C’est vraiment la fin de la partie. Wall Street a légalement fait main basse sur le Trésor américain et l’a transformé en un fonds spéculatif géant garanti par le contribuable.
Par Mike Whitney − Le 26 mars 2020 − Source Unz Review
Le programme de secours de $2 000 Mds initié par le Sénat contre la Covid-19 n’est pas un stimulant fiscal, pas plus qu’il ne serait une bouée de sauvetage pour les dizaines de millions de travailleurs qui soudainement ont perdu leur emploi. Il s’agit d’une restructuration fondamentale de l’économie étasunienne, conçue pour renforcer l’emprise de l’oligarchie corrompue des entreprises et des banques, tout en créant une sous-classe permanente qui sera forcée de travailler pour des salaires d’esclave. Ce n’est pas un stimulus, c’est une thérapie de choc.
Qui peut subsister avec $1 200 pour un, deux ou trois mois ? Et qu’advient-il des millions de personnes qui n’ont pas payé d’impôts l’année précédente ? Sont-ils censés vivre avec rien ? Le Congrès sait que la plupart des ménages ont déjà complètement dépensé leur salaire à la fin du mois et que rien ne leur reste. Sans aucune économie, comment paieront-ils le loyer, la facture d’électricité, le téléphone ou internet ? Le Congrès chipote à propos d’une indemnité de chômage supplémentaire, pour ceux qui auraient la chance de l’obtenir, de $600 par mois alors que la plupart des gens essaient juste de comprendre comment ils feront pour subsister, comment ils payeront les échéances des prêts pour leur maison, quand ils pourront retourner au travail, s’il est toujours là quand ce cauchemar sera enfin terminé ?
Saviez-vous «que si vous n’avez pas de dossier au Service des impôts avec vos déclarations de revenus passées, vous ne bénéficierez pas de l’aide prévue durant quatre mois, par le fonds d’urgence» ? Cela signifie que des millions de personnes n’auront aucun revenu pendant quatre mois ! Que deviendront-ils ? Où iront-ils ? Qui leur fournira l’abri et la nourriture ? Le Congrès ne devrait-il pas se poser ces questions ?
Et qu’arrivera-t-il à la moitié des Étasuniens qui avaient moins de $400 d’économies avant la crise ? Que leur arrivera-t-il lorsqu’ils passeront entre les mailles du filet de sécurité et perdront leur domicile, leur emploi et leur capacité à maintenir leur précaire niveau de vie ? Ces personnes ne retrouveront jamais leur assise financière. Jamais. C’est une condamnation à mort. Nous allons voir une explosion du nombre de personnes sans-abri, de toxicomanie, de dépression, d’alcoolisme, de suicide et de criminalité, comme jamais auparavant dans ce pays. Les imbéciles au Congrès sont-ils si aveugles qu’ils ne voient pas qu’ils condamnent une grande partie de la population à la pauvreté et au désespoir permanent, inévitable, écrasant ? Ne peuvent-ils pas voir cela ?
Comprenez-vous pourquoi ce projet de loi est si précipité par le Congrès ?
Cela a beaucoup à voir avec la chute du marché boursier, mais plus précisément avec les centaines de sociétés qui ont fourgué des obligations à des investisseurs crédules qui pensaient acheter la dette d’entreprises responsables et bien gérées, qui auraient utilisé l’argent pour améliorer leur gamme de produits, former des travailleurs ou construire de nouvelles usines. Mais au lieu de cela, les PDG cupides ont utilisé l’argent pour acheter des actions de leurs propres entreprises pour augmenter la rémunération des dirigeants et récompenser les actionnaires. C’est une arnaque de plusieurs milliers de milliards de dollars qui leur a explosé au visage, provoquant une asphyxie complète du marché des obligations des grandes sociétés. C’est ce qui se passe vraiment, il y a une contraction massive du crédit qui a des conséquences sur le marché obligataire et il n’y a que deux façons de résoudre le problème :
1. Laisser les sociétés défaillantes faire défaut et ramasser les morceaux une fois la poussière retombée ou…
2. Lancer un important plan de sauvetage de $4 500 Mds pour les multi-nationales faillies qui ont poussé leurs entreprises au fond du gouffre.
Ce sont les deux alternatives. Naturellement, le secrétaire au Trésor, Mnuchin, a choisi la seconde, ce qui suggère que le véritable motif pour donner aux travailleurs des chèques de $1 200 serait simplement pour détourner l’attention du renflouement massif de milliers milliards de dollars vers des sociétés chancelantes. C’est cela le véritable objectif du soi-disant projet de loi de relance budgétaire. C’est un autre chèque d’assistanat géant pour les ploutocrates.
