YSENGRIMUS — Il est de vogue de prétendre contrôler l’accès de nos enfants à l’internet, sous prétexte de les protéger des nouveaux monstres contemporains, tout en se gardant de décrire explicitement les hideurs de ces derniers (qui gardent alors implicitement tout leur suave mystère). Toutes les formules circulent. Mettre l’ordi au milieu de la cuisine, implémenter des logiciels de surveillance, se pencher intempestivement sur l’écran sans préavis, verrouiller des sites, interdire les amitiés virtuelles sur msn, imposer des moteurs de recherche fliqués etc. La répression est féroce, pugnace, ardue, futile. Je le dis froidement: faire cela, c’est espérer ni plus ni moins que la machine joue notre rôle de parent à notre place. La répression est un réflexe sécurisant à court terme, mais destructeur au fil du temps. À bon chat, bon rat. Nos enfants, qui nous battront toujours sur ce terrain, entrent simplement dans le maquis. Ils accèdent à un ordi «libre» chez des cousins, dans le sous-sol du voisin (ils ne nous diront plus où, nous les avons assez réprimé) et là notre fantasme de contrôle tombe court. On se fait détester, juger, dénigrer. On intensifie une guerre sournoise sans espoir, on dialogue de moins en moins, on se braque des deux bords et cela n’accomplit, au bout du compte, rien. Je n’ai jamais rien verrouillé des ordis de mes enfants. Je les ai laissé juges, et ils se sont lassés de jeux violents et de cybercopains ineptes par eux-même, bien plus souvent qu’à leur tour. Mais j’ai discuté avec eux, sans artifice: «Soyez prudent. Il peut y avoir des pédophiles qui se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, même sur les papoteurs de jeux interactifs». «Quessé ça un pédophile?». «C’est un adulte que cherche à avoir des relations sexuelles avec un enfant». «Ewww!»… «Oui, ça existe. Gardez l’œil ouvert. Si c’est bizarre, faites ce qu’il faut». Un enfant, même jeune, comprend haut et fort ce message et pose toujours les bonnes questions le concernant. Et il y a un principe qui est vieux comme Socrate. Quand un enfant pose une question, c’est qu’il est prêt pour la réponse, la vraie. Ne pas la fournir ou la brouiller est un jeu risqué. Comment formuler la réponse? Simple. L’enfant vous fournira déjà le ton et le style dans la formulation de sa question. Sa question est le cadre pour votre réponse. Il vous guide par l’orientation de sa question. Répondez dans ce ton, ce style et à ce niveau, et cela tiendra parfaitement. Quand un développement plus fin sera requis, il reviendra avec une question plus fine. La première question qui me fut posée fut: “il y a quoi dans le trou du ciel”, par un soir sombre d’hiver, en revenant de la garderie pré-scolaire. L’angoisse était aussi tangible que devant n’importe quel site internet… Fuir les questions n’est pas le meilleur chemin en direction des réponses… Le fait est que si toutes les questions sont répondues calmement et sans jugement de valeur, l’enfant se tournera vers vous comme source cardinale d’info avant bien d’autres instances, internet inclu.
Il y a nettement lieu de se demander si certains parents qui, agissant sur le comportement sans rien expliquer, ne cherchent pas en fait à contrôler la bécane pour justement s’éviter ce genre de conversation délicate avec leurs jeunes enfants… tout juste comme dans le bon vieux temps. Or quiconque a la naïveté de croire qu’il peut faire l’économie des mises aux points sensibles de la vie contemporaine grâce à un bouton «off», des sites verrouillés ou un logiciel de surveillance est en fait de facto celui ou celle qui abdique ses devoirs de parentalité à une technologie. C’est la version moderne du piquet de la chèvre de Monsieur Séguin, sauf que la petite biquette dispose de douzaines de terminaux pour arracher son piquet désormais. Prétendre contrôler l’accès à l’internet de nos enfants, c’est prétendre écoper la mer… et c’est emprisonner notre enfant dans un cachot incompréhensible sans s’expliquer. Et, il faut s’en aviser froidement, avec ce genre de conditions carcérales de vie, tout ce que vous faites, vous augmentez les motivations poussant votre jeune fille en fleur vers le motel avec un cybercopain, plutôt que vous ne les réduisez. La parentalité totalitaire a ses coûts. En fliquant l’ordi de vos bambins de douze ou treize ans, sans commencer à ouvrir le dialogue délicat en cause ici, vous hypothéquez votre compréhension réelle de la situation présente et future. Et vous recevrez la facture d’ici quelques années. Votre biquette obéissante et hypocrite au clavier bien tempéré à treize ans sera une lionne révoltée à seize ans. On verra où sera son ordi alors… Tous les illusionné(e)s avec enfants de moins de quatorze ans qui croient détenir le truc pour contrer le loup vont avoir des réveils raides quand leur petit chérubin deviendra un techno-ratoureux se foutant de leur poire et qu’ils auront raté ensemble les temps cruciaux du dialogue fructueux, en dormant illusoirement sur le bouton “off”… En préférant la répression facile au dialogue difficile, vous enseignez à votre enfant à mieux vous rouler plus tard, point barre. Parlez-en aux hommes et aux femmes de moins de trente ans aujourd’hui. Eux ont de la technologie, ils ont vécu cette dynamique et disposent maintenant du recul de l’adulte. Ils vous le diront clairement. Vous les verrez décrire de l’intérieur, avec la voix du coeur, exactement le beau risque auquel je crois. Ce sera: voici comment j’ai technologiquement contourné mes parents méfiants, ou voici comment je me suis tourné vers mes parents confiants au moment où… Le parent totalitaire est voué au résultat contraire à ses espoirs, sur les cyberquestions comme ailleurs. Liberté n’est pas négligence. Respect n’est pas insensibilité. Confiance n’est pas indifférence. Il ne faut pas chercher à écoper la mer, il faut contempler ensemble son flux torrentiel avec lucidité et ouverture. C’est là le pari incontournable de la parentalité actuelle. Et, observation corollaire non négligeable, nos enfants sont dans leurs chambres devant leurs ordis. Ils sont avec nous, au logis. Ils ne sont pas dans la ruelle, au billard ou à la taverne. Il y a des parents d’il y a 30 ans qui trouveraient cette conjoncture du 21ième siècle parfaitement paradisiaque… Je n’ai pas à épiloguer…
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec