Virus… blocus

Virus… blocus

Nous sommes des mille et des millions à goûter aux plaisirs du confinement. C’est la faute à ce virus crochu, invisible mais omniprésent, qui guette ses victimes tapi dans leurs voies respiratoires, réveillant les peurs ancestrales. Sages ou craintifs, les citoyens acceptent les règles nouvelles, appréhendant ce que sera l’après. Revisité, le temps d’avant était un paradis : c’était il y a un mois, il y a quinze jours, c’était hier.

Ils seront innombrables, en France et dans cette vieille Europe devenue le foyer du virus, à faire des comptes et à en demander, à proposer des priorités pour réparer les dégâts. Avant d’entamer toute réflexion, il conviendra de réviser les idées reçues que les évènements ont fait voler en éclats et d’en tirer des leçons. Puissent les mesures prises dans une situation d’exception ne pas être fatales à une certaine exception française.

L’Euro-Amérique n’est plus le « cœur » du monde, ayant perdu sa suprématie globale et son magistère intellectuel et moral. Difficile à gober pour un béotien comme l’oncle Donald, suprématiste hors pair, et pour les clients de l’idéologie occidentaliste. Si certains ont évoqué « la mort cérébrale » ou « le déclin de l’Occident », ce sont de simples éclairs tant est enracinée la conviction nombriliste. Il reste que l’épisode du coronavirus aura ruiné irrémédiablement l’image de les États-Unis d’Amérique et de l’Europe, où la pandémie a établi ses quartiers. C’est en effet auprès de l’Organisation de Coopération de Shanghai (Chine, Russie et alliés asiatiques) que la plupart des pays, alliés y compris, auront cherché appui.

Accusée par Trump d’être le responsable de la pandémie (le « virus chinois »), la Chine, premier pays à avoir su juguler l’effrayant fléau, est sollicitée par le reste du monde. Forte du prestige que lui vaut sa gestion – un brin idéalisée – de la crise et désormais surpuissante, elle affirme son nouveau leadership. Qu’il s’agisse de l’Italie, abandonnée en première ligne sur le front coronique par ses partenaires européens, ou de la France, durement frappée, l’aide en matériel et en personnel de l’Empire du Milieu n’est pas passée inaperçue…

La Russie a lancé elle aussi des opérations de secours, envoyant vers l’Italie, par avions-cargos, du matériel de dépistage et de désinfection, tandis que son armée de l’air acheminait huit brigades mobiles de médecins et une centaine de virologues et épidémiologistes. L’Institut moscovite de dépistage du Corona annonce l’envoi d’une assistance d’urgence à seize pays : les membres de l’Union Economique Eurasienne (ex-URSS), mais aussi l’Iran, l’Egypte, le Venezuela, la Corée du Nord, la Mongolie. La Serbie a choisi elle aussi de faire appel à Moscou et Pékin.

Cet investissement des deux grands de l’Eurasie dans une action d’urgence aura eu un impact considérable. Médiatisation ? Ni plus ni moins que les « grandes démocraties » naguère. Que pourraient bien médiatiser nos médias de révérence, sinon l’absence de toute solidarité des Etats occidentaux, la vanité de leurs leçons de morale, leur acharnement à poursuivre des guerres illégales ou « invisibles », et la fin du monopole « atlantiste » dans le domaine humanitaire, cheval de bataille pour l’ingérence. Le mainstream aura été à la hauteur de sa réputation, le dépit portant d’ailleurs à ressasser les mensonges les plus éculés sur les « pays qui fâchent » (Syrie, Iran, Russie, Chine) !

Dans le même temps et autre signe des temps, les États-Unis d’Amérique sont défiés jusque dans leur ex-arrière-cour, son ignominie et son impuissance étant affichées à la face du monde. Après soixante ans de sanctions, Cuba est toujours debout et a développé une médecine de pointe : le 16 mars, à la demande de Londres, on y accueillait sous les acclamations un navire de croisière (MS Braemar) et sa cargaison de passagers occidentaux ailleurs indésirables (dont 5 « positifs » et 40 à l’isolement). La Havane a envoyé par ailleurs une mission médicale en Italie. Des sots s’en étonneront, mais les gestes ne s’oublieront pas, n’en déplaise aux esprits chagrins.

Le Venezuela, provocation permanente, est frappé par la pandémie. Une occasion minable d’exhiber un acharnement « viral ». C’est sous forme de sanctions meurtrières et dévastatrices que se manifestent les attentions de Washington : le coût des dépistages se trouve propulsé à des niveaux exorbitants. Valet fidèle, le FMI a refusé le prêt demandé par Caracas : Maduro manquerait de légitimité. Selon les experts onusiens, de telles sanctions « s’apparentent à une action génocidaire » et leurs « architectes » devraient être poursuivis et emprisonnés à vie, du moins « dans un monde décent ». Il ne l’est plus, depuis belle lurette.