La pièce maîtresse de la nouvelle législation est la provision d’un don de $425 Mds aux grandes entreprises. Dans un récent article le New York Times explique ce qui se passe. Voici un extrait :
«Les sénateurs républicains ont suggéré la création d’un fonds de $425 Mds auprès du département du Trésor que la Fed pourrait utiliser pour soutenir et faciliter les prêts d'urgence — ce qui permettrait à de tels programmes de se développer bien au-delà de cette échelle. Parce que la Fed ne peut pas assumer elle-même un risque substantiel de crédit, le Département du Trésor soutient ses prêts d'urgence, en utilisant l'argent d'un fonds qui ne contient que $95 Mds. Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a suggéré dimanche que le nouvel argent du projet de loi républicain pourrait servir à la Fed, par le biais de l'effet de levier 1, à financer quelque $4.000 Mds. «Nous avons des sommes d'argent limitées que nous utilisons avant que le Congrès adopte ce projet de loi, donc nous n'attendons pas le Congrès», a déclaré M. Mnuchin dans une interview à CNBC lundi. «Quand le Congrès nous donnera le feu vert, nous allons augmenter considérablement les facilités». (The Fed Goes All In With Unlimited Bond-Buying Plan, New York Times)
Que veut dire cela ?
Cela signifie que Mnuchin transforme le Trésor étasunien en fonds spéculatif (hedge fund). Voilà ce que ça signifie. Le Trésor va utiliser les $450 Mds alloués par le plan d’urgence, pour créer un véhicule à usage spécial (SPV) — une opération louche et hors bilan utilisée pour dissimuler une comptabilité occulte, une couverture multiplicatrice qui permettra de multiplier ce montant par dix (ce qui signifie que la Fed utilisera les $450 Mds pour financer des dizaines de fois plus que le montant initial, soit $4 500 Mds) qui seront furtivement utilisés pour renflouer des sociétés submergées, des institutions financières et, oui, des banques aussi. (Note — Le conte de fées sur les «banques bien capitalisées» est purement une foutaise. Ces gars-là sont sérieusement exposés à travers le système «repo»2 sponsorisé, à savoir des prêts au marché dérivé par le biais du marché des repo.) La Fed a déjà créé un SPV pour le marché du papier commercial dans le cadre du Fonds de stabilisation des changes (Treasury Exchange Stabilisation Fund) du Trésor, qui est censé être utilisé pour atténuer la volatilité sur les marchés mondiaux des devises, et non pas pour renflouer les grandes sociétés défaillantes. Il s’agit d’une utilisation abusive des fonds. Malheureusement, une suspension ciblée de la Loi Sunshine empêchera le public de savoir qui reçoit de l’argent, pour quel montant et dans quel but. Toute cette arnaque a été soigneusement élaborée jusqu’aux dispositions légales empêchant la transparence.
Soit dit en passant, la biographie personnelle de Mnuchin mérite d’être examinée. Selon le sénateur Ron Wyden :
La carrière de Monsieur Mnuchin a commencé dans le négoce des produits financiers qui ont provoqué le crash immobilier de 2008 et la Grande Récession. Après quasiment deux décennies chez Goldman Sachs, il est parti en 2002 et a rejoint un fond spéculatif …. Au début de 2009, Mnuchin a dirigé un groupe d'investisseurs qui ont acheté une banque appelée IndyMac. Ils l’ont renommée OneWest. OneWest était vraiment unique. Pendant que M. Mnuchin était son PDG, la banque a prouvé qu'elle pouvait jeter à la rue plus de personnes et plus rapidement que n'importe quelle autre. Alors qu'il était PDG, un vice-président de OneWest a admis lors d'une procédure judiciaire la «signature robotique» de plus de 750 documents de saisie immobilière par semaine ... entre 2009 et 2014. Une période pendant laquelle la banque avait saisi plus de 35.000 maisons. «Saisies de veuves» sur les hypothèques inversées 3 — OneWest en a fait plus que n'importe qui d’autre. La banque défend son dossier sur les modifications de prêts, mais elle a été reconnue coupable d'une pratique illégale connue sous le nom de «double suivi». Un département de la banque disait aux propriétaires d’arrêter de payer leurs échéances, alors qu’un autre département de la même banque les traînait en justice et faisait des saisies.» (Stimulus Bill - The Fed and Treasury’s Slush Fund Is Actually $4 Trillion, Wall Street on Parade)
Ce personnage ressemble-t-il à quelqu’un à qui on peut faire confiance pour la distribution de $4 500 Mds de fonds publics ?
