le gaz est pire que le charbon à court terme en raison de son dégagement de méthane dans l’atmosphère #gaz #LNG #auspol
– Bruce Robertson (@barobertson111) 9 mars 2020
J’en ai fini avec les actions dans le combustibles fossiles
Quoi que disent ses promoteurs sur la « propreté » du gaz, le gaz naturel reste un combustible fossile. Et le célèbre animateur de télévision Jim Cramer a récemment fait des vagues en déclarant qu’il en avait fini avec les actions de compagnies travaillant autour des combustibles fossiles.
De nombreux actionnaires de combustibles fossiles qui n’ont pas écouté Cramer lorsqu’il a déclaré cela en janvier, regrettent probablement d’avoir conservé ces actions après le récent krach.
Les producteurs américains de gaz naturel et les exportateurs de GNL sont en proie à de graves difficultés financières.
En 2008, Aubrey McClendon était le PDG le mieux payé de Fortune 500 en Amérique, un titre qu’il a gagné en ramenant 112 millions de dollars pour la gestion de Chesapeake Energy. À l’époque, le titre de Chesapeake a atteint un sommet de plus de 65 dollars par action. Aujourd’hui, elle se situe aux alentours de 0,15 dollar par action et la société est endettée à hauteur de près de 10 milliards de dollars.
Le gaz naturel s’est révélé être un investissement horrible. Les exportations de GNL étaient censées sauver l’industrie américaine du gaz naturel, mais ces espoirs ne se sont pas encore concrétisés.
Maintenant, la question est de savoir combien d’autres investisseurs suivront l’exemple de Warren Buffett, retireront leur argent du gaz naturel et investiront dans les énergies renouvelables.
Jim Cramer : « J’en ai fini avec les stocks de combustibles fossiles »
– Jacqui Patterson (@JacquiPatt) 4 février 2020
Note du Saker Francophone Cet article est tiré d'une série : L’industrie du schiste argileux creuse plus de dettes que de bénéfices
Traduit par Hervé, relu par Marcel pour le Saker Francophone
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone