par Boris Egorov.
Les soldats français qui se sont portés volontaires pour rejoindre l’armée d’Hitler afin de combattre les Russes l’ont fait sous des slogans de vengeance pour Napoléon et de restauration de la gloire de la Grande Armée, morte dans les neiges de Russie en 1812.
En juin 1940, les troupes allemandes ont écrasé l’armée de France et ont mis fin à la Troisième République française. Le pays est sorti de la guerre, mais tous les Français n’ont pas déposé les armes pour autant.
La nation s’est divisée. Certains ont cherché à libérer leur patrie, tandis que d’autres se sont habitués à la nouvelle réalité, dans laquelle l’Allemagne nazie dominait l’Europe. Pratiquement partout dans le monde, la France libre (qui deviendra « combattante » en juillet 1942) de de Gaulle a combattu les troupes du régime collaborationniste de Vichy. Leur confrontation s’est également étendue à la froide et lointaine Russie.
« Pour la défense de la civilisation »
« Cette guerre est notre guerre, nous la mènerons jusqu’à la fin, jusqu’à la victoire », a commenté le chef du Parti populaire français fasciste Jacques Doriot quant à l’invasion allemande de l’Union Soviétique à l’été 1941. Ce sont toutes sortes d’organisations collaborationnistes opérant sur le territoire de la France occupée et du régime fantoche de Vichy qui sont alors devenues les principaux initiateurs de l’envoi de troupes françaises sur le front de l’Est.
Il n’est pas surprenant que Hitler ait tout d’abord été sceptique à l’égard de cette idée. Il estimait que cela n’avait pas de sens, la campagne contre les bolcheviks ne devant pas durer plus de cinq mois. De plus, il n’était pas disposé à donner à son adversaire vaincu une chance d’améliorer sa position géopolitique. Le but du gouvernement de Vichy était exactement cela : la participation française à la « lutte européenne contre le communisme » était censée lui apporter des faveurs dans l’Europe d’après-guerre.
Finalement, la création d’une unité militaire de volontaires français destinée à être envoyée sur le front germano-soviétique a été considérée comme un bon coup de propagande. Dès l’été 1941, des points de conscription ont donc été ouverts pour ceux qui souhaitaient « défendre la civilisation contre la barbarie de l’Est ».
Légion française
Contrairement à l’Espagne voisine, où les volontaires ont réussi à former une division complète (18 000 hommes), en France, le recrutement a été assez lent. Si de nombreux Espagnols brûlaient d’envie de se venger des bolcheviks pour leur participation à la guerre civile, les Français ne voyaient aucune raison particulière d’aller dans la lointaine et rude Union Soviétique.
Pendant toute la durée d’existence de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, 7 000 personnes au maximum ont rejoint ses rangs. Sa première formation n’était constituée que de 2 352 individus.
De plus, à leur arrivée à la caserne de Borgnis-Desbordes près de Versailles, une première déception attendait les légionnaires. Au lieu de l’uniforme français, comme ils l’avaient espéré, ils ont reçu un feldgrau, l’équipement standard des soldats de la Wehrmacht. Seuls les chevrons avec le drapeau français avaient été ajoutés. Après avoir rejoint l’armée allemande sous le nom de 638e Régiment d’infanterie, la Légion s’est ainsi rendue sur le front de l’Est à l’automne 1941.
Sur les pas de la Grande Armée
Les légionnaires français ont été transportés à proximité de Moscou en pleine opération Typhon. Ils étaient alors plus proches de la capitale de l’URSS que tous les alliés de l’Allemagne (Roumains, Hongrois, Croates, Italiens, Slovaques, etc.), à seulement 63 kilomètres. Les Français, comme l’a présenté le journal marseillais L’Œuvre, étaient « venus pour écraser la bête ».
La propagande allemande et de Vichy n’a cessé de répéter que les soldats de la Légion étaient les héritiers de la Grande Armée de Napoléon, destinés à restaurer l’honneur et la gloire de leurs ancêtres. Les Français organisaient même des trajets réguliers vers le champ de Borodino.
Le 638e régiment a toutefois largement connu le même sort que les soldats de Napoléon. Avec d’autres unités du groupe d’armées Centre, il est en effet tombé sous une puissante contre-attaque des troupes soviétiques. En raison des pertes militaires, des gelures et des maladies, la Légion en retraite a perdu plus de 500 hommes, un coup dur pour une si petite formation.
Les légionnaires ont alors été emmenés à Smolensk, puis utilisés pour des opérations antipartisanes dans les forêts de Biélorussie. Après une deuxième confrontation, toujours infructueuse, avec l’Armée rouge qui gagnait du terrain en 1944, la Légion a finalement été retirée du front et dissoute. Nombreux de ses soldats ont été transférés dans la nouvelle 33e division SS française Charlemagne et sont ainsi devenus les défenseurs du Führerbunker, le dernier refuge de Hitler à Berlin.
« Contre notre volonté »
Tous les Français ne se sont cependant pas retrouvés de leur plein gré sur le front de l’Est. Plus de 100 000 habitants des régions contestées d’Alsace et de Lorraine, constamment revendiquées par la France et l’Allemagne et transférées officieusement au IIIe Reich en 1940, ont, il est vrai, été recensés comme Allemands de race pure et mobilisés pour la guerre. Néanmoins, cette germanisation ne s’est produite qu’en 1942, lorsque la guerre avec l’URSS a commencé à exiger de plus en plus de ressources humaines.
Parmi ces Alsaciens et Lorrains, beaucoup ne nourrissaient pas le désir de se battre pour Hitler. Devenus connus sous le nom collectif des « malgré-nous », ils ont été répartis en petits groupes dans les régions allemandes et se sont éloignés de leur foyer, vers l’Est.
« Parfois étaient capturés des “gens intéressants », s’est souvenu le lieutenant principal de la 180e brigade soviétique d’artillerie lourde Roman Glok. Nous arrivons dans un village, une femme se tient près d’une demeure et nous invite à entrer. Nous pénétrons, et un Allemand en uniforme est assis à la table. La femme dit : « C’est un Français ». Nous avons regardé ses documents et, effectivement, c’était un Français. Nous lui avons également demandé de chanter l’hymne français, et il semblait chanter proprement. Donc nous ne l’avons même pas pris ».
Lutte commune contre l’agresseur
Alors que le gouvernement de Vichy cherchait une occasion de participer à la croisade de Hitler à l’Est, ses opposants de la France libre se demandaient comment l’arrêter. « Quiconque se bat contre l’Allemagne, lutte en même temps pour la libération de la France », a déclaré Charles de Gaulle le jour où les nazis ont attaqué l’Union Soviétique.
Les possibilités pour les gaullistes n’étaient pas infinies. Incapables de lutter contre les collaborationnistes en Europe, ils ont cherché à soustraire les colonies d’outre-mer au contrôle de Vichy. Mais ils n’y ont pas toujours été accueillis en libérateurs. De nombreux Français méprisaient de Gaulle pour avoir coopéré avec les Britanniques, qu’ils croyaient avoir abandonné l’armée française à Dunkerque et avoir attaqué perfidement la flotte française dans le port algérien de Mers el Kebir, cherchant à empêcher sa reddition aux Allemands. Cette attaque avait coûté la vie à près de 1 300 marins français.
Le chef des Français libres était lui-même à bien des égards dérangé par l’aide des Britanniques, qui ne lui laissaient pas, à lui ou à son peuple, une grande marge de manœuvre. L’envoi de troupes françaises en renfort de l’URSS était donc une bonne occasion de sortir au moins partiellement de cette dépendance, ainsi que d’établir une coopération à long terme avec un nouvel allié.
Des pilotes français dans des avions soviétiques
L’idée initiale était d’envoyer sur le front de l’Est une division mécanisée française située en Syrie. Cependant, en raison de la complexité de l’opération, il a été décidé de former une unité d’aviation de combat en Union Soviétique. Fin 1942, des groupes de pilotes volontaires français ont donc commencé à arriver en URSS pour servir dans le nouvel escadron (plus tard, régiment) Normandie.
Suivant leur politique de distanciation vis-à-vis des Britanniques, les Français ont fait appel à Moscou pour que leur soient fournis des avions soviétiques, bien qu’à la disposition de l’URSS se trouvaient également des chasseurs britanniques Hurricane.