Les médias n’essaient même pas de cacher les détails sordides de ce qui se passe dans les coulisses. Jetez un œil à cet extrait d’un article de Bloomberg :
"La Réserve fédérale pourrait maintenant avoir jusqu'à $4 500 Mds, faire des crédits et consentir des prêts directs aux entreprises étasuniennes grâce à la loi de relance massive concernant le coronavirus envisagée par les législateurs étasuniens. L'accord bipartisan, qui doit encore être adopté par le Sénat, la Chambre des représentants et signé par le président Donald Trump, comprendra $454 Mds de fonds pour le Trésor afin de soutenir les actions d'urgence de la Fed pour aider l'économie étasunienne." a déclaré mercredi le sénateur Patrick Toomey. La banque centrale travaillera avec le Trésor étasunien pour utiliser cet argent comme filet de sécurité contre les risques de crédit, car elle soutient les marchés de la dette des entreprises et, à court terme, des États fédéral et locaux, tout en prêtant directement aux grandes et moyennes entreprises ... «C'est une très, très grande affaire; elle est sans précédent», a déclaré mercredi le [Représentant] républicain de Pennsylvanie aux journalistes lors d'une conférence téléphonique, ajoutant que c'était l'occasion de se servir de l'effet de levier pour revaloriser «le bilan illimité de la Fed». Les commentaires de Toomey suggèrent que les moyens de la Fed pourraient être étendus avec les nouveaux fonds, doublant ainsi le bilan actuel de la Fed de $4 700 milliards si nécessaire. Dimanche, le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a déclaré que le projet de loi fournirait jusqu'à $4 000 milliards de liquidités grâce à de vastes programmes de prêts gérés par la Fed. "Fed’s Anti-Virus Lending Firepower Could Reach $4.5 Trillion", Bloomberg
Toomey est un idiot ! Ne peut-il pas voir ce qui se passe Pourquoi dit-il : “C’est une très, très grande chose … une opportunité de levier » ??? Ne sait-il pas que le Trésor américain a maintenant accepté la pleine responsabilité et le risque de crédit pour les opérations de sauvetage d’urgence de la Fed. Aime-t-il l’idée que le peuple américain sera maintenant rançonné pour renflouer les PDG qui ont fait exploser leurs entreprises pour engraisser leurs propres comptes bancaires ??
Qu’est ce que cela signifie. Les lecteurs devraient analyser ces articles très attentivement, mot à mot, phrase par phrase. L’horrible vérité est écrite noir sur blanc. Voici la phrase clé dans l’article du Times :
"Parce que la Fed ne peut pas assumer elle-même un risque de crédit substantiel, le département du Trésor soutient ses prêts d'urgence." Et voici la phrase importante de l'article de Bloomberg : “La banque centrale travaillera avec le Trésor américain pour utiliser cet argent comme filet de sécurité contre le risque de crédit car elle soutient les marchés de la dette publique et locale à court terme, tout en prêtant directement aux grandes et Moyennes Entreprises."
On y est ! Risque de crédit, risque de crédit, et toujours risque de crédit. Qui assume le risque de crédit pour ce cadeau de $4 500 milliards ??
Le contribuable américain. Regardez : la Fed a toujours eu la possibilité d’imprimer autant d’argent qu’elle veut. Rappelez-vous les « QE illimités ». Alors pourquoi la Fed a-t-elle besoin de l’appui du Trésor pour cette opération ?
Parce que la Fed ne veut pas accepter le risque de crédit. Qui sera finalement responsable de tous ces mauvais paris et des obligations sans valeur qui sont déjà déclassés au moment où nous parlons ? Qui va éponger les milliers de milliards de pertes engendrées par des gestionnaires malhonnêtes, intrigants et coupe-gorges – avec leurs complices financiers – qui ont pillé leurs entreprises dans le seul but de s’enrichir et d’enrichir leurs actionnaires ?
Qui ?
Le Trésor américain soutenu par le contribuable américain.
C’est vraiment la fin de la partie. Wall Street a fait main basse sur le Trésor américain et l’a transformé en un fonds spéculatif massif à effet de levier qui est contrôlé par un charlatan, Mnuchin, sans scrupules qui s’est fait les dents en expulsant les familles de leurs maisons pendant la pire crise économique depuis la Grande Dépression.
Nous sommes vraiment baisés jusqu’au trognon.
NOTE – au moment de la rédaction de ce document, les actions étaient en forte hausse pour le troisième jour consécutif en raison, en grande partie, de la diminution des écarts de taux sur le marché des obligations d’entreprise. Selon Matt Maley, stratège en chef des marchés chez Miller Tabak, » ils ont été en mesure d’entrer sur les marchés du crédit et de stabiliser cette zone ; nous voyons les écarts de crédit commencer à se resserrer un peu … Le fait qu’ils commencent à se stabiliser donne aux gens la confiance dont ils ont besoin pour remettre les pieds dans le marché à un moment où nous en avons absolument besoin.”
En d’autres termes, le plan de sauvetage semble fonctionner pour la classe de investisseurs. Youpi !
Mike Withney
Traduit par Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone
Notes
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