On est sorti pour peut-être se donner l’impression qu’on allait à la messe du dimanche des Rameaux. On a marché le long du fleuve comme on le fait tous les jours depuis le début de ce confinement. En regardant Montréal au loin. Et ici, les bernaches.
On traverse la rue pour s’arrêter devant notre église fermée. On contemple le Christ qui est là, présent.
Mon mari rompt le silence : « Tiens, v’là ton ami ! »
André ? Depuis le confinement, je ne l’avais pas revu, ni lui ni son compagnon de tous les jours.
On s’approche.
« Tu es seul ? Où est Richard ?
– À l’hôpital. Chu tu seul… Ben au moins, y’é ben ! Y’é logé, nourrit pis au chaud !
– Et toi ? Comment tu te débrouilles ? T’as pu le droit d’aller à ta table au Provigo, hein ?
– Ça va… Y fait soleil ! »
Il a l’air bien installé avec ses couvertures. Son manteau a l’air bon. Il s’est fait comme un lit le long du muret pour se couper du vent. En plein soleil, sa peau a l’air plus brune. Ses yeux plus bleus.
« Auriez-vous un p’tit peu d’monnaie ? »
Malheureusement non. On se dit au revoir. « Que le Bon Dieu te bénisse André ! »
Je me sens mal. Mon cher mari me fait remarquer que je n’ai qu’à revenir…
Mais oui ! Suis-je bête!
Le Bon Dieu
On se dépêche à rentrer. Je cours au congélateur où j’avais gardé deux plats pour eux. J’en fais chauffer un au microonde. Je cours en bas prendre le sac à dos que j’avais mis de côté. Je passe par la chambre froide, je prends une bouteille de Saint-Raphaël. Ça va lui faire tellement plaisir ! Je mélange le plat tout fumant et je mets l’autre au fond du sac.
Je cours. J’ai peur qu’il ne soit plus là. Un itinérant, ça ne tient pas en place. J’ignorais ça, avant… Avant de les connaitre pour vrai. Avant de penser à eux les nuits d’hiver de grands froids et de ne plus me rendormir tellement j’ai peur pour eux, avant de toujours penser à eux chaque fois que je fais l’épicerie, chaque fois que je veux jeter quelque chose, chaque fois que je tourne un coin de rue.
« André ? »
Il se réveille.
« Je t’ai apporté un plat chaud. Je le laisse ici. Ça, c’est un sac pour toi. J’ai mis plein d’affaires dedans. Dans la p’tite poche, j’ai mis un 20 piasses.
– Hein ?! Ça c’est gentil ! Merci… T’é l’Bon Dieu en personne !
– Dans le sac, je t’ai mis une grosse bouteille de Saint-Raphaël à 17,5 % d’alcool. »
C’est là qu’il s’est mis à pleurer.
« Merci… Merci… Que le Seigneur te bénisse ! T’é l’Bon Dieu en personne ! »
Je m’en retourne chez moi avec la joie au cœur, en pleurant.
Oh non André ! Le Bon Dieu en personne, c’est toi. Je l’ai vu dans tes yeux.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! (Mat 21, 9)
Bonne Semaine sainte !
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Source: Lire l'article complet de Le Verbe