Il est à noter que les pilotes ont été très satisfaits des avions Yak-1 qui leur ont été remis. « Plus léger que le Spitfire, le Yak a immédiatement paru plus rapide et plus facile à manœuvrer. Il décolle rapidement et est très maniable… il était parfaitement adapté à la neige, à la boue des routes et aux champs russes sans fins », a écrit le pilote Roland de La Poype dans ses mémoires L’épopée du Normandie-Niémen.
Plus tard, le Yak-1 a été remplacé par le Yak-9, moins maniable, mais plus rapide et mieux armé. À la fin du conflit, les pilotes étaient aux commandes de chasseurs Yak-3.
D’anciens ennemis au service de l’Union Soviétique
Les pilotes du Normandie volaient dans leurs uniformes français (ce qui n’était pas autorisé dans l’Armée de l’air britannique) et avec des drapeaux français sur les avions. Le commandement soviétique n’intervenait par ailleurs pratiquement pas dans les affaires internes du régiment, ce qui, là encore, était très différent des relations avec les Anglais.
L’Union Soviétique n’était même pas contre l’intégration dans le régiment Normandie de volontaires russes, enfants de Russes blancs ayant émigré en France, c’est-à-dire les enfants des opposants aux bolcheviks pendant la guerre civile. Comme l’a dit le diplomate Alexandre Bogomolov lors d’une conversation avec l’un de ces pilotes, Konstantin Feldzer : « Si vous ou des pilotes français décidez soudainement de rétablir le tsar sur le trône, cela ne nous posera aucun problème, car cent millions de Russes n’en voudront pas ».
Alors que les territoires français d’outre-mer passaient du régime de Vichy à la France combattante, en Union Soviétique sont arrivés d’anciens pilotes. Plus d’une fois au sein du régiment, sont survenus des conflits, mais au fil du temps, les vichystes ont racheté leur passé, et l’un d’entre eux, Jacques André, a même été décoré du titre de Héros de l’Union Soviétique.
Tant dans les airs qu’au sol
Le parcours du régiment Normandie, qui a ajouté à son nom le terme « Niémen » en 1944, a, au sein de la 1ère armée de l’air, participé aux principales batailles de la guerre : celle de Koursk, l’opération Bagration, qui s’est terminée par la défaite du groupe d’armées Centre, ainsi que les opérations en Prusse orientale.
Le commandement soviétique a beaucoup apprécié les qualités des pilotes français, mais leur a reproché un individualisme trop prononcé. Plus d’une fois, les pilotes ont en effet rompu leur formation et continué à chasser les avions ennemis individuellement. Obnubilés, ils tombaient alors parfois sur des groupes entiers de combattants allemands, ce qui se soldait souvent par leur mort. D’ailleurs, les pilotes du Normandie-Niémen ayant été déclarés traîtres à la patrie par le gouvernement de Vichy, lorsqu’ils étaient capturés, ils étaient soumis à une exécution immédiate.
Le Normandie-Niémen a combattu non seulement dans les airs, mais aussi sur terre. Il était courant pour les pilotes français de patrouiller dans les forêts biélorusses et lituaniennes à la recherche d’unités ennemies repoussées. Les Français se montraient plus délicats envers les prisonniers que les soldats soviétiques. Cependant, selon l’interprète du régiment, Igor Eichenbaum, lorsqu’ils ont rencontré un groupe de volontaires français de la Wehrmacht, ces derniers ont été abattus sans procès.
Retour au pays
Bien que la France ait été libérée en 1944 par les troupes américano-anglaises, accompagnées par celles de de Gaulle, il a été décidé de laisser le Normandie-Niémen sur le front de l’Est. Ce n’est qu’en juin 1945 que le régiment aérien a reçu l’ordre de retourner dans sa patrie.
Les pilotes français sont rentrés chez eux à bord de leurs Yak-3, qui sont devenus « un modeste cadeau de l’Union Soviétique à l’aviation de France ». C’est ainsi avec ces chasseurs qu’a commencé la renaissance de l’armée de l’air française.
Ayant perdu 42 pilotes, le Normandie-Niémen a compté à son actif 273 avions ennemis abattus, ce qui représente 80% du nombre total de victoires aériennes de la France combattante sur l’ensemble de la période de la guerre.
source : https://fr.rbth.com
Source: Lire l'article complet de Réseau International