Le comportement criminel des États-Unis d’Amérique et des « grandes démocraties s’est inscrit dans le paysage à partir de 1991, tandis qu’émergeait le paradigme d’une « communauté internationale » réduite aux laquais. C’est à la résignation de ceux-ci, à leur aveuglement idéologique et à leur complicité qu’une « troïka » pervertie doit sa capacité de nuisance. Bien que le premier véto russo-chinois contre une ingérence militaire en Syrie, en octobre 2011, ait stoppé les élans de l’arrogant triumvirat, celui-ci a de beaux restes et de malfaisants relais.

Un demi-siècle après sa naissance « sous X », la « théorie du fou » de Nixon et Kissinger, loin d’être la touche folklorique d’une « géopolitique racontée aux grands enfants », est pour l’Occident une clé essentielle du Grand Jeu. Eructant au milieu de sa cour des miracles, le gangster à la mèche jaune a fait des adeptes au Moyen-Orient. Avec Netanyahou, bourreau des Palestiniens et complice d’une « transaction » ignominieuse, Erdogan l’hystérique Mamamouchi, et Mohammed Ben Salman, qui rêve de transformer l’Arabie en Disneyland ou en lupanar, voilà cet OVNI maléfique en mesure d’instaurer un chaos sans fin au centre de « la ceinture verte », à l’ombre de la nouvelle peste.

Ce qu’écrit Doug Bandow le 22 mars dans The American interest vaut son pesant d’encre : « Le coronavirus signifie que l’Amérique est brisée. Trump devrait sortir de l’enfer syrien », « le Moyen-Orient a perdu sa signification stratégique », les deux craintes majeures ayant disparu : (1) « Personne ne menace de conquérir le pétrole dont dépend l’Occident », (2) « Personne ne menace la survie d’Israël, superpuissance régionale ». Mon Dieu, si c’était vrai ? Aux doux rêveurs, on rappellera que les États-Unis d’Amérique s’acharnent à mener en Syrie une guerre «invisible et sans fin» pour interdire la paix et la reconstruction, qu’elle maintient une occupation illégale à l’est de l’Euphrate, pour « contrôler le pétrole syrien » (sic dixit Donald).

Agressée par une coalition hybride où se retrouvent les membres de l’OTAN, les forces de l’islamisme dévoyé et une multitude de comparses, la Syrie est frappée depuis 2011 par une pléthore de sanctions infâmes et sadiques, dans l’indifférence quasi-générale…Rappelons que les sanctions (commerciales ou financières) ont pour but d’empêcher un Etat de fonctionner et d’étrangler son économie. Elles ont entre autres pour résultat d’interdire les importations de médicaments et matériels sanitaires, et de rendre impossibles la réparation des équipements. Ce qui est dramatique pour un pays dévasté comme la Syrie.

Comment des Etats peuvent-ils se prétendre « civilisés » alors qu’ils n’ont pas le courage de briser l’omerta, loi des mafieux. Exiger une levée immédiate des sanctions ne suffit pas. Chaque pays peut prendre la décision, seul ou dans un cadre collectif. Il y a urgence : la Syrie entre dans sa dixième année de guerre et on peut s’inquiéter de l’impact que pourrait avoir le corona, déjà présent dans la région. En effet, la pandémie ne saurait occulter les menées criminelles des alliés de Washington : Israël responsable du confinement massif des Palestiniens, notamment à Gaza ; Erdogan et son chantage au « lancer » de réfugiés vers l’Europe, nul ne se souciant des malheureux migrants piégés par les frontières fermées.

Il faut également lever le siège criminel imposé par les États-Unis d’Amérique à l’Iran. Résistant depuis quarante ans aux sanctions imposées à l’instigation de Washington et confronté à la ré-escalade engagée par Trump depuis son retrait illégal du traité nucléaire, il y a deux ans, l’Iran figure en outre parmi les Etats les plus menacés par la pandémie. L’interdiction de commercer en dollars revient à lui interdire tout achat de médicaments et d’équipements sanitaires, alors qu’il est économiquement étranglé (Téhéran aurait demandé un prêt d’urgence de cinq milliards de dollars au FMI). Il s’agit pour les États-Unis d’Amérique de le soumettre. Si dans un accès de sagesse les Européens viennent en aide à l’Iran, ils rachèteront un peu la communauté des « chefs d’Etat du monde » auxquels en appelle Ruhani : Les États-Unis d’Amérique n’est pas seulement responsable de la mort d’un Iranien toutes les dix minutes, elle menace la vie du monde. Téhéran et Qom ne sont pas si loin de Paris, Londres et New-York. « Vous êtes des insolents, des oppresseurs, des terroristes » : seuls blâmeront Ali Khamenei d’avoir ainsi stigmatisé les dirigeants américains ceux que la vérité blesse.

Michel Raimbaud